" C'est du très haut niveau ", lâche Gérald Darmanin après sa première entrevue avec Emmanuel Macron, président. © c. lefebvre/photopqr/voix du nord/maxppp

La fusée Darmanin a changé d’orbite

En 2014, il conquiert la mairie de Tourcoing à la gauche pour les Républicains. Aujourd’hui, Gérald Darmanin est ministre du Budget sous la présidence Macron.

C’est émouvant, l’Elysée, depuis la pelouse du palais. Jusqu’alors, Gérald Darmanin n’avait vu la présidence de la République française qu’en marchant dans le parc à l’occasion d’une garden party du 14 juillet. Le président s’appelait Jacques Chirac, et lui, petit collaborateur du ministre de la Justice Jacques Toubon, avait l’impression de regarder l’histoire de loin. C’est mystérieux, l’Elysée, depuis la grille du Coq. Il a demandé d’éviter l’entrée officielle et la grande cour. Nous sommes le dimanche 14 mai dernier, Emmanuel Macron a été investi en fin de matinée. Qui reçoit-il, dans le bureau d’angle au premier étage du palais, pour son premier rendez-vous politique ? Un maire de droite ; l’ancien coordonnateur de campagne de Nicolas Sarkozy ; celui qui, du haut de ses 34 ans, le ferait presque passer pour un vieillard.

Le héros du jour s’excuse d’être en retard, il revient à peine de la cérémonie à l’Hôtel de ville de Paris.  » Avec le Premier ministre, nous avons souhaité vous confier le ministère du Budget, des comptes publics, de la réforme de l’Etat et de la fonction publique.  » Gérald Darmanin n’en croit pas ses oreilles. D’ailleurs, il n’a pas bien entendu.  » Avec le Premier ministre  » ? Il demande au chef de l’Etat son nom, tant qu’à faire. Réponse : Edouard Philippe – lequel, à ce moment-là, n’a pas encore eu de la bouche de Macron la confirmation qu’il dirigerait le gouvernement.

A cet instant, dans la tête de Darmanin se bousculent deux priorités, qui ne sont contradictoires qu’en apparence : éviter de tomber de l’armoire ; éviter de grimper aux rideaux. Il remercie le président de l’honneur qui lui est fait, lui rappelle qu’il n’a pas cru en sa victoire et a eu des mots durs à son encontre.  » C’est bien de le dire, maintenant on regarde l’avenir « , réplique le chef de l’Etat. Jusqu’à quand peut-il rester maire de Tourcoing, ce fief de gauche qu’il a conquis en 2014 ? Doit-il adhérer à En marche ? Et quid de sa circonscription du Nord, dans laquelle il soutient un candidat LR ? Il a plein de questions.  » Je comprends tout à fait  » : Emmanuel Macron ne lui donne aucune raison de se défiler. D’ailleurs, Darmanin en cherche-t-il vraiment ? Il ose un  » Je vais réfléchir.  »  » Pas de problème, à mardi  » – le président connaît la nature humaine. A peine sorti, le futur ministre raconte à un ami :  » C’est du très haut niveau !  » Un autre proche témoigne :  » Il est séduit, et il aime qu’on le séduise.  »

C’est impressionnant, Bercy, siège, entre autres, du ministère du Budget, lorsqu’on n’y a jamais mis les pieds. Peu importe, il connaît l’importance des premiers gestes. Il refuse une passation des pouvoirs avec le seul Christian Eckert, qui était secrétaire d’Etat, pendant que Bruno Le Maire, ministre de l’Economie, recevrait le témoin de son prédécesseur Michel Sapin. Lui aussi demande la présence du ministre de l’Economie et des Finances du gouvernement sortant et l’obtient.  » Je trouve que la République est belle « , dit ce jour-là Gérald Moussa Darmanin. Il poursuit :  » Petit-fils de tirailleur algérien, petit-fils de mineur maltais, fils d’une femme de ménage aujourd’hui encore femme de ménage à la Banque de France – ça ne manque pas d’ironie – , je trouve que la République est belle.  » Puis il salue ses deux mentors, le président du Conseil régional des Hauts-de-France Xavier Bertrand,  » un homme de bien « , et  » le président Nicolas Sarkozy auprès de qui j’ai tant appris « . En fonction depuis moins de trois heures, il file déjà sur France 2, invité du journal. Il est en haut de l’affiche, à un poste régalien et interministériel, là où Edouard Philippe voulait un homme de confiance.  » Gérald a les qualités pour tenir un portefeuille aussi technique que politique, confie le Premier ministre français au Vif/L’Express. Il est carré, travailleur, bon communicant. Il sait qui il est, d’où il vient et où il va. Et il ira loin.  »

