La légende dorée de Confucius

Sa vie a été magnifiée au-delà du raisonnable par ses disciples. Juste avant sa naissance, une licorne aurait même vomi un livre du maître dont la couverture était incrustée de pierres précieuses. L’écrivain français José Frèches (*) rétablit, pour Le Vif/L’Express, sa vérité.

Maître Kong, également appelé Kongfuzi – nom que les jésuites portugais latinisèrent en Confucius – n’aurait pas eu l’aura qui fut la sienne s’il n’avait vécu dans une Chine en proie à une crise politique profonde. La vie de maître Kong, né en 551 avant Jésus-Christ, est assez bien connue, grâce à ses Entretiens (ou Analectes) parsemés d’anecdotes permettant d’en retracer de nombreux épisodes, comme c’est le cas des Evangiles pour le Christ, même si les propos qu’y tient le maître ont, semble-t-il, été rédigés par ses disciples. Pendant près d’un siècle, les Analectes furent redécoupés, complétés, enjolivés, jusqu’à ce qu’il soit décidé, vers 400 avant Jésus-Christ, de ne plus rien toucher, tant la parole de Confucius était devenue sacrée.

Quand on fait abstraction, dans ces Entretiens, des commentaires écrits  » pour les besoins de la cause  » – en l’espèce, celle du respect de l’ordre établi -, on y découvre un Confucius très différent du portrait brossé par ses nombreux thuriféraires. Et à mille lieues de l’image véhiculée aujourd’hui de conservateur nostalgique ou moralisant, arc-bouté sur le respect des rites et vitupérant son époque. Passionné et sensible, maniant volontiers l’humour, capable de colère, ce grand amateur de musique pouvait cesser de manger de la viande pendant trois jours, tant il avait été ému par une mélodie ancienne. Cavalier émérite, il savait dresser un cheval et excellait au tir à l’arc. Pédagogue hors pair, il procédait davantage par la litote que par l’affirmation péremptoire, afin d’amener son interlocuteur à raisonner plutôt que de lui asséner sa propre vérité. Dans certains passages de ces Entretiens, on le voit aussi douter de lui-même et porter un regard lucide sur sa vie. Le propre des grands philosophes.

Lorsque Confucius voit le jour, l’empire Zhou, exsangue, a laissé place à une constellation de petites principautés qui guerroient les unes contre les autres et dont les roitelets sont de moins en moins respectueux des rites. Orphelin, le jeune Kong se lance à corps perdu dans l’étude des textes anciens, contrairement à la plupart des nobles de sa caste, qui passent leur temps à chasser et à s’amuser. Précoce en tout, il est précepteur dès l’âge de 17 ans, se marie à 19 ans et devient père l’année suivante.

Si Confucius avait été moins intransigeant, ses remarquables capacités auraient pu mener l’homme complet qu’il était à de très hautes fonctions gouvernementales. Mais son honnêteté intellectuelle, sa rigueur morale et son idéalisme lui jouent plus d’un tour. Ce n’est donc qu’à l’âge de 53 ans, après avoir exercé des fonctions subalternes, qu’il obtient son bâton de maréchal avec un poste de ministre de la principauté de Lu, fonction dont il démissionne au bout de quelques mois. D’après les Entretiens, il reprochait au duc de Lu de préférer la compagnie de danseuses à l’exercice du pouvoir.

Il était tout le contraire d’un prophète

Cet accident de parcours marque un tournant capital dans la vie du maître, car, avant sa démission, Confucius était écartelé entre des aspirations contradictoires. A la fois fonctionnaire devant faire carrière, donc plaire et obéir à son supérieur, et professeur désireux de transmettre sa morale intransigeante, Confucius, après cette rupture, n’est plus le même. Il se met en accord avec sa pensée et  » lâche prise « . L’homme de pouvoir est devenu un  » sage « . Il prend du recul, et dispense ses conseils à ceux qui veulent les entendre, toujours suivi par ses disciples. Mais ce puits de science ne réussit pas à convaincre un prince de s’attacher durablement ses services. Il meurt en 479 avant Jésus-Christ, réfugié dans ses livres et à l’écart de la politique.

La pensée qu’il laisse est limpide. Elle prône le perfectionnement individuel et le respect d’autrui, sans lesquels la vie en commun est impossible. Le modèle vers lequel doit tendre l’individu est, selon lui, celui de l' » homme de bien « , qui se définit par rapport à  » l’homme de peu d’envergure « . L’homme de bien  » apprend avec plaisir « ,  » se réjouit d’avoir des amis venus de loin « ,  » se conforme aux rituels « , sait  » nourrir ses racines  » en cultivant la piété filiale et l’amour fraternel, ne parle pas trop vite et fait montre de calme et de modestie en toute circonstance. L' » homme de bien  » doit également se méfier de tout ce qui est excessif. Enfin, les qualités morales sont, selon lui, supérieures aux qualités intellectuelles.

Confucius est tout le contraire d’un prophète. Il ne vient pas délivrer à ses contemporains – nostalgiques de l’âge d’or chinois où l’empire était uni – un message caché ou annoncer l’apocalypse, mais il les exhorte à la repentance pour y échapper. Confucius, qui se vantait de  » transmettre sans rien inventer « , croyait en l’homme, à sa générosité, à sa capacité à vivre en société. Son optimisme était très en avance sur son époque…

Le confucianisme a irrigué l’Asie. La Corée (du Sud), le Japon, Taïwan et Singapour ne seraient pas ce qu’ils sont devenus s’ils n’étaient pas des territoires confucéens. Le respect de la règle, la soumission à la hiérarchie, la considération due aux personnes âgées, le goût du travail bien fait ont permis à ces pays asiatiques de devenir des géants économiques.

Il en va de même de la Chine actuelle, où Confucius est revenu en force, après avoir été banni de celle de Mao, qui le qualifiait de  » pilier de l’ordre ancien « . Cette réhabilitation fut l’oeuvre de Deng Xiaoping, qui avait bien vu en quoi l’idéologie confucéenne peut s’appliquer à toutes les situations et à tous les régimes. Le concept de  » société harmonieuse  » développé par les dirigeants chinois actuels en est la preuve. L’enseignement du philosophe a même pris une  » dimension globalisée « , comme l’illustre le cas du  » confucianisme de Boston « , courant né à Harvard selon lequel la pensée de maître Kong peut répondre à la nécessité, pour les sociétés humaines post-modernes, de s’élever au-dessus du principe de la loi du plus fort et de s’extirper des travers dont elles souffrent. Et si la gloire de Confucius n’en était qu’à ses débuts ?

(*) Ecrivain, historien de l’art, ancien conservateur au musée Guimet, à Paris, et grand connaisseur des civilisations asiatiques, José Frèches est notamment l’auteur de Moi, Bouddha et de Moi, Confucius (XO Editions). A lire, du même auteur, La Vie de Bouddha illustrée (XO Editions/ Chêne).

Un sage à mille lieues de l’image véhiculée aujourd’hui de conservateur nostalgique ou moralisant

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