Tomate-crevette version gastronomie, par Christophe Hardiquest. Une recette typique de Bruxelles. © debby termonia

La gastronomie, métaphore de la Belgique

Olivier Mouton
Olivier Mouton Journaliste

Une Flandre à la conquête du monde, une Wallonie au redressement trop lent et un ciment bruxellois entre les deux : la haute cuisine belge reflète l’évolution du pays. Jusque dans les saveurs de nos plats, aux accents de plus en plus locaux et écologistes.

Une Belgique coupée en trois entre Flandre, Wallonie et Bruxelles. Un pays qui a tendance à perdre de son rayonnement international, trop préoccupé qu’il est à se regarder le nombril d’une crise politique à l’autre. C’est, une nouvelle fois, ce qui est apparu à la lecture des palmarès des guides gastronomiques de cette fin d’année 2019. Aucun nouveau restaurant 3-étoiles belge n’a été admis dans le guide Michelin, toujours dominé par le  » pape  » de la gastronomie nationale, Peter Goossens, triplement étoilé depuis 2005. En Flandre, la surprise est venue de Jan Tournier, 38 ans, chef du Cuchura, à Lommel, seul nouveau restaurant 2-étoiles. Il ouvre la voie à une nouvelle génération de jeunes pousses qui décrochent une étoile, dont Ruige Vermeire du L.E.S.S, à Bruges, biberonné à l’école des ex-3-étoiles d’Hertog Jan. En Wallonie, deux jeunes lumières brillent. Jean Vrijdaghs et Sébastien Hankard se voient décerner un double titre de révélation de l’année, à la fois au Michelin et au Gault&Millau, onze mois à peine après avoir rouvert Le Gastronome, à Paliseul. Mais derrière eux, c’est la Bérézina ou presque, à l’image d’une Wallonie qui peine à concrétiser son redéploiement. Quant à Bruxelles, elle attendra une année encore le successeur des illustres 3-étoiles de l’époque Comme chez soi – Villa Lorraine – Bruneau.

C’est un pauvre Michelin, mais cela montre qu’il y a des places à prendre.

 » C’est un pauvre Michelin, c’est sûr, mais il montre qu’il y a des places à prendre « , rétorque Christophe Hardiquest, chef du Bon Bon, à Bruxelles, qui était un des prétendants à la consécration des 3-étoiles. Certains critiques étrangers, à l’image de la Française Raphaële Marchal, prétendent depuis quelques années que  » la Belgique est le nouveau Danemark « , terre illustre de la cuisine d’exception depuis la révolution Noma en 2004. Une évolution marquée par un retour aux sources, orientée vers le produit et le terroir, avec des considérations écologistes.

La stratégie offensive flamande

Lorsqu’on lui demande si la gastronomie belge est la métaphore de notre pays, y compris dans ses évolutions fédérales, Jean-Pierre Gabriel n’hésite pas un seul instant :  » Elle l’est ! « . Critique gastronomique, notamment pour Le Vif Weekend, grand connaisseur des écoles culinaires réputées du Danemark et d’Espagne, ce journaliste suit de près la façon dont le gouvernement flamand a mis en place une stratégie visant à faire de la gastronomie un instrument de conquête à l’international.  » La Flandre a établi un programme à plusieurs facettes, amplifié lors de la dernière législature par le ministre-président Geert Bourgeois et son ministre du Tourisme, Ben Weyts, tous deux N-VA, explique-t-il. Tout d’abord, elle a engendré un mouvement consistant à repérer les jeunes chefs talentueux de 18-30 ans : ce sont eux que l’on voit exploser dans le Michelin de cette année. Ensuite, elle mène une politique très offensive en matière de rayonnement à l’étranger : elle a notamment mis le paquet, y compris sur le plan financier, pour accueillir à Anvers la cérémonie 2020 de proclamation du 50 Best, un événement international majeur.  »

