La musique du silence

Philippe Cornet
Philippe Cornet Journaliste musique

Adam Wiltzie et sa formation A Winged Victory for the Sullen Chamber Orchestra, se produisent dans le programme néo-classique Silence Is Sexy de l’Ancienne Belgique. Repères.

L’AB aime les concepts : d’ici à la fin mai, la salle bruxelloise du boulevard Anspach propose deux soirées sous la bannière Silence Is Sexy. Rien à voir avec la mode burlesque même si le titre vise bien un autre type d’effeuillage, celui de musiques classiques qui cherchent davantage le dépouillement que la surenchère. Le propos existe au moins depuis que John Cage a travaillé, il y a un demi-siècle, sur la notion de silence. Terme volontiers associé aux productions du label allemand ECM, définissant son univers esthétique comme  » le plus beau son après le silence « . Né en 1969 à New York, Adam Willtzie est sans doute cousin ou neveu de ces écoles-là, avec les caractéristiques d’une époque qui démonte les barrières des genres : lorsqu’on le rencontre dans son quartier général bruxellois de la rue des Flandres, en ce début mai, il nous fait entendre sa dernière production, musique de pub pour la dernière sport Range Rover.

C’est le même compositeur, autodidacte, qui sera dans quelques jours en concert à l’Ancienne Belgique, dévoilant de longues compositions fluidifiées par le piano et les cordes, loin de toute idée de consumérisme à moteur.  » Ce sont les gens de l’Ancienne Belgique qui ont eu l’idée de Silence Is Sexy, sans doute parce que notre musique est calme et demande au public une attention particulière « . Comme on peut l’entendre sur un premier album sorti l’année dernière, Wiltzie et son comparse américain Dustin O’Halloran, confectionnent des  » drones « . Comme les avions-espions du même nom, ces saillies sonores évoquent un fleuve qui gronde et grossit jusqu’au climax où le filet d’eau initial devient un véritable Niagara. Ou s’assèche éventuellement sur des accords de clavier évoquant Satie ou Debussy.

Une forme de néo-classicisme aux sensations organiques et tactiles, sans réelle préoccupation de structure évolutive : l’écoute transporte indéniablement loin des géniales gymnopédies de Bach ou Mozart tout en évitant la sécheresse sentimentale du contemporain à la Boulez. Sans doute parce que des compositeurs comme Wiltzie – né en pleine apoplexie Woodstock – ont intégré dans leur ADN diverses cultures pop et plus encore. Le New-Yorkais a d’ailleurs été ingénieur du son en concert pour les groupes Mercury Rev et Flaming Lips, originaux flamboyants de l’actuel rock américain. Chez ce Bruxellois depuis dix ans –  » la ville me rappelle le New York de mon enfance, louche, malodorante et dangereuse [sic] – la lenteur du tempo intègre d’autres sortes d’orages. Cinématographiques, évocateurs lointains de Chopin comme du Floyd – qu’Adam consommait dans l’enfance – redéfinissant dans la frénésie anxiogène de 2012 tout ce qui ramène à une forme de vérité.

La lenteur, la réflexion, le sentiment, la beauté et même des parfums de pureté dans ce monde de brutes soumis au zapping et au décorum du merchandising. Pour aboutir à une expérience sonore, unique et plutôt ravissante.

A Winged Victory for the Sullen Chamber Orchestra est en concert avec Nils Frahm, le 31 mai, à l’Ancienne Belgique, à Bruxelles, qui accueille dans la même série Silence Is Sexy, le 17 mai, Hauschka, Johann Johannsson et Dustin O’Hallmoran. www.abconcerts.be

PHILIPPE CORNET

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