La guerre de réoccupation

Les chars de l’armée israélienne en Cisjordanie – demain dans la bande de Gaza? – poussent Arafat et la population palestinienne dans une situation invivable

« Je préfère le martyre à l’exil! ». Selon certains de ceux qui l’entourent dans ce qui reste du « Moukhata » (son quartier général de Ramallah, en grande partie détruit), Yasser Arafat a réagi par le mépris à « l’offre publique » faite mardi 2 avril par le Premier ministre israélien Ariel Sharon. En tournée parmi ses troupes stationnées dans la banlieue de Tulkarem, celui-ci a en effet proposé au président palestinien de quitter la ville en hélicoptère « à condition qu’il parte seul et qu’il s’agisse d’un aller simple ». Autrement dit: qu’Arafat retourne en exil, dans un quelconque pays arabe. « Cette idée l’a beaucoup fait rire, malgré le tragique de la situation », affirme Neta Golan, une Israélienne mariée à un Palestinien et qui partage la cause de son époux à l’intérieur du « Moukhata ». « Le président nous répète, jour après jour, qu’il ne s’en ira pas et qu’il mourra les armes à la main, s’il le faut », dit-elle. « Dans sa bouche, le mot « chayid » (martyr) revient de plus en plus souvent ».

Selon Neta Golan, les conditions de vie du président palestinien se sont considérablement dégradées depuis le déclenchement de l’opération « Rempart de protection » jeudi dernier.

L’alimentation électrique est irrégulière, l’eau manque, les vivres sont distribués au compte-gouttes par les Israéliens, et le réseau « Jawal » (le système palestinien de téléphone cellulaire qui permettait aux assiégés de rester en contact avec l’extérieur) est souvent coupé.

Mais le président palestinien et trois cents personnes de sa suite ne sont pas les seuls à vivre des moments terribles car depuis six jours, c’est l’ensemble de la population palestinienne de Cisjordanie qui connaît les affres d’une nouvelle occupation à régime sévère. En effet, après Ramallah, Bethléem, Tulkarem, Jénine, Kalkilya et Naplouse, d’autres villes de moindre importance, telle Salfit, ont été envahies par Tsahal, l’armée israélienne. Selon des fuites en provenance de l’état-major, la bande de Gaza subira le même sort dans les prochains jours. « Le modus operandi des Israéliens est relativement simple », explique le Dr Moustafa Barghouti, le responsable du Croissant-Rouge palestinien. « Lorsqu’ils vont envahir une ville, ils commencent par couper son alimentation électrique durant toute la nuit, ce qui permet à ses troupes d’élite, armées de lunettes spéciales et de matériel électronique, d’y pénétrer plus facilement. Ensuite, ils coupent l’eau volontairement ou non (NDLR : le poids des chars fait éclater les canalisations mal entretenues) et ils proclament un couvre-feu qui interdit à toute personne de se trouver dans la rue, sous peine d’être abattue sans sommation ».

A cela, Barghouti pourrait ajouter que Tsahal proclame les zones conquises « zones militaires fermées » et que les journalistes y sont interdits de séjour. La même interdiction est de mise pour les consuls des quinze pays membres de l’Union européenne. L’Etat hébreu leur refuse obstinément le droit de rencontrer leurs ressortissants qui n’auraient pas été évacués avant le début des combats (jeudi dernier, trois Belges ont été rapatriés in extremis de Ramallah dans la jeep blindée du consul général Léo D’Aes).

Dans la salle de presse du Palais des expositions de Jérusalem, les porte-parole israéliens, mobilisés sept jours sur sept pour tenter d’expliquer la politique de leur gouvernement aux 800 reporters étrangers venus renforcer les 400 correspondants permanents, ont beaucoup de mal à justifier le comportement des soldats de Tsahal. Car les exécutions sommaires se multiplient (les vingt-cinq casiers réfrigérés de la morgue de l’hôpital de Ramallah ne suffisant plus, les cadavres sont enterrés dans un parc voisin). De même que les vols d’argent constatés par des civils palestiniens après que les unités spéciales de l’Etat hébreu eurent fouillé leur maison.