La présentation de ce classement annuel de référence, organisé par le magazine britannique Restaurant, réunit la crème du monde gastronomique en proclamant les cinquante meilleurs restaurants du monde. Jusqu’ici, la cérémonie avait lieu dans des villes comme Londres, New York, Sydney ou Bilbao.  » Les Flamands suivent le modèle basque, une région qui a fortement misé sur la gastronomie pour promouvoir son identité à l’étranger, souligne Jean-Pierre Gabriel. Outre la reconnaissance des jeunes chefs, la Flandre mise aussi clairement sur l’image de Peter Goossens, reconnu par tous. C’est lui qui a signé le repas de la présentation du Michelin cette année : tout un symbole. A ses côtés, il y a une dizaine de chefs de haut niveau alors qu’il n’y en a que deux ou trois en Wallonie. La Flandre a d’ailleurs mis en place une stratégie pour faire des chefs des vedettes et créé une école pour les préparer aux concours.  »

Jean-Pierre Gabriel, critique gastronomique :
Jean-Pierre Gabriel, critique gastronomique :  » La Flandre repère les jeunes chefs talentueux. « © dr

 » Au sud du pays, poursuit-il, je ne serai jamais assez sévère avec la politique du gouvernement wallon qui a délégué toute la stratégie à une asbl gérée par les chefs eux-mêmes, Génération W ( NDLR : créée en 2013). En Flandre, c’est l’Etat qui a pris l’initiative ! De manière générale, il existe un entrepreneuriat flamand dans ce domaine : il suffit de voir la différence entre l’exposition annuelle de l’Horeca à Gand, où sont présentés les résultats du Michelin, et celle de Marche-en-Famenne.  » La Flandre n’hésite pas à valoriser son patrimoine gastronomique, à diffuser des émissions qui le mettent en prime time à la télévision, contrairement à la Belgique francophone. Elle élabore une vision globale, logée dans la politique touristique, là où la Wallonie et Bruxelles ont encore trop tendance à saupoudrer des moyens réduits. Et elle porte l’image de chefs même si ceux-ci ne partagent pas l’image identitaire véhiculée par la N-VA.

La Flandre serait-elle le nouveau Danemark ?  » Elle y aspire. Voilà cinq ou six ans que certains l’affirment, mais nous n’en sommes pas encore là « , glisse Jean-Pierre Gabriel. Quand Noma publie un livre sur la fermentation, il s’écoule à 200 000 exemples, un élan avec lequel aucun chef flamand ne peut rivaliser. Mais la Flandre a su incarner, avant les autres Régions belges, la tendance globale à un retour vers le terroir, inspiré par des raisons identitaires et environnementales.  » Or, c’est la Wallonie qui aurait dû en profiter davantage, regrette le journaliste gastronomique. Nous avons la chance d’avoir un potentiel agricole de qualité, avec de nombreux petits producteurs. Mais il n’y a pas eu la volonté de l’exploiter…  »

Le difficile combat wallon

Depuis sa naissance, en 2013, l’association Génération W a tenté de mettre en avant le lien entre les chefs wallons et le terroir. Sang-Hoon Degeimbre, l’un de ses fers de lance avec son restaurant doublement étoilé L’Air du temps, à Eghezée, en a même fait sa marque de fabrique. Il pousse désormais cette dynamique à son paroxysme en voulant faire de son restaurant un établissement autosuffisant, qui cuisine davantage les produits de la région et revalorise le chou comme élément phare de la gastronomie. Le pigeon du cru y sera préféré au coucou de Malines.

