Olivier Vergeynst, directeur de l'Institut belge du numérique responsable (Isit-Be).

« La hausse des usages contrecarre les gains d’efficacité des grands data centers »

Pour Olivier Vergeynst, directeur de l’Institut belge du numérique responsable (Isit-Be), les investissements prévus par Microsoft sont l’occasion de faire remonter cette nécessaire valeur dans l’agenda politique. Mais accentuent aussi l’effet rebond du numérique.

La construction de trois nouveaux data centers est-elle incompatible avec un usage du numérique durable et responsable?

Non, clairement pas. De toute façon, le développement du numérique s’accélère et s’avère positif dans plusieurs domaines. A usage équivalent ou à croissance maîtrisée, les grands data centers sont une bonne chose, puisqu’ils sont moins énergivores que l’addition de petites infrastructures. Parmi les impacts d’un data center, il y a évidemment la consommation et le refroidissement, mais surtout la fabrication des équipements. Plus les échelles sont grandes, plus ces impacts sont faibles, puisque l’on a besoin de moins de redondances. Malgré le peu d’informations circulant sur les grands data centers de Google ou Microsoft, on sait que leurs machines sont spécialement conçues pour cet usage, ce qui est plus efficace.

L’arrivu0026#xE9;e de ce type d’acteurs renforce aussi la problu0026#xE9;matique d’un mix u0026#xE9;lectrique sans nuclu0026#xE9;aire et de sa du0026#xE9;carbonation.

A usage équivalent, précisez-vous. Or, la consommation de données en provenance du cloud explose…

Il faut tenir compte des objectifs commerciaux de ces grands acteurs, qui conçoivent leurs services de manière à ce que nous les utilisions toujours plus. La hausse fulgurante de ces usages contrecarre totalement les gains d’efficacité énergétique des data centers. L’un des grands enjeux, c’est la définition du niveau de digitalisation que l’on estime utile ou pas, sachant que l’impact principal du numérique est lié aux équipements des utilisateurs.

A l’heure actuelle, tout ce qui semble concourir à davantage de numérique semble, au contraire, positivement accueilli par le politique…

C’est une tendance mondiale. Et même si la Commission européenne mène des travaux pour réduire les impacts du numérique, c’est toujours dans cet esprit de fuite en avant. De quelle société voulons-nous? Ce débat fait défaut à l’heure actuelle. A l’échelle belge mais plus encore à celle de l’Europe, puisque c’est là que l’on peut davantage changer les choses. En France, plusieurs élus se sont saisis de la problématique, mais elle est toujours perçue comme un frein à la compétitivité économique.

Avez-vous l’impression que Microsoft s’engage, au moins en partie, dans une logique basée sur le numérique responsable?

De ce que je perçois, Microsoft est le grand acteur qui pousse le plus loin la réflexion. Il se montre davantage transparent par rapport à l’impact de l’utilisation de ses services. Depuis près de deux ans, les grandes peuvent accéder à un outil permettant de calculer l’empreinte carbone liée à l’utilisation d’Azure (NDLR: le nom de la solution complète de Microsoft pour l’informatique en cloud). Il prévoit la même chose pour l’application de visioconférence Teams et la suite Office (Word, Excel, etc.). Pour des raisons de secret industriel, on ne peut pas savoir si les estimations de Microsoft sont correctes, mais c’est déjà plus que ce que font Google et Amazon. Cela dit, le groupe continue à accroître la capacité informatique pour le secteur des énergies fossiles, ce que Greenpeace lui avait reproché il y a quelques années.

S’ils n’étaient pas prévus en Belgique, les data centers annoncés par Microsoft auraient été construits ailleurs. A choisir, est-ce un moindre mal?

Le fait d’avoir un écosystème IT qui grandit en Belgique est une façon d’avoir plus de poids dans la politique informatique globale, et donc d’insister potentiellement sur nos valeurs, dont le numérique responsable. C’est ce que l’Europe a réussi à faire avec le Règlement général sur la protection des données, par rapport à l’usage des données personnelles. A l’échelon belge, l’arrivée de ce type d’acteurs renforce toutefois la problématique d’un mix électrique sans nucléaire et de sa décarbonation. En misant certes sur les énergies renouvelables, ils en prélèvent une partie du potentiel au détriment d’autres secteurs, tandis que l’installation de leurs propres champs de panneaux photovoltaïques peut être discutable en termes d’artificialisation des sols.

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