La Louvière, bastion du collectivisme

A La Louvière, la gauche radicale conserve un fort ancrage local. Mais là comme ailleurs, les militants sont confrontés à un antipolitisme grandissant.

Le ministre libéral Charles Michel était très remonté, le 17 février. Sur les ondes de la RTBF, il a longuement pesté contre  » les bastions ultra-collectivistes  » qui subsistent en Wallonie. Quelles villes ciblait-il ? Mystère. Il n’a cité aucun exemple. En tout cas, pour l’apaiser, on ne lui conseillera pas de séjourner un week-end à La Louvière. A la faveur des élections d’octobre 2006, le parti communiste (PC) y a opéré son retour au conseil communal, grâce à une alliance avec Ecolo. Lors de ce même scrutin, un autre parti marxiste, le PTB, a réalisé une étonnante percée : 4,2 % des suffrages, et un premier élu local à la clé. Autre surprise : les 2 sièges conquis par l’Union démocratique socialiste du Centre (UDSC), une liste locale mise sur pied par des syndicalistes FGTB de Duferco, avec l’appui de l’ancien président du parti communiste. Si on ajoute le parti socialiste (41,7 % des voix), cinq partis de gauche sont donc représentés au conseil communal. De quoi donner des cauchemars à Charles Michel.

A l’intérieur de l’hôtel de ville, dans la salle du conseil, une grande fresque du peintre Roger Somville donne le ton. Intitulée Joseph Jacquemotte à La Louvière, l’£uvre a été récemment acquise par la commune. Elle représente le fondateur du parti communiste belge en plein meeting.  » Lors du vernissage, je me suis dit : à présent, il y a un communiste en peinture dans la salle, bientôt, il y en aura de nouveau un en chair et en os « , raconte Jean-Pierre Michiels, le conseiller communal du PC. Pari tenu. La Louvière, qui n’avait plus d’élus communistes depuis 1994, a retrouvé le goût du rouge vif en 2006. Et, bizarrement, du côté de la gauche  » classique « , on ne s’en plaint pas.  » La présence de conseillers du PC et du PTB donne du tonus au débat, soutient la sénatrice Olga Zrihen (PS), échevine des Travaux à La Louvière. Nous sommes parfois en désaccord sur le réalisme de telle ou telle proposition. Mais ce sont loin d’être des farfelus.  »  » Nous n’utilisons pas le même vocabulaire que le parti communiste, mais nous arrivons aux mêmes constats et aux mêmes propositions, commente pour sa part Muriel Hanot, conseillère Ecolo. Cela n’a posé aucun problème d’établir un programme commun. « 

Dès la sortie de la gare de La Louvière-Centre, le visiteur se retrouve face à face avec les fantômes de Germinal.  » Usine occupée « , avertit un carton posé sur la grille de la faïencerie Royal Boch. Des drapeaux rouges et verts flottent sur le toit du bâtiment, ainsi qu’aux fenêtres. Non loin de là, place Maugrétout, quatre militants du parti communiste se sont donné rendez-vous devant le  » Palais de la bière « . Ce jeudi 23 avril est jour de marché à La Louvière : l’occasion d’une distribution de tracts, la toute première de cette campagne électorale. Devant les échoppes, les conversations se déroulent en italien et en wallon, autant qu’en français. La plupart des clients prennent poliment le papier qu’on leur tend. D’autres sont plus farouches.  » Tous les mêmes !  » grogne un vieil homme.  » En disant ça, vous faites le jeu des partis traditionnels « , répond Jean-Pierre Michels, un peu dépité. Une dame interpelle Stéphane Mansy (34 ans), candidat aux régionales.

– J’ai entendu que vous êtes sur les listes communistes.

– Oui, oui, c’est bien ça.

– S’il vous plaît ! Tu partagerais ta femme et ton fils ?

Face à des passants hostiles à tout discours politique, quel qu’il soit, et souvent hargneux vis-à-vis du PS, les quatre militants du PC en viennent presque à secourir leurs camarades socialistes.  » Dans tous les partis, vous savez, il y a des gens qui font de la politique de façon désintéressée, pour améliorer la vie des gens « , explique patiemment Jean-Pierre Michiels, chaque fois qu’un badaud accuse les politiques de s’en mettre plein les poches.

Le soir, réunion au local louviérois du parti communiste. Au mur : un portrait de l’inoxydable Che Guevara, et quelques vieilles affiches de campagne. Une quinzaine de personnes sont assises autour de la table. Certaines sont membres du parti, d’autres pas.  » Je suis bien marquée à gauche, j’adhère aux idées, mais pas au mot communisme « , confie Nathalie Rozza, une jeune chimiste, candidate d’ouverture sur la liste du PC. Les discussions s’engagent sur les prochaines élections.  » Pour l’Europe, notre liste a reçu le numéro 20. Un bon 20 rouge, ce ne serait pas mauvais « , plaisante Jean-Pierre Michiels. Une militante se renseigne sur les autres listes de gauche radicale qui seront en lice le 7 juin :  » Le PSL, c’est quoi ça ?  »  » C’est l’ancien MAS. Ils ont changé de nom.  »  » Encore ? « 

A La Louvière, d’un parti marxiste à l’autre, le chemin n’est pas long. Lorsqu’on quitte les sympathisants du PC, dix petites minutes de marche suffisent pour atteindre l’antenne locale de  » Médecine pour le peuple « , une organisation satellite du PTB qui propose des consultations gratuites. Après une expérience dans l’humanitaire en Haïti, le Dr Jan Keijzer est arrivé à La Louvière en 1999, un peu à la façon d’un missionnaire. Bien vite, il s’est heurté aux instances de la profession. L’organisation d’une conférence de presse pour promouvoir la médecine gratuite n’a pas plu à l’ordre des médecins, dont le code déontologique interdit toute communication sur leurs tarifs. Convoqué à Mons par la justice de paix, Jan Keijzer a vu plus de 200 personnes se déplacer pour le soutenir. Des militants du PTB, mais aussi des patients anonymes.  » J’ai vraiment été surpris, car notre implantation locale était encore très faible. Cette mobilisation montre bien l’esprit de gauche qui règne ici. Avant de venir à La Louvière, j’ai travaillé pour une maison médicale à Lommel. Je ne suis pas sûr que, là-bas, j’aurais bénéficié d’un tel soutien. « 

FRANÇOIS BRABANT

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