Malheureusement, la Wallonie reste une terre où les pouvoirs publics assistent davantage les initiatives qu’ils ne propulsent les talents. C’est une culture et un état d’esprit.  » Le problème de Génération W, depuis le début, c’est que nous dépendons des subsides de la Région « , signale Jean-Luc Pigneur. Proche de Sang-Hoon Degeimbre, organisateur indépendant de nombreux événements dans le domaine de la gastronomie, il est un des maîtres d’oeuvre de l’asbl. S’il se félicite toujours de sa naissance, il en regrette les errements :  » C’est le chef de cabinet de Jean-Claude Marcourt (PS), alors ministre wallon de l’Economie, qui avait lancé cette initiative. Nous avons mis en avant les liens entre les chefs et les producteurs et organisé plusieurs festivals à Namur, mais le dernier date de 2017. Les subsides étaient toujours très lents à arriver, nous devions avancer l’argent. C’est la lourdeur du processus administratif. Quand le gouvernement PS-CDH est tombé, en juin 2017, ses engagements n’ont pas été respectés par l’équipe suivante. Pendant de longs mois, nous avons dû faire du bénévolat total. Finalement, après de nouveaux contacts, le ministre-président wallon, Willy Borsus (MR), ajourd’hui ministre de l’Economie, a relancé cette politique en associant plusieurs départements : agriculture, économie, tourisme et présidence.  »

Noix de Saint-Jacques à la truffe avec coulis de noisettes, un classique revisité par Jean Vrijdaghs et Sébastien Hankard à Paliseul.
Noix de Saint-Jacques à la truffe avec coulis de noisettes, un classique revisité par Jean Vrijdaghs et Sébastien Hankard à Paliseul.© debby termonia

Le prochain festival de Génération W devrait avoir lieu à Liège en 2020, mais que de temps perdu… La Flandre, elle, a eu l’intelligence de placer des personnes à temps plein sur le sujet au sein d’un cabinet ministériel, reconnaît Jean-Luc Pigneur. Et elle a moins de scrupules lorsqu’il s’agit d’organiser des événements : elle n’hésite pas à contracter des accords avec de grands sponsors, des marques phares du secteur alimentaire.  » Alors que nous, nous essayons de rester cohérents en veillant à notre intégrité. De même, le chef wallon est certainement doué, mais il se concentre sur son travail et ne le fait pas forcément savoir.  » Comme la Région au sens large, la Wallonie peine à transformer l’essai de ses réussites. Les petites entreprises, trop souvent, ne réussissent pas à grandir suffisamment.

L’union fait-elle la force ?

La gastronomie belge est divisée, déchirée sur le plan socio-économique entre une Flandre prospère et une Wallonie talentueuse, mais laborieuse. Elle est marquée par les spécificités locales de ses Régions.  » Pourtant, il existe bel et bien une gastronomie belge et elle est de plus en plus prisée à l’étranger, au même titre que nos acteurs ou nos humoristes « , insiste Jean-Baptiste Baronian. Ecrivain, auteur d’un Dictionnaire amoureux de la Belgique (éd. Plon, 2015), il publie en cette fin 2019 un Dictionnaire de la gastronomie et de la cuisine belge (éd. Rouergue). Dont le succès témoigne, selon lui, de l’engouement pour notre tradition culinaire.  » Pour la première fois, en racontant l’histoire des plats et des ingrédients, je montre qu’il y a un véritable terroir culinaire belge, relève-t-il. Ce n’est pas un hasard si deux produits phares de notre pays, la bière et le chocolat, représentent tant la Flandre que la Wallonie. Il y a trois bières trappistes en Flandre et trois en Wallonie ! D’Ostende à Arlon, on mange de la salade liégeoise, du waterzooi ou des croquettes aux crevettes. Non, nous ne sommes pas une succursale de la France !  »

Dans son passionnant dictionnaire, Jean-Baptiste Baronian rend notamment hommage à Philippe Edouard Cauderlier (1812 – 1887), le pionnier de la littérature culinaire en Belgique. C’est le premier à avoir mis les mille et un secrets de la bonne cuisine bourgeoise à la portée de tous en publiant, en 1861, L’Economie culinaire, un livre qui fut un best-seller en Belgique avec soixante mille exemplaires vendus, mais aussi traduit dans le monde entier : en France, en Espagne, en Russie, en Syrie, aux Etats-Unis, en Argentine…  » Les grandes qualités de Philippe Cauderlier sont la simplicité, le sens inné de la mesure et du compromis (une vertu, ou un défaut, éminemment belge) et la volonté de ne pas prendre pour des vérités culinaires irréfragables tous les prétendus principes énoncés dans les livres de cuisine français, les seuls dont pouvaient disposer les ménagères belges « , écrit Jean-Baptiste Baronian.

