La mort d’un tueur

Olivier Rogeau
Olivier Rogeau Journaliste au Vif

L’assassinat d’Elie Hobeika est-il lié à la plainte déposée à Bruxelles contre Ariel Sharon ? L’ex-chef des milices chrétiennes avait beaucoup d’ennemis…

Le premier choc passé, les Libanais s’interrogent sur les retombées politiques de l’assassinat d’Elie Hobeika, tué le 24 janvier avec trois de ses gardes du corps dans l’explosion de sa voiture, à Beyrouth. S’agit-il d’un acte isolé, pour faire taire un homme qui en savait trop ? Ou est-ce l’annonce d’un retour à des manoeuvres de déstabilisation d’origine étrangère ? Premier souci des autorités: apaiser les appréhensions de ceux qui laissent entendre que l’attentat contre l’ex-ministre et ancien chef de la milice chrétienne des Forces libanaises (FL) peut réveiller les vieux démons de la guerre.

Pendant ce temps, l’enquête piétine, ce qui ne surprend pas vraiment. Des suspects ont été interpellés pour interrogatoire, dont un vendeur de voitures et l’ancien propriétaire de la Mercedes utilisée pour l’attentat, après avoir été bourrée d’explosifs… Mais saura-t-on un jour qui a commandité l’opération ? Les regards se tournent plus particulièrement en direction d’Israël et de son Premier ministre, Ariel Sharon. Il avait, estime-t-on à Beyrouth, tout intérêt à faire disparaître un homme qui, deux jours avant sa mort, avait confié à deux sénateurs belges qu’il s’apprêtait à faire des « révélations » dans le cadre d’un éventuel procès pour crimes de guerre intenté en Belgique contre le chef du gouvernement de l’Etat hébreu. En cause: l’implication de Sharon dans le carnage des camps de réfugiés palestiniens de Sabra et Chatila, qui a fait, en 1982, entre 800 et 2 000 morts.

Une commission d’enquête israélienne avait, un an plus tard, établi la « responsabilité personnelle indirecte » du ministre de la Défense de l’époque dans cette tragédie, ce qui l’avait contraint à la démission. Cette fois, Sharon fait l’objet d’une plainte déposée par 23 Palestiniens sur la base de la loi belge dite de « compétence universelle ». La chambre des mises en accusation de Bruxelles doit statuer, le 6 mars, sur la recevabilité de cette plainte, qui visait aussi, depuis novembre dernier, Hobeika lui-même. Celui-ci « se sentait menacé », indique le sénateur Ecolo Josy Dubié. Le quotidien libanais Daily Star ajoute que l’ancien chef de guerre avait « enregistré sa version du déroulement des massacres de Sabra et Chatila et qu’il avait remis des copies de la cassette à ses avocats ».

La président libanais Emile Lahoud a implicitement accusé Israël d’avoir voulu faire taire un témoin gênant. « Hobeika alourdissait le dossier Sharon et il en savait trop sur le rôle du Mossad, les services secrets israéliens », assure l’analyste politique Joe Bahout. Le Hezbollah, les Palestiniens du Liban et les Syriens ont, eux aussi, mis en cause Jérusalem, qui a immédiatement nié toute implication. Selon les Israéliens, c’est la Syrie qui n’avait pas intérêt à ce qu’Elie Hobeika viennent à Bruxelles, où il aurait pu mettre en lumière le rôle de Damas dans de nombreux attentats commis au Liban. Certains anciens membres des Forces libanaises, estiment, pour leur part, que les Palestiniens sont derrière l’attentat, vengeance tardive des morts de Sabra et Chatila.

Une certitude: Hobeika, 45 ans, ne manquait pas d’ennemis, y compris au sein du camp chrétien, auquel il appartenait. Tueur de sang-froid, il était sorti indemne de quinze années de guerre libanaise et était devenu un inamovible ministre, pion essentiel du régime de Damas. Mais cet homme à tout faire de puissants services secrets, israéliens d’abord, syriens ensuite, devenait encombrant. Depuis la sortie, en 1999, d’un livre publié à l’étranger par un de ses ex-hommes de main, on commençait à trop parler de lui. Ce garde du corps, nommé « Cobra », le dépeint en champion du crime et du sexe. En août 2000, Hobeika échoue aux élections législatives et perd son immunité parlementaire. Quand, en juin 2001, une plainte contre Sharon est déposée en Belgique, l’ex-protégé du défunt président syrien Hafez al-Assad sait que son passé risque de le rattraper.

Olivier Rogeau

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