La kermesse exotique

Guy Gilsoul Journaliste

Fantasmes ou réalités ? Le musée gantois du Docteur Ghislain passe en revue les images de l’homme pas tout à fait comme nous, objet d’études scientifiques ou attraction pour shows ethniques, foires ou zoos !

Entre fantasme et curiosité, imaginaire et observation, science et approximation, l’histoire des rapports entre les habitants des terres lointaines et  » nous  » s’est construite à la fois en laboratoire et à travers des spectacles populaires organisés jusque dans les zoos. Dès 1810, en Angleterre, on se bouscule pour voir la Vénus hottentote. Son énorme postérieur et ses lèvres vulvaires pendantes sont alors interprétées comme le signe même d’une sexualité effrénée, voire animale. A sa mort survenue à Paris, le Muséum d’histoire naturelle va disséquer son corps et garder ses parties génitales dans le formol. Jusqu’en 1976, ses ossements et le moulage en plâtre de son corps constitueront même une des grandes attractions du musée parisien.

On sait d’autre part que les expositions universelles auront souvent été l’occasion de reconstitutions forcées. A Paris, Bruxelles ou Amsterdam, ils sont parfois plus de 200 à avoir été embarqués de gré ou de force pour jouer au bon sauvage sous la pluie et le froid. Parfois, l’expérience a des conséquences inattendues. Ainsi, si le village philippin proposé lors de l’exposition de Gand en 1913 effraie, il en va tout autrement des fêtes sénégalaises qui attirent surtout les Gantoises très vite conquises par la beauté des hommes et leur pouvoir de séduction. Mais assez vite, ce genre de spectacle devient aussi rentable financièrement. On importera des spécimens depuis les zones les plus sauvages. Cela se passe dans les cirques ou dans les zoos. On vient voir les cannibales d’Australie, les Sioux combattent Buffalo Bill à Gand, les Pygmées jouent aux lilliputiens… Les Africains répondent à d’autres fantasmes même si  » leur langue tient des grincements d’une machine à vapeur « . Leur nudité trouble l’£il. On les dévore du regard comme les filles de Samoa à qui, dans un show public, les hommes peuvent parler, offrir un verre puis deux puis les embrasser. De même, sous la tente des bédouins reconstituée, les danses du ventre attirent tous ceux que la valse ennuie. Et que dire de la reconstitution d’une bataille entre des soldats allemands et les Amazones du Dahomey, belles à en mourir et terrifiantes dès qu’elles prenaient les armes.

En 1846, le directeur du zoo d’Anvers reçoit un bien étrange colis venu en droite ligne d’Afrique par bateau. Aux oiseaux qu’il avait commandés, s’est ajouté, en cadeau, un petit enfant qu’il adopte aussitôt. Jefke sera exposé au zoo et ce jusqu’à la fin de sa vie. Il ne sera pas le seul être humain à attirer dans d’autres zoos européens la curiosité des visiteurs.

La science explique

Par ailleurs, la science se penche aussi sur ces hommes venus d’ailleurs. Où est l’homme pas tout à fait homme qui ferait le lien entre l’animal et nous ? Pour le savoir, le Hollandais Petrus Camper (1722-1788) a disséqué un grand nombre d’  » étrangers « . En observant la forme de leurs crânes, il s’aperçut que l’angle du visage des Africains et des Asiatiques était en moyenne de 70° alors que celui des Européens était de 80°, voire même 90° dans les statues grecques classiques. De là à conclure que les premiers étaient plus proches du singe que les Européens, il n’y avait qu’un pas. Aussitôt franchi, avec objectivité au nom d’une nouvelle pseudo-science : la cranométrie.

L’étranger a toujours fasciné au risque même de prendre cet autre en otage de ses propres fantasmes refoulés. Aujourd’hui, l’homme a-t-il changé ? Le succès de l’émission télévisée Toast-Kannibaal sur la VRT par exemple peut nous en faire douter.

L’homme exposé, les autres cultures comme amusement, musée du Docteur Ghislain. Jusqu’au 13 septembre. Jozef Guislainstraat 43, Gand. Du mardi au vendredi, de 9 à 17 heures. Les samedis et dimanches, de 13 à 17 heures. www.museumdrguislain.be

GUY GILSOUL

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