Jean-Baptiste Baronian, écrivain :
Jean-Baptiste Baronian, écrivain :  » La gastronomie belge est de plus en plus prisée. « © PABLO GARRIGOS/belgaimage

On retrouve dans cette encyclopédie un nombre impressionnant de recettes belges. Jean-Baptiste Baronian cite les anguilles au vert, les asperges à la gantoise, les chicorées à la crème, les côtelettes de sanglier à la Saint-Hubert, les croquettes de ris de veau, les jets de choux de Bruxelles, les langues de boeuf à la liégeoise, les biscottes et le pain de Bruxelles, les potages à la bière, le waterzooi… C’était il y a plus de cent cinquante ans et on y retrouve déjà toute la diversité de notre cuisine avec toutes ses spécificités régionales. Du temps passé ? Pas forcément. En 2005, quinze chefs étoilés de Belgique ont rendu hommage à Philippe Cauderlier à travers un album dans lequel ils ont revisité ses recettes. Le chef flamand Lieven Demeestere soulignait alors :  » Si Cauderlier a été éclipsé par Escoffier dans l’histoire de la gastronomie, cela tient probablement au fait que nous, les Belges, ne sommes pas assez chauvins, ou peut-être à cette habitude de considérer tout ce qui vient de France comme « chic ».  »

C’est la cuisine de tous les jours qui caractérise ce pays de cocagne qu’est le nôtre, constate cet amoureux de bonne chère.  » Bien sûr, il y a davantage de chefs étoilés en Flandre qu’en Wallonie. Mais c’est un constat très aléatoire et fugitif au regard de la grande histoire que je décris. C’est lié à des phénomènes économiques ou à des évolutions de société. L’Ardenne, par exemple, est moins touristique qu’il y a cinquante ans, elle attire moins de monde et les restaurants en souffrent. De manière générale, le Belge ne profite d’ailleurs qu’à la marge de cette « nouvelle cuisine ». Notre gastronomie reste bourgeoise : sans être roborative, elle est de grande qualité, spécifique, riche… et les Belges eux-mêmes n’en sont pas toujours conscients.  »

Ecartelé entre ses identités et ses différences de niveaux de vie, attiré par les nouvelles tendances des saveurs locales, le Belge ne se rend plus toujours compte que… le Belge existe. La gastronomie, dans ses élans divers, est bel et bien le miroir de ce pays en peine crise existentielle, mais pétri de talents.

 » La mixité belge est une force  »

Avec deux étoiles au Michelin et 19,5 au Gault&Millau, Christophe Hardiquest (Bon Bon) est l’un des chefs les plus talentueux de Belgique. En 2016, choqué par l’impact des attentats à Bruxelles, il se plonge dans l’histoire de la cuisine bruxelloise pour la revisiter version haute gastronomie et en faire un fer de lance pour redorer le blason de la ville. Depuis, il a élargi sa démarche à l’ensemble du pays.  » Je suis né en Wallonie, à Waremme, mon restaurant est à Bruxelles et j’habite en Flandre, à Tervuren. Cette mixité, nous devons l’entretenir parce que c’est une force énorme. Je me sens profondément belge. J’en ai marre de ceux qui cherchent à diviser le pays. La mer du Nord fait partie de mon identité autant que le chevreuil d’Ardenne.  »

Ce travail de fond part d’une conviction :  » Il est nécessaire de développer l’identité. J’avais l’impression qu’on mangeait la même chose partout. Les chefs qui n’auront plus une cuisine identitaire vont lasser. C’est une tendance internationale : « Montre-moi ton monde et je te montrerai le mien. »  » Comment caractériser cette identité belge ?  » C’est une mixité de savoir-faire et de réflexions. Ce pays a eu beaucoup d’influences et de cultures. Nous devons entretenir cette mixité. Beaucoup disent que c’est une faiblesse, mais ils se trompent.  »

Vincent Duterne/photo news

Ce processus de ressourcement lui a, en outre, permis de prendre en considération l’urgence climatique.  » J’ai rencontré des petits producteurs et je travaille avec des produits de toute la Belgique, de Zélande et du nord de la France. Le local est vital pour sauver la planète. En tant que chefs de haut niveau, nous avons une responsabilité. Il est hors de question pour moi de travailler désormais le thon rouge ou le boeuf wagyu. Je privilégie la viande de poney, les huîtres de Zélande, les crevettes de la mer du Nord… et je travaille avec des maraîchers indépendants. J’ai perdu des clients parce que je ne sers plus de turbo ou de langoustine. C’est un choix assumé. C’était ça, ou j’arrêtais…  »

Christophe Hardiquest est las du capitalisme sauvage.  » Je suis heureux d’être Belge, mais il m’arrive parfois de me demander si je ne me suis pas trompé de pays. Il est temps de se réveiller et d’inventer un modèle viable et durable sur l’écologie, sur les ressources humaines, sur la façon de gérer les entreprises, sur l’identité. Il faut une part d’idéologie et d’idéalisme.  » Voilà pourquoi, à l’avenir, il aimerait s’investir davantage dans le débat public.  » Pour exprimer des idées, pas pour faire la guerre.  »

 » Paliseul, capitale de la Wallonie  »

Jean Vrijdaghs et Sébastien Hankard forment un duo wallon conquérant. Onze mois après avoir relancé Le Gastronome, à Paliseul, ils sont devenus, début décembre, les révélations du Gault&Millau et jeunes chefs de l’année du Michelin, tout en décrochant leur première étoile. La totale.  » En nous remettant notre prix, les responsables de Gault&Millau soulignaient que Paliseul est devenue la capitale wallonne de la gastronomie « , sourient-ils. Leur établissement se situe en effet dans la même localité que le restaurant 2-étoiles de Maxime Collard, La Table de Maxime, et à deux pas de l’étoilé Le Moulin hideux, à Noirefontaine.  » Cela nous fait plaisir de participer au dynamisme de cette région ardennaise. La fierté, ici, n’est pas un vain mot : nous avons reçu des cascades de félicitations.  » Un sacré destin pour cette petite commune de 5 000 âmes à peine.

La gastronomie belge signifie-t-elle quelque chose à leurs yeux ?  » Chaque chef mise sur son terroir local et sur des producteurs, voilà la nouvelle philosophie de notre cuisine. Le gibier, bien sûr, fait partie de notre identité profonde, mais nous le travaillons de façon gastronomique. Nous misons sur le goût et sur des assiettes simples, trois ou quatre éléments maximum. L’Ardenne, ce n’est plus la cuisine lourde que véhiculent les clichés d’antan. Nous n’oublions pas les produits du top niveau venus d’ailleurs, non plus. Mais si on travaille la noix de Saint-Jacques, c’est en l’agrémentant avec des produits du cru : des herbes, des légumes, des os pour faire les fonds…  »

debby termonia

Jean Vrijdaghs et Sébastien Hankard s’inscrivent-ils dans une dynamique régionale ?  » Nous avons envie que la Wallonie soit davantage connue et reconnue pour son savoir-faire. Tous les chefs wallons devraient travailler avec des produits locaux. Faire briller davantage l’image de la région, ça commence par ça. Les guides privilégient-ils la Flandre ? Selon nous, ils mettent en valeur les restaurants qui doivent l’être. Mais il y a davantage d’ouverture de restaurants gastronomiques en Flandre. En Wallonie, il y en a moins et… on en entend moins parler.  »