Une détermination inflexible

« Nous sommes en guerre », explique pourtant Roni Daniel, le chroniqueur militaire de la deuxième chaîne de télévision israélienne (privée). « Il y a peut-être quelques exactions çà ou là, mais nos soldats se tiennent bien. Ils ont une mission à remplir et ils le feront ». La détermination de Sharon semble d’autant plus inflexible que l’opinion publique le suit. Et que les deux tiers des Israéliens se déclarent « favorables à l’expulsion d’Arafat des territoires ». Car les attentats-suicides de la semaine passée continuent de semer la mort: neuf jours après l’explosion de l’hôtel Park (Natanya), une vingt-cinquième victime est décédée jeudi matin. Presque au même moment, la mort d’un blessé (le quinzième) dans l’attentat du restaurant Matza (Haïfa) a également été enregistrée. « Aucun gouvernement au monde ne resterait les bras croisés s’il devait enterrer une vingtaine de ses ressortissants tous les jours », a aussitôt réagi le ministre de la Défense israélienne Binyamin Ben Eliezer. « Dans le courant du seul mois de mars, 124 civils israéliens sont morts des suites d’un acte de violence (NDLR : le quart de toutes les pertes israéliennes depuis le déclenchement de l’Intifada) et 693 autres ont été blessés, dont certains resteront handicapés à vie. Qui osera nous forcer à avaler cela en disant merci ? »

Pour donner plus de poids à ses arguments, l’Aman (les renseignements militaires israéliens) a rendu public cette semaine un document à en-tête des « Brigades des martyrs Al Aksa » (la branche du Fatah – le parti d’Arafat – qui a revendiqué le plus grand nombre d’opérations kamikazes depuis six mois), prétendument découvert dans un bureau du « Moukhata ». Dans cette lettre adressée à Fouad Choubaki (le conseiller financier d’Arafat déjà soupçonné d’avoir organisé un trafic d’armes pour l’Autorité palestinienne avec le bateau Karine A), les responsables de cette organisation réclament de l’argent pour acheter des armes et des balles. Ils évaluent également le coût de chaque opération-suicide.

En supposant que ce document soit vrai – ce qui est impossible à vérifier – il établirait un lien direct entre le président palestinien et les opérations kamikazes. Justifie-t-il pour autant les conditions de vie imposées depuis une semaine à l’ensemble de la population palestinienne de Cisjordanie et bientôt de Gaza ? « Nous constatons que les ambulances palestiniennes présentes dans les villes conquises par Israël ne peuvent pas faire leur travail », affirme un responsable de l’organisation de défense des droits de l’homme « Al Hak » (la loi), dont les bureaux ont été saccagés par les soldats de Tsahal, le premier jour de l’invasion de Ramallah. « Des médecins ont également été arrêtés et des véhicules, confisqués. Je n’appelle pas cela lutter contre le terrorisme ».

« En envahissant notre ville, les blindés israéliens ont ravagé une partie de son coeur historique » (NDLR : partiellement rénové grâce à des subsides belges), raconte Dana, une étudiante chrétienne de Bethléem, confinée dans son appartement depuis trois jours. « Des églises, un couvent et un orphelinat chrétiens ont été visés par des tirs. Un prêtre italien a été tué et six religieuses ont été blessées. Nous avons peur que cela nous arrive aussi ». C’est peu probable. En revanche, les observateurs ne donnent pas cher de la peau des 120 combattants des « Brigades des martyrs Al Aksa » et du Hamas (dont 20 blessés) qui ont trouvé refuge dans l’église de la Nativité mercredi matin. Car ceux-là, Tsahal les veut morts ou vifs et les appels à la clémence des organisations internationales à leur propos ne sont pas sa préoccupation principale.

Serge Dumont

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire