La misère du monde

Si certains membres de notre gouvernement s’autorisent à larguer des tweets aux relents haineux, à menacer des intellectuels, à faire arrêter des journalistes, à emprisonner des gens dont le seul tort est de ne pas être nés au bon endroit, à tirer sur des fuyards, à intimider les citoyens qui tentent d’aider les réfugiés, et si ce gouvernement tient debout malgré tout, je sais que c’est parce qu’une bonne partie de la population de ce pays où je suis née, où j’habite, permet tout cela.

Ça commence par des petites phrases : […]  » Il y a peut-être des terroristes parmi eux, on ne peut pas prendre ce risque  » ;  » Ils viennent ici pour s’enrichir  » ;  » Ils prennent le travail des Belges  » […]. Et puis, il y a cette sentence péremptoire, qui tue dans l’oeuf tout débat :  » On ne peut quand même pas accueillir toute la misère du monde, hein !  » Derrière ces petites phrases anodines, pas bien méchantes, issues de la  » sagesse populaire « , il y a parfois, souvent en fait, d’autres idées qui germent, beaucoup plus dangereuses, car partagées par beaucoup de citoyens :  » Ils n’ont rien à faire ici, qu’ils dégagent !  » ;  » Qu’ils se débrouillent !  » ;  » On veut rester entre nous.  »

Et là, on est presque content que des dirigeants fassent le boulot à notre place : que l’un d’eux  » nettoie  » le parc Maximilien, qu’il passe des accords foireux avec une dictature, qu’il décide de placer des mineurs en centre fermé, tandis qu’un autre soit à peine  » recadré  » pour avoir traité d’irresponsables des parents dont un enfant est mort… Car derrière la peur de celui qui est différent, il y a du mépris, et cette conscience que nous avons d’être  » supérieurs « . Il y a la méconnaissance profonde des autres cultures, des autres richesses. Il y a notre incapacité à voir en l’autre notre égal, un être humain comme nous qui mérite une vie aussi bonne que la nôtre. Alors on s’en fout. On s’en fout que l’étranger dorme dehors ou qu’il ait tout perdu pour arriver jusque chez nous. On s’en fout qu’il n’ait pas d’avenir, ni dans son pays ni en Europe. On s’en fout qu’il aille en prison. On s’en fout qu’il soit tué…

J’entends à nouveau cette phrase :  » On ne peut pas accueillir toute la misère du monde.  » Mais j’entends aussi cette réponse d’une amie africaine qui disait :  » Nous ne sommes pas des misères !  » Et je vois les visages de ces  » criminels  » qui viennent dormir chez moi : des visages fermés, effrayés parfois, mais qui savent se fendre d’un sourire sincère et si communicatif. Et là je me dis que oui, j’ai choisi mon camp…

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