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Un nouveau nom peut-il doper un parti? (débat)

Pierre Havaux
Pierre Havaux Journaliste au Vif

Successeur du PSC en 2002, le CDH parie sur un nouveau départ sous une nouvelle identité en 2022, tandis que le président du MR se verrait bien à la tête d’un « Mouvement des libertés ». Pierre Verjans, politologue (ULiège), doute qu’une valse des étiquettes puisse aider l’électeur à y voir plus clair dans l’offre politique.

Un parti politique qui ne change pas son nom est-il en train de devenir l’exception?

On assiste indiscutablement à l’accélération d’un phénomène qui traduit le souci pour un parti de se présenter davantage comme une marque. De plus en plus de partis se posent ce genre de questions et s’engagent dans des opérations de rebranding (NDLR: en stratégie marketing, le repositionnement d’une marque qui s’accompagne ou non de son changement de nom).

De quoi cette évolution est-elle le symptôme?

D’une approche plus consumériste de la politique. Les dirigeants de parti pensent et raisonnent davantage dans une logique d’offre politique qu’en termes de cohésion, de prise en compte des militants, de recours à des congrès de parti, etc. Ils évoluent à l’ère des spin doctors, des conseillers en communication et du marketing politique. Aux Etats-Unis, Donald Trump a développé une vision globale du monde à partir des séries télévisées américaines les plus regardées et de la conclusion que les séries d’ heroic fantasy attiraient plus d’électeurs. Un changement d’appellation de parti s’inscrit dans ce contexte dominé par la nécessité d’améliorer la rentabilité. Cette évolution s’accompagne d’une perte de l’importance du facteur idéologique.

Des appellations de partis politiquement moins significatives contribuent à brouiller les messages envoyés aux électeurs.

Du PSC au CDH, du PRL-FDF-MCC au MR, d’Agalev à Groen, du SP.A à Vooruit, du FDF à DéFI etc… Quel bilan peut-on tirer de cette cascade de changements d’identité observée depuis vingt ans?

Il est difficile de dégager une tendance lourde mais on peut dire que ces passages à l’acte ne fonctionnent pas tellement. On peut citer une exception, quoique plus ancienne: la transformation en 1961 du parti libéral en un Parti de la liberté et du progrès – Partij voor vrijheid en vooruitgang, le PLP-PVV, mais ce changement d’appellation s’accompagnait d’un virage programmatique et d’une rupture idéologique très forte, à savoir l’abandon de l’anticléricalisme. C’est là l’exemple d’un parti devenu pluraliste sur le plan confessionnel qui a réussi son opération, dans le contexte d’une opposition à un gouvernement travailliste. Les changements de noms survenus depuis ces vingt dernières années ont été davantage cosmétiques qu’idéo- logiques. Le passage du PSC au CDH en 2002 ne s’est pas accompagné d’une rupture politique forte.

Pierre Verjans, politologue.
Pierre Verjans, politologue.© BELGA IMAGE

Faut-il y voir une fébrilité, l’indice d’une fuite en avant inquiétante pour un fonctionnement robuste du système démocratique?

A priori, je dirais oui mais sans en être certain. On peut en tout cas interpréter cette évolution comme un signe de légèreté à l’égard du poids de l’histoire d’un parti, de son ancrage historique. En France, le président Emmanuel Macron aurait sans doute pu s’épargner certains problèmes générateurs du mouvement des gilets jaunes s’il avait disposé d’un appareil de parti fort, qui se fasse l’écho des militants de base. On constate que les partis de masse, bien irrigués, permettent à leurs dirigeants de sentir plus rapidement ce qui est train de se produire dans une société et d’ainsi mieux prendre en compte l’état implicite de l’opinion.

Que pense l’électeur confronté à une telle valse d’étiquettes?

Le phénomène ne répond pas à ses besoins les plus prioritaires… Des appellations de partis politiquement moins significatives contribuent à brouiller les messages envoyés aux électeurs, ce qui risque d’accélérer la perte de leurs points de repère, de renforcer ainsi leur inquiétude et, du même coup, la volatilité électorale que l’on s’efforce précisément de maîtriser. L’appellation « Mouvement réformateur » ne dit toujours pas dans quel sens ou dans quelle voie on veut réformer. On prête à son président Georges-Louis Bouchez l’idée de rebaptiser le MR en « Mouvement des libertés » mais le terme « liberté » est mis à toutes les sauces, même Marine Le Pen s’en revendique dans sa campagne présidentielle en France. Le constat vaut aussi pour l’emploi du mot « centre ». On peut bien sûr y voir le souhait de ne pas être étiqueté de gauche ou de droite. En cela, changer de nom est une opération moins risquée dans le chef de partis qui, comme le CDH ou DéFI, sont moins marqués sur l’axe socio-économique, que le PS, Ecolo ou le PTB.

Ces modifications de noms font en tout cas une grande victime: le mot « parti » lui-même, qui est en voie de disparition. Le terme serait-il devenu trop lourd à porter?

Oui, parce qu’il renvoie à la particratie considérée comme une injure. La légitimité des partis de masse s’érode. Les partis ont de plus en plus tendance à fonctionner comme des attrape-tout plutôt qu’à partir d’une base militante liée à une analyse globale de la société, si l’on excepte, côté francophone, le PS et Ecolo ou encore le PTB et leurs structures militantes très fortes. Lorsqu’Elio Di Rupo, président du parti, a envisagé de rebaptiser le PS au début des années 2000, il en a été dissuadé face à des résistances internes et s’est contenté de relooker le logo. Le Parti socialiste est ainsi un des derniers à résister à cette tentation à l’échelle européenne. La volonté de conserver sa marque de fabrique, de ne pas céder à l’effet de mode, permet aussi à un parti de dégager un côté rassurant, y compris auprès d’un électorat clientéliste. Maintenir un nom, c’est une manière d’exprimer la confirmation d’un cap sur le plan des idées comme des pratiques.

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