La mauvaise copie de Turtelboom

En voulant diminuer le nombre des arrondissements judiciaires, la ministre de la Justice risque de faire beaucoup de mécontents. A moins de cent jours des élections, ce n’est pas très adroit…

En France, la simplification de la carte judiciaire a été menée au pas de charge par la garde des sceaux. Pas sûr qu’Annemie Turtelboom (Open VLD) soit notre Rachida Dati. C’est peut-être mieux ainsi, doivent soupirer les opposants à ce projet qui réduirait nos 27 arrondissements judiciaires à 12 entités calquées sur les limites des provinces. A deux exceptions près : la Communauté germanophone et Bruxelles-Hal-Vilvorde, objet d’un accord sui generis déjà bouclé. Autre  » anomalie  » : le futur arrondissement judiciaire de Mons, coïncidant avec la province de Hainaut, serait doté, à la demande du Premier ministre, Elio Di Rupo, d’un second procureur du roi à Charleroi. L’argument ? Eviter une trop grande concentration des pouvoirs.  » Un PR catho à Charleroi et un PR socialiste et franc-maçon à Mons « , traduisent les mauvaises langues.

De fait, la pertinence de la logique provinciale ne saute pas aux yeux. La province de Hainaut compte aujourd’hui 1,5 million d’habitants et a été créée bien avant que Charleroi ne connaisse un boom industriel et ne devienne, grâce à la fusion des communes, la première ville de Wallonie. Néanmoins, son chef-lieu est Mons. Quant à la Communauté germanophone, définitivement à l’abri de toute visée centralisatrice, elle compte 76 000 âmes et, jusqu’à des temps pas si lointains, elle était gérée de façon bilingue au sein de l’arrondissement judiciaire de Verviers. Si l’on regarde vers le nord du pays, la réforme semble davantage convenir, compte tenu de l’exiguïté du territoire et de la densité de population. Cela n’empêche pas les territoires flamands de taille moyenne de se défendre. La fusion des arrondissements judiciaires fait, certes, partie de la bible gouvernementale. Mais, à l’approche des élections communales du 14 octobre, les élites locales pourraient se révolter contre la diminutio capitis que leur mitonne la ministre de la Justice.

Cette réforme – la plus importante depuis 1970 et les travaux du commissaire royal à la réforme judiciaire, Charles Van Reepinghem – est une vieille revendication du CD&V. En 2009, alors ministre de la Justice, Stefaan De Clerck avait failli mettre d’accord les neuf partis démocratiques sur une base de 16 arrondissements. Mais, là aussi, on percevait une méconnaissance des réalités du terrain, au sens géographique du terme. Séparés par plusieurs vallées, Huy et Verviers auraient dû unir leurs destins judiciaires en sautant par-dessus Liège ! La N-VA a torpillé l’épure, ainsi que le PS. Ce dernier ne voulait pas que les juridictions du travail, qui fonctionnent bien, avec les parte- naires sociaux et sans arriéré, soient fondues dans un  » grand tribunal d’arrondissement  » réunissant toutes les disciplines (première instance, jeunesse, commerce, travail, police).

L’actuelle ministre de la Justice, Annemie Turtelboom, est tenue d’exécuter l’accord de gouvernement mais, comme dans d’autres dossiers (prisons, aide juridique), personne ne sait comment elle s’y prend. Seuls deux attachés de cabinets néerlandophones travaillent au projet. La sensibilité francophone est reflétée par Serge Lipszyc, chef de cabinet adjoint et ancien procureur du roi d’Arlon. Peu d’informations filtrent sur l’avancement des travaux. Ce qui inquiète les acteurs de la justice.

Dans sa lettre du 18 juin à Annemie Turtelboom, le premier président de la Cour de cassation, Etienne Goethals, a réitéré l’offre de son prédécesseur de s’impliquer dans la rénovation de l’appareil judiciaire :  » Depuis lors, les réformes prévues se sont accélérées. Les magistrats ont toutefois l’impression qu’ils seront peu impliqués. De nombreuses questions, concernant notamment la portée précise de l’autonomie promise et l’étendue des arrondissements et des conséquences qui en résultent, n’ont pas reçu de réponse. Il est à craindre que la magistrature se verra investie de nouvelles responsabilités sans qu’elle dispose des moyens nécessaires pour les assumer. « 

Président du tribunal de commerce de Verviers, Paul Troisfontaines est plus tranchant dans son courrier du 5 juillet au premier président de la Cour de cassation.  » Nous sommes effarés par la médiocrité technique du projet en cours. On ne supprime pas, sans la moindre concertation avec les intéressés, une septantaine de juridictions pour tout le pays. Il apparaît dans ces circonstances qu’un commissaire royal – soit une personnalité incontestée et si possible un magistrat qui, mieux qu’un universitaire, connaît la complexité du terrain – soit désigné aux fins de procéder aux indispensables consultations et de rédiger un texte à la hauteur de l’enjeu. « 

Même la Commission de modernisation de l’ordre judiciaire, créée par l’ancienne ministre de la Justice Laurette Onkelinx (PS), a été ignorée par la nouvelle. Son vice-président, Jean-Paul Janssens, propose néanmoins ses services :  » Dès que le cadre légal sera défini, il faut un pilote pour avoir la garantie d’une continuité dans le travail de réforme. Ce pilote pourrait être la Commission de modernisation de l’ordre judiciaire, qui a été créée dans ce but en 2006 et dont le site Internet (1) comprend déjà toute une série de projets et d’informations.  » Bref, même de ses partisans, le dossier des arrondissements judiciaires est jugé mal ficelé. Beaucoup doutent qu’il apporte une plus-value dans le fonctionnement et le coût de la justice, hormis pour quelques très  » petits  » arrondissements (Neufchâteau, Furnes). En revanche, la perte de proximité est à peu près assurée.

(1) www.cmro-cmoj.be

MARIE-CÉCILE ROYEN

 » Nous sommes effarés par la médiocrité technique du projet en cours  » Paul Troisfontaines, tribunal de commerce de Verviers

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