Pascal Simbikangwa condamné en appel par la cour d'assises à 25 ans de prison pour génocide. © BERTRAND GUAY/BELGAIMAGE

La justice française face au génocide des Tutsis

La justice rendue peut-elle être autre que morale ?, s’interroge Fabrice Epstein, avocat d’un Rwandais reconnu coupable en France de génocide.

A Paris, lorsqu’il est question de Kigali, rien n’est simple. Et la réciproque est vraie. Car depuis les années 1960, la France et le Rwanda entretiennent des relations erratiques, ambiguës ; elles évoluent en fonction des changements de régime et du temps qui passe. Politiquement, elles sont difficiles à interpréter. En revanche, sur un plan judiciaire, depuis la condamnation de Pascal Simbikangwa en 2014 par la cour d’assises de Paris, les choses sont claires : il faut mettre en prison les génocidaires hutus qui foulent le sol du pays des droits de l’homme, de l’asile et de la liberté. Peu importe si le temps a été long pour arrêter une position définitive. La justice française est désormais univoque : le génocide des Tutsis a été préparé par des extrémistes hutus, défavorables à la politique du président Habyarimana, résumée dans la conclusion des accords d’Arusha, jugés équilibrés par les observateurs avertis. Les Tutsis sont les saints, les Hutus les monstres. Et gare à celui qui penserait autrement, il serait un négationniste en puissance et en acte.

Fabrice Epstein, avocat.
Fabrice Epstein, avocat.© DR

Des membres de ma famille ont connu la mort à Auschwitz. Pour autant, j’ai défendu l’accusé Pascal Simbikangwa. Pour ce faire, j’ai dû désapprendre, ou plutôt apprendre à douter, à sortir du discours ambiant qui condamnait, avant tout jugement, ce capitaine en chaise roulante. Car Simbikangwa avait été capitaine de l’armée, garde du corps du président Habyarimana, membre des services de renseignement. Pour l’accusation, il représentait le coupable idéal. Son discours empruntait à celui des génocidaires patentés, mélange de réfutations opportunistes et de réflexions paranoïaques. Simbikangwa vilipendait la justice française, l’accusant d’être instrumentalisée par les autorités de Kigali, produisant des faux témoignages en série. Quand j’ai rencontré Pascal Simbikangwa pour la première fois à la prison de Fresnes, j’avoue avoir été insensible à ce discours. Comment croire que la plupart des témoins localisés au Rwanda étaient corrompus jusque dans leurs respirations ? Et que le gouvernement de (saint) Paul Kagame n’avait d’autre objet que de condamner la population hutue, au détriment d’une réconciliation souhaitée par son peuple ? Pourtant, au fur et à mesure de l’instruction, les accusations s’effritaient. Elles semaient le doute au profit de la version défendue par Simbikangwa. Les témoins de Kesho, une colline du nord du Rwanda, achevaient de me convaincre. Sur ce lieu où près de 1 600 Tutsis périrent, les rescapés comme les assaillants identifiaient Simbikangwa comme le grand ordonnateur du massacre. En choeur, ils le voyaient marcher vers ses victimes à terre et sans défense. Or, handicapé depuis 1986, l’homme ne peut se déplacer qu’en chaise roulante. Dans une affaire qui juge des faits datant de plus de vingt ans, et qui, essentiellement ne peut s’appuyer que sur des témoignages, parfois confus, souvent contradictoires, la justice rendue peut-elle être autre que morale ?

Le hasard voulut que Simbikangwa fut le premier à goûter au jugement d’une cour d’assises. A l’audience, le président ne cachait pas sa volonté de condamner l’accusé. Malgré des débats menés avec doigté, il n’hésitait pas à rattraper des témoignages erronés et parfois fabriqués de toutes pièces. L’accusation et les parties civiles souhaitaient faire de Simbikangwa un exemple. Il faut dire que le calendrier ne jouait pas en la faveur de l’accusé : quelques semaines après la date prévue du délibéré, le monde se devait de commémorer le 20e anniversaire du dernier génocide du xxe siècle. Dès lors, l’accusé et ses avocats faisaient figure d’hérétiques. Chaque mot suscitait une désapprobation manifeste de la cour ou du public. C’est l’émotion qui régnait en maîtresse absolue au sein de la cour. L’adage selon lequel le doute doit toujours profiter à l’accusé avait été battu en brèche. Or, dans le dossier Simbikangwa, le doute collait à la peau des témoignages les plus accablants. Il s’en fallut de peu pour qu’il l’emportât. La parole de Kigali était plus forte. Toute autre parole était cadenassée. Elle continue de l’être. La moindre rupture avec la doxa est considérée comme une insulte au visage des victimes du génocide.

La justice française face au génocide des Tutsis

La justice française du génocide n’a pas encore trouvé sa voie. Avec l’affaire Simbikangwa, et celle plus tardive des bourgmestres Octavien Ngenzi et Tito Barahira (1), elle s’est donnée bonne conscience, condamnant près de vingt ans après des Rwandais hutus. Ce fut la première fois qu’elle employait le terme génocide, à la différence des accusés français impliqués dans la Shoah, condamnés pour crimes contre l’humanité et crimes de guerre. Si la justice voulait réconcilier les forces en présence, elle pourrait s’inspirer de cette histoire vraie d’une simplicité biblique : au blanc, qui, dans une échoppe d’un pays d’Afrique, demandait au vendeur noir si la statue qu’il tenait dans les mains était vraie ou fausse, le camelot lui répondit, en hésitant,  » c’est entre les deux « . La moitié du chemin serait alors accomplie.

Un génocide pour l’exemple, par Fabrice Epstein, Cerf, 312 p.

(1) Bourgmestres de Kabarondo, ville du sud-est du Rwanda, condamnés pour génocide et crimes contre l’humanité par la cour d’assises de Paris en 2016 et 2018.

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