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La guerre du fieu

Où il est question de Bobette (sans Bob), d’un vieil espion belge et d’accent marseillais.

 » Tu nous remets un pastaga ? Sauf au minot. Lui, il est déjà niasqué. Il a la houppe qui chaloupe (1). Il était 21 heures, ce 30 mars, dans le Geyser, comme partout, en Belgique. A une table, une gamine au crâne d’oeuf, une longue femme efflanquée, mi-gazelle, mi-olive, un chauve bedonnant d’âge moyen et un minot roux à la houpette, se disputaient aux cartes.

On joue à la muette, oh con ! T’es pas là pour causer à tout le monde, Lambique ! qu’il lança, le minot-ket à l’accent du Midi.

Oh, mazette, Ricky, tu vas arrêter de m’emboucaner, oui (2) ?

Mais je dis rien, moi, oh ! Je réfléchis, bonne mère !

Le Fleuri, qui faisait le service, ce soir-là, ça le fit rire, cet échange aux accents de soleil, de pins parasol et d’anis. Et quand il riait, c’était comme une dégringolade de perles sur du marbre : un truc si joli qu’il n’avait jamais dû exister, auparavant.

A quelques pas de la tablée méditerranéenne, un vieux monsieur balisait sévère. Faut dire qu’il n’avait pas le faux passeport belge qu’il avait promis au jeune à la houpette rousse, impliqué présentement dans le pugilat oral marseillais (3).

– Quand tu me parles comme ça, quand tu t’enfades, quand tu m’espinches comme si j’étais un moins que rien, eh bé, ça me fait de la peine, Ricky, qu’il dit, Lambique.

– Il nous fend le coeur (qu’elle ajouta, Sidonie). Pas vrai, Bobette, qu’il nous fend le coeur ?

– Siou pas plus con que tu, ho (qu’il embraya, Ricky) ! Moi, au moins, j’ai encore assez de musique dans le coeur, tout fendu qu’il est, pour faire danser ma vie .

Les sangs s’échauffaient. Et puis, comme un volcan en éruption, tout le monde se leva d’un coup, prêt à en découdre. Ricky aperçut alors le mystérieux papet avec lequel il avait rendez-vous, qui courait vers la porte, comme dynamité sous les fesses. Le Fleuri l’avait vu aussi, le fuyard maigrelet.  » Hey, fieu, tu vas où ?  » qu’il éructa. Quant à Bobette, elle lui tomba carrément dessus, au papet, avec cette énergie, ce plaisir d’enfant, ce plaisir de vivre, celui qui fabrique, avec trois fois rien, tous les mystères, toutes les castagnes, toutes les aventures du monde (4). Elle le tabassa vigoureusement, l’assomma avec une bouteille de pastis et finit par décréter, façon Pétrone, dans le Satyricon, mieux vaut un bel engin qu’un beau génie.

Mais c’est pas tout ça : l’heure tourne ! Où est encore passé le serveur ? S’agirait pas de louper le film qui va démarrer, à 20h15, sur la Une.

(1) En 1966, De Standaard et Dargaud ont adapté Bob et Bobette au public français. Pendant six albums, nos Belges furent transposés à Marseille.

(2) Le 30 mars 1945, Bobette apparut, pour la première fois, dans De Nieuwe Standaard. Dans ce premier épisode, c’est Ricky, aujourd’hui rayé des mémoires, qui accompagne sa soeur, et non Bob.

(3) Un ancien diplomate belge de 87 ans, Pol G., aurait divulgué des infos au KGB et fourni de faux passeports belges (lire aussi Le Vif/L’Express du 1er mars dernier).

(4) Depuis janvier, les éditions Standaard confient, chaque année, la réalisation d’un nouveau Bob et Bobette à un.e scénariste et dessinateur.trice différent.e.s. Cromignonne, par Yann et Valkema, vient de sortir.

Un tiers de fiction, un tiers de dérision, un tiers d’observation. Et un tiers de réalité.

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