La nouvelle Amérique d’Obama

Les espoirs soulevés par le leader démocrate sont si grands que la déception sera sa principale ennemie dès sont arrivée à la Maison-Blanche. Combien de temps durera l’état de grâce? Réponse de Nicole Bacharan, spécialiste des Etats-Unis.

La cérémonie d’investiture  » historique « , le 20 janvier 2009, verra plus d’un million de personnes converger vers Washington. Les Européens sont soulagés de tourner la page Bush et attendent de son successeur qu’il resserre les liens transatlantiques pour affronter les défis communs. Barack Obama a confirmé son engagement de retirer, en seize mois, le gros des troupes américaines en Irak. Mais il veut, dans le même temps, intensifier la guerre en Afghanistan et appellera sans doute l’Europe à s’y engager davantage. Pourra-t-elle faire la sourde oreille ?

Avant tout, le président élu devra faire face à la récession, alors que le déficit budgétaire de son pays vient déjà de tripler. Le trou des finances fédérales devrait dépasser, l’an prochain, son record de 6 % du PIB, qui remonte à 1983. De quoi han-dicaper la nouvelle administration dans la mise en £uvre de ses promesses. Politologue, historienne et spécialiste des Etats-Unis, Nicole Bacharan revient sur la révolution que représente l’élection d’Obama et évoque les défis qui attendent le prochain président.

Le Vif/L’Express : L’image de la première puissance mondiale sort redorée de l’élection présidentielle. La victoire sans appel de Barack Obama marque un formidable renouveau après la triste page des années Bush. L’Amérique redevient-elle un modèle ?

Nicole Bacharan : La société américaine est capable de transformations rapides, mais le chan-gement n’est pas aussi ra-dical qu’on ne le dit. La tendance ultrareligieuse et extrémiste de droite reste une réalité. On constate toutefois, depuis quelque temps, que la majorité du pays ne va pas dans ce sens-là, qu’elle est plus modérée, tolérante et ouverte. Même les m£urs des jeunes conservateurs ont évolué : beaucoup pratiquent la cohabitation hors mariage, divorcent, ont des amis gays contre lesquels ils ne sont pas prêts à partir en croisade.

Les républicains reconnaissent eux-mêmes que l’Amérique a besoin de restaurer la confiance qu’elle a perdue auprès de la planète. Dans quel état est leur parti, après la défaite de McCain ?

Au parti républicain, très déchiré, il y a aujourd’hui la même ambiance qu’au Parti socialiste français. Par légions, les républicains ont préféré Obama à McCain. Un professeur d’université conservateur m’a confié qu’il avait voté McCain, tout en espérant qu’il perde !  » Ils nous ont trahis « , affirment même d’anciens membres de l’administration Bush père à propos du gouvernement de Bush fils. Finalement, McCain l’aurait peut-être emporté, le 4 novembre, s’il ne s’était pas allié à Sarah Palin, perçue comme une héritière de George W. Bush.

Le tabou racial était-il vraiment, pour le candidat démocrate, un obstacle aussi périlleux ? Outre la plupart des Noirs, quelque 43 % des Blancs et 66 % des Latinos ont voté Obama. Quelles leçons tirez-vous de ces résultats ?

L’électorat de McCain se révèle, lui, à 90 % blanc. Conclusion : le candidat républicain symbolisait l’Amérique d’hier. Il n’allait pas dans le sens de l’Histoire. Dès 2050, les Blancs d’origine européenne seront minoritaires aux Etats-Unis. Certes, la rivalité traditionnelle entre Noirs et Latinos reste vive. Ces deux communautés habitent souvent les mêmes quartiers, y sont en compétition dans la recherche de petits boulots, de logements so-ciauxà Les Hispaniques préféraient Clinton à Obama et sont plutôt religieux. Mais les républicains n’ont pas su en profiter. Au contraire, ils se sont aliéné les Latinos par leurs positions en matière d’immigration, très teintées de xénophobie. La communauté latino a craint les expulsions et a eu peur d’être stigmatisée.

La victoire d’Obama est nette, mais ce n’est pas un raz de marée comparable à ceux de Franklin Roosevelt et de Ronald Reagan. Est-ce un handicap ?

Obama a tout de même été élu par une grande partie du pays et pas seulement par les Etats du nord-est et de la côte ouest. Mais ce n’est pas un triomphe absolu qui clouerait le bec à toute opposition. Le candidat démocrate a conservé sa fragilité initiale : il a peu d’expérience et doit encore faire ses preuves. Il sait aussi qu’il devra gouverner au centre et tendre la main aux républicains. Le pays reste fidèle à ses valeurs traditionnelles. Les contre-pouvoirs y jouent un rôle important.

Les démocrates n’ont pas une majorité de 60 sièges au Sénat qui leur aurait permis de légiférer à leur guise. Cela contraint Obama à nouer des compromis. Tentera-t-il néanmoins de passer en force pour marquer son arrivée ?

Ce n’est pas son style. Il annulera toutefois les décrets les plus extrémistes de Bush, notamment l’autorisation de forages pétroliers dans les réserves naturelles. Une certitude : les Européens vont être surpris. Obama n’est pas là pour plaire et faire plaisir. C’est la main de fer dans le gant de velours.

