La nouvelle vague est verte

Laurence Van Ruymbeke
Laurence Van Ruymbeke Journaliste au Vif

Les documentaires consacrés aux dangers qui menacent l’environnement sont de plus en plus nombreux. Et ils marchent ! Retour sur un phénomène fondé sur une prise de conscience

Depuis quelques années, ils tombent sur les écrans de cinéma avec la régularité d’un métronome : les films documentaires à visée écologique font florès. Comme les films animaliers ( La Marche de l’Empereur,Microcosmos, Le Peuple migrateur), qui vivent leur vie, en parallèle. An Inconvenient Truth (Une vérité qui dérange), le film (2006) de l’ancien candidat à la Maison-Blanche Al Gore, a, le premier, fait du foin. Depuis lors, pour n’en citer que quelques-uns, il y a eu Notre Pain quotidien, Le Cauchemar de Darwin, We Feed the World, The 11th Hour, produit par l’acteur Leonardo DiCaprio, Nos enfants nous accuseront… En juin prochain, le photographe français Yann Arthus-Bertrand présentera son nouveau film, intitulé Home, un carnet de voyage aérien alimenté par les innombrables clichés qu’il a pris de la planète.

 » Dans l’histoire du documentaire, ce phénomène est récurrent, remarque Muriel Andrin, chargée de cours à l’ULB et professeur d’histoire du film documentaire. Dans les années 1930, par exemple, on a vu beaucoup de documentaires centrés sur les conditions de travail de la classe ouvrière. Aujourd’hui, le thème de la mondialisation, de l’industrie alimentaire, du réchauffement climatique et de l’énergie nucléaire sont très présents dans la société.  » Il n’est donc pas étonnant de les retrouver sur les petits et les grands écrans, avec une résonance, auprès des spectateurs, qui n’existait pas auparavant.

Le public ne s’en lasse pas. Les entrées enregistrées pour la majorité de ces films environnementaux sont élevées. Le Cauchemar de Darwin a ainsi attiré quelque 70 000 spectateurs en Belgique.  » Cet engouement durera tant que se poursuivra l’aberration que ces films dénoncent, assure Hubert Toint, producteur et, entre autres, coproducteur du Cauchemar de Darwin. Ce n’est pas une mode. La survie de l’humanité en est-elle une ?  » Nombre de ces films ont aussi été montrés dans des écoles, augmentant d’autant le nombre d’entrées enregistrées.

Mise en scène

C’est vrai, les documentaires actuels sont fort différents de leurs lointains prédécesseurs, essentiellement didactiques et parfois, hélas, ennuyeux. Les nouveaux documentaires sont, pour certains, plutôt alarmistes, comme Une vérité qui dérange, d’autres relèvent davantage du constat ou de la démonstration alors que les troisièmes jouent sur l’esthétique et sur l’émerveillement du spectateur. Quelques-uns conservent une très nette distance par rapport au sujet, d’autres sont plus dirigistes, voire un brin moralisateurs.  » Dans leur grande majorité, ces films sont dépourvus de toute connotation d’espoir, relève Muriel Andrin. A part Une vérité qui dérange, mais, dans ce cas-là, cela se justifie par la portée politique du film. Sinon, on en sort plutôt désespérés. En cela, les documentaires actuels n’ont rien à voir avec ceux des années 1930 qui, eux, proposaient des solutions, comme l’avènement du socialisme dans Misère au Borinage, par exemple.  »

Aujourd’hui, certains réalisateurs de documentaires ne se contentent plus non plus de  » capter le réel  » : tandis que Raymond Depardon ou Agnès Varda restent fidèles à la conception traditionnelle du documentaire, d’autres n’hésitent pas à le mettre en scène, quand ils ne se mettent pas eux-mêmes en scène, comme aime le faire le réalisateur américain Michael Moore. La technique était la même dans Super Size Me, qui racontait l’histoire d’un homme nourri exclusivement de hamburgers pendant un mois. Les documentaristes ont aujourd’hui une conscience médiatique de ce qu’il faut proposer pour toucher le public… La méthode n’en suscite pas moins des interrogations.

Est-ce à dire que les réalisateurs de documentaires ne se posent plus guère de questions éthiques et ne conservent que les images qui servent leur démonstration ?  » Ce n’est pas parce qu’un documentaire, par nature doté d’une plus grande crédibilité qu’un film de fiction, instaure une relation de confiance avec le spectateur qu’il est objectif, insiste Jeremy Hamers, assistant au département cinéma et vidéodocumentaires de l’ULg. Le regard du réalisateur est subjectif et assumé en tant que tel. « 

Ventes de perches du Nil en recul

La conscientisation de la population aux enjeux évoqués sur la Toile est évidente. Le spectateur a aussi meilleure conscience en payant son ticket pour Notre pain quotidien que pour la dernière comédie américaine à l’affiche. De là à dire que ces films influencent son comportement dans sa vie de tous les jours… Certes, les ventes de perches du Nil, évoquées dans Le Cauchemar de Darwin, ont reculé en France après la projection du film. Au point que le nom de ce poisson a été modifié pour ramener vers lui les consommateurs scandalisés… Mais ce cas mis à part, aucun film, si réussi soit-il, ne parviendra à faire changer le comportement des gens.  » S’il y a changement, ce sera le fait d’un ensemble d’éléments convergents « , insiste Geneviève Van Cauwenberge, titulaire du cours de cinéma et vidéo documentaires à l’ULg. Petits ruisseaux et grandes rivières…

LAURENCE VAN RUYMBEKE

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