A deux en cuisine, avec un relais en salle, les jeunes étoilés bossent dur pour soigner leur réputation. Leur élan se heurte cependant aux difficultés du marché de l’emploi.  » Nous aimerions agrandir notre équipe pour prolonger notre développement. Nous avons une liste impressionnante d’objectifs en 2020. Mais nous sommes bloqués parce qu’on ne trouve pas de candidats à recruter. Nous avons envoyé des demandes aux écoles d’hôtellerie, mais elles nous répondent qu’elles n’ont pas de profils adéquats. Or, c’est urgent : les réservations affluent depuis notre étoile, mais on doit refuser du monde, faute de personnel. C’est frustrant parce que c’est maintenant qu’il faudrait mettre la patate…  »

 » Je ne m’occupe pas d’identité flamande  »

Jan Tournier, 38 ans, est l’un de ces jeunes chefs rock’n’roll qui explosent en Flandre. Son Cuchura, à Lommel, est le seul nouveau 2-étoiles de l’édition 2020 du Michelin.  » La Flandre est une région gastronomiquement très intéressante, expose-t-il. Mais ce n’est pas le fruit d’une école à proprement parler. C’est un mouvement spontané. D’ailleurs, moi, je suis surtout actif dans mon restaurant, j’essaie de me concentrer sur ce que je fais, d’être le plus créatif possible et de faire beaucoup de sport pour me détendre.  » N’attendez pas de grand discours identitaire version N-VA au pouvoir.

Ce prodige de la cuisine a commencé très tôt derrière les fourneaux. A 12 ans, il travaillait déjà le week-end dans le restaurant de son grand-père.  » Cuisinier, j’ai ça dans les gènes, confie-t-il. J’ai approfondi mon expérience à l’hôtel Hilton d’Anvers, à 20 ans, puis au Het Gebaar, de Roger Van Damme, à Anvers.  » Un moment décisif fut un stage effectué alors au restaurant In de Wulf, de Kobe Desramaults, à Dranouter, en Flandre-Occidentale. Il y a quinze ans, l’enfant terrible de la gastronomie flamande visitait déjà les fermes des alentours pour s’inspirer des racines de notre cuisine, retrouver des recettes d’antan et les revisiter. Imprégné de cette atmosphère, Jan Tournier créé son propre restaurant : Cuchara. La première étoile suit très vite, en 2013. La deuxième, tout à fait inattendue, vient de faire perler des larmes dans ses yeux.

debby termonia

La gastronomie belge signifie-t-elle quelque chose pour lui ?  » Je ne regarde pas trop à gauche ou à droite, esquive-t-il. J’aime la cuisine créative et simple. J’adore jouer avec le contraste de deux ingrédients. J’essaie de faire de belles assiettes en utilisant de bons produits, avec une influence japonaise. Je suis un grand fan du Japon. Je suis fasciné par sa philosophie.  » Comme la plupart des top chefs flamands, Jan Tournier regarde aussi vers la Scandinavie. A l’étranger, il est fasciné par le Suédois Björn Frantzén, à la tête du restaurant triplement étoilé qui porte son nom, à Stockholm.

Lommel, petit ville logée à quelques kilomètres des Pays-Bas et de l’Allemagne, est un nouveau phare.  » Je ne m’occupe pas des questions identitaires, dit le chef doublement étoilé. Mon monde est ici. Je fais beaucoup de sport, je vais dans la nature chercher l’inspiration. Tout doit être parfait, la cuisine, la musique. Le plus important, c’est que les gens soient heureux.  » C’est un voyage spirituel en dehors du temps. A l’instar de ce que fait Kobe Desramaults dans son nouveau restaurant, Chambre séparée, à Gand, où des vinyles rock’n’roll creusent les sillons du temps.

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