Son équipe chargée de préparer la nouvelle présidence veut éviter les erreurs de recrutement, les hésitations et revirements qui avaient terni les débuts du gouvernement Clinton en 1993. Que pensez-vous de cette période de transition ?

Nul doute que les leçons du passé ont été tirées. Le contraste est étonnant : alors que des dizaines de milliers de jeunes pro-Obama ont mi-lité dans l’exaltation pendant la campagne, l’équipe du président élu se montre disciplinée, prudente, ordonnée et même franchement verrouillée. Les débuts de Bill Clinton avaient été marqués par la pagaille. Cette fois, les noms des nouveaux responsables politiques ne sont livrés qu’au compte-gouttes.

Que pensez-vous du choix de Rahm Emanuel, 48 ans, ancien conseiller politique de Clinton, comme secrétaire général de la Maison-Blanche ?

Le poste est essentiel. Le président et le secrétaire général de la Maison-Blanche forment un vrai tandem à la tête de l’Etat fédéral. Obama et Rahm Emanuel se connaissent bien, sont tous deux de Chicago. Emanuel est un homme brillant, redouté, plutôt de gauche et très actif au sein du parti démocrate. Expérimenté, il n’ignore rien des arcanes du pouvoir à Washington. C’est à la fois un grand politique et un grand politicien.

Qu’est-ce qui va changer dans la politique étrangère américaine ? Dans quelle mesure l’Amérique sera-t-elle plus ouverte sur les grands dossiers internationaux ?

Obama voit le monde d’une façon plus moderne que son prédécesseur, mais il n’y aura pas de vraie rupture. Le retrait d’Irak est programmé et des renforts seront envoyés en Afghanistan. Ces quatre dernières années, George W. Bush s’est montré moins autiste, brutal et unilatéral que pendant son premier mandat. Il s’est rapproché des Européens et les a laissés aux avant-postes dans certains dossiers moyen-orientaux. Mais il avait déjà perdu toute crédibilité internationale. Obama, lui, jouit d’une autorité morale et politique immense sur la scène mondiale. Là est le changement, qui aura notamment un impact sur les négociations avec Moscou.

Obama est-il favorable à une Europe plus forte ? Il n’a jamais eu, par son histoire, de rapport parti-culier avec l’Europe.

L’Europe, ce n’est pas son histoire. Il n’y a rien de sentimental dans sa relation avec le Vieux Continent. Il s’y est rendu rarement et tardivement. Mais il est atlantiste et a conscience que l’Union est un partenaire incontournable.

Va-t-il se préoccuper de l’Afrique ? On parle de son penchant humanitaire, mais certains, au parti démocrate, estiment qu’il est surtout en phase avec la classe moyenne blanche et qu’il faut oublier ses origines kényanes.

Son expérience personnelle parle pour lui. Il sait que le reste du monde existe. Enfant, il a vécu quatre ans à Jakarta, en Indonésie, le plus peuplé des pays musulmans. Au Kenya, il a découvert de près les conditions de vie des Africains. Il sait ce que signifie être un étranger dans un pays où l’on vit, et porter un nom  » bizarre « , que beaucoup écorchent. Il tentera de convaincre les Américains qu’il n’est pas dans l’intérêt des Etats-Unis de laisser sombrer certaines parties du monde. Hélas, sa marge de man£uvre sera limitée compte tenu du déficit budgétaire amplifié par la crise.

Combien de temps durera l’état de grâce ?

Pas plus de six mois. Puis il y aura environ six mois d’observation et de doutes. Ensuite, la deuxième année de présidence sera très dure. Obama s’y attend. Ce n’est pas un naïf. Très vite, les partis seront à nouveau en campagne, en vue des élections de mi-mandat, en novembre 2010. La Chambre des représentants sera renouvelée, de même qu’un tiers du Sénat. Les parlementaires n’adopteront plus que des textes qu’ils jugeront utiles pour leur propre réélection.

On attend d’Obama une relance économique, un assainissement financier, un  » désembourbement  » militaire, un nouvel ordre mondial, la restauration du rêve américain. N’est-ce pas beaucoup de défis vertigineux ?

Il devra choisir quatre ou cinq priorités. Ou alors, il décidera de pratiquer la  » méthode Sarkozy  » : tout réformer en même temps pour éviter que l’opposition focalise son énergie sur un dossier. Faire face à la récession sera la première priorité, quitte à laisser s’aggraver le déficit budgétaire.

Le grand empire américain n’a-t-il pas dépassé son apogée historique ? Peut-il encore marcher à la tête des nations ?

E Obama va sans doute inverser, en partie, cette tendance au déclin. D’autant que les valeurs américaines de liberté, d’individualisme et de recherche du bonheur continuent à séduire dans le reste du monde. L’Amérique n’est toutefois plus seule à s’exprimer haut et fort sur la scène internationale, comme l’a montré le récent G20, qui réunissait les grandes puissances et les pays émergents. Cela dit, même si elle a perdu de sa superbe, l’Amérique n’arrête pas de nous fasciner, comme en témoigne l’intérêt extraordinaire du monde entier pour l’élection présidentielle. l

Nicole Bacharan a publié récemment Le Petit Livre des élections américaines et Les Noirs américains : des champs de coton à la Maison-Blanche, aux éditions Panama.

Entretien : Olivier Rogeau

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