Archie, le fils de Meghan Markle et du prince Harry, est au centre de l'accusation de racisme portée par la première à l'encontre d'un membre de la famille royale. © GETTY IMAGES

La parole ou les codes

Meghan Markle a préféré la liberté aux contraintes de la dynastie. La famille royale sort affectée par l’accusation de racisme. Mais elle en a connu d’autres.

A entendre certains commentaires sur Meghan Markle le lundi 8 mars au lendemain de la diffusion aux Etats-Unis de son interview, en compagnie du prince Harry, avec Oprah Winfrey, on pouvait raisonnablement se demander si on célébrait bien concomitamment la Journée internationale des droits des femmes et les cent ans de leur combat. « L’effrontée » avait osé s’en prendre à l’institution royale britannique. Qui plus est, en utilisant ce que des commentateurs se sont empressés de qualifier de « feu nucléaire », l’accusation de racisme, pour mieux signifier sans doute, selon eux, son caractère extravagant. Qu’une forme de racisme existe bel et bien au sein d’une institution séculaire plus connue pour son conservatisme que pour sa branchitude, et en particulier dans le chef d’un de ses membres, est-il si invraisemblable?

Meghan Markle a adapté toutes les ficelles de l’interview de Lady Diana en 1995 à sa situation en 2021.

« Le prince Harry a été informé d’inquiétudes et de conversations […] quant à savoir à quel point sa peau serait foncée quand il (naîtrait) », a argumenté la duchesse de Sussex en parlant de son fils Archie. Mais elle s’est fourvoyée en attribuant l’absence de titre à son métissage. « C’est la pratique depuis 1917 et la révision par le roi George V de la hiérarchie et de l’attribution des titres au sein de la famille royale », souligne Philippe Chassaigne, auteur de Histoire de l’Angleterre des origines à nos jours (Flammarion, 640 p., 2021 pour la quatrième édition). Archie ne pourra prétendre au titre de prince que lorsque son grand-père, Charles, montera sur le trône. « La personne n’a pas été nommée. On sait seulement que ce n’était pas la reine, souligne, sceptique sur cette accusation, le professeur d’histoire contemporaine à l’université Bordeaux Montaigne. On est dans un contexte où proférer des accusations de racisme est extrêmement porteur, surtout quand elles émanent d’une personne elle-même métisse. Que dans la famille royale, il y ait des personnes qui auraient quelques réticences à voir l’union du second fils du prince de Galles avec une métisse américaine divorcée, on ne peut pas l’exclure. Mais quand on reste vague… »

Comme Lady Diana en 1995

Philippe Chassaigne a été frappé par les parallèles entre la prise de parole de Meghan Markle et l’interview de Lady Diana, la mère du prince Harry au destin tragique, par Martin Bashir en 1995 lors de l’émission Panorama de la BBC. « Meghan Markle a adapté toutes les ficelles de cet entretien à sa situation en 2021. Elle a voulu mettre fin à ses jours. Diana avait affirmé qu’à plusieurs reprises, elle avait tenté de se suicider. Elle n’a pas été soutenue par la famille royale. Diana avait aussi déclaré qu’elle n’avait pas été aidée par l’institution royale. On disait que Diana était mentalement instable. Meghan Markle fait comprendre que sa santé mentale a parfois été l’objet d’interrogations dans les sphères de la royauté… C’est un beau numéro d’actrice », conclut Philippe Chassaigne.

Renvoyer Meghan Markle à son passé de comédienne comme Diana Spencer a été assimilée à l’époque à une manipulatrice, n’est-ce pas un peu simple et réducteur? Les deux litiges à trente ans d’intervalle ne témoigneraient-ils pas aussi d’une incapacité de Buckingham à cohabiter avec des personnalités modernes légitimement éprises de liberté de parole? « La réalité est effectivement plus complexe, explique Philippe Chassaigne. La princesse Diana n’était pas « sainte Diana » à 100% ni une manipulatrice à 100%. Il y avait un subtil dosage des deux. Meghan Markle n’est pas uniquement une excellente actrice qui reproduit ce qu’a fait Diana. En ce qui concerne la liberté de parole, la difficulté était beaucoup plus grande pour Meghan que pour Diana. Celle-ci venait de l’aristocratie et connaissait un certain nombre de codes. Meghan Markle est une Américaine qui a une carrière professionnelle derrière elle et qui s’est longuement investie dans la défense des droits des femmes. Mais les membres de la famille royale sont tenus à un devoir de réserve. Lorsque le prince Charles s’était laissé aller à des commentaires sur l’architecture contemporaine ou à des confessions sur le métier de roi, il a aussi été critiqué. Que pour Meghan Markle, la réalité de sa nouvelle condition ait été difficile à accepter, je pense que c’est réel. Elle a une approche dynamique, proactive plutôt que réactive, caractéristique du modèle américain. »

Le rôle de la presse tabloïd

Pour le professeur d’histoire contemporaine à l’université Bordeaux Montaigne, la polémique actuelle s’inscrit aussi dans le contexte particulier de la dernière saison de la série The Crown qui a montré la famille royale britannique sous un jour extrêmement sévère par rapport à Lady Diana. Autre élément de contextualisation, la façon désinhibée dont les médias et, en particulier les tabloïds, traitent de la monarchie. « La part de la publicité dans leurs recettes est très faible, souligne Philippe Chassaigne. Donc, ils vivent essentiellement de la vente au numéro avec un électorat global qui ne cesse de diminuer. C’est donc la course aux scoops. Et comme l’actualité royale fait vendre, on en rajoute pour attirer le plus de lecteurs possible. Qui plus est, dans une société où tout fonctionne sur l’indignation, la réaction spontanée… L’agitation médiatique autour de l’interview de Meghan Markle et du prince Harry me paraît aussi s’inscrire dans cette stratégie liée à un certain modèle économique de la presse populaire britannique. »

En définitive, l’histoire retiendra peut-être que le « feu nucléaire » contre la famille royale résidait plus dans la rupture actée entre le prince Harry et son père que dans l’accusation de racisme de Meghan. En présentant le prince Charles comme un homme peu enclin à l’empathie et « prisonnier du système », le duc de Sussex affaiblit celui auquel le trône est promis quand Elizabeth II s’en ira et que la population ne porte déjà pas exagérément dans son coeur.

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