Il fut une époque où Darmanin cherchait déjà à être sur la photo. Mais pas la même. Oh, c’était il y a longtemps : trois jours avant son tête-à-tête avec le chef de l’Etat. Le 11 mai, François Baroin, chef de file des Républicains pour la campagne des législatives, Christian Jacob, chef du groupe Les Républicains à l’Assemblée nationale et Eric Woerth sont dans le TGV, direction le Nord.  » Au moment où le photographe de Paris Match commence à travailler, se rappelle l’un des trois, Darmanin vient nous rejoindre et s’assoit sur l’accoudoir d’un siège.  » Une fois sur place, le maire de Tourcoing assure à un journaliste :  » Ici, les candidats En Marche n’ont aucune chance.  » Pendant la conférence de presse, il est à côté de François Baroin lorsque celui-ci met en garde les élus LR tentés par Macron :  » Des prises d’otage, pas des prises de guerre.  »

La droite en avait fait l’un des plus grands espoirs de son camp. La meilleure preuve ? Le vice-président des Républicains Laurent Wauquiez le déteste.  » Qui connaît Gérald Darmanin ?  » réagit son meilleur ennemi au lendemain de la formation du nouveau gouvernement. Wauquiez, le nom que Darmanin a mis en avant pour justifier de lâcher Nicolas Sarkozy et de démissionner de la direction des Républicains, en janvier 2016. Mais l’ancien président, au moment de se présenter à la primaire de la droite, va le rechercher pour en faire son coordonnateur de campagne. Il n’est pas le seul à l’avoir repéré. En 2016, lorsqu’il démissionne de l’Assemblée nationale (après avoir renoncé plus tôt au cumul des indemnités de maire et de député), il reçoit un petit mot manuscrit d’un ministre du gouvernement Valls, avec lequel il s’entretient ensuite en aparté.  » C’est courageux, voilà un comportement politique nouveau, bravo ! « , lui glisse alors un certain… Emmanuel Macron.

La vie n’a pas toujours été facile pour Darmanin. Il a joué de la guitare dans le métro, fut pion, veilleur de nuit, serveur. Il y a pire.  » Je n’ai jamais réussi à emballer une fille en boîte, raconte- t-il en 2015 au magazine Society. Je ne suis pas du genre à danser. Je suis meilleur quand je dîne au resto.  » Il rencontre un succès plus immédiat avec les responsables politiques. Michel Bettan, alors principal collaborateur de Xavier Bertrand, le repère en 2007 :  » J’avais 20 minutes, je le garde une heure et demie. Il a quelque chose en plus.  » Catapulté, pour les besoins de la cause, directeur de campagne de David Douillet lors d’une législative partielle, il en devient ensuite le chef de cabinet après l’entrée au gouvernement de l’ancien judoka. En fin de quinquennat, malgré les cris d’orfraie de la haute administration, il dirige même son cabinet au ministère des Sports. Le secrétaire général adjoint de l’Elysée, Jean Castex, l’a vu, il a été conquis, il a donné son feu vert.

Lorsque Nicolas Sarkozy le voit passer, il l’attrape.  » Arrête avec ton Darmanin !  » s’irriteront les proches de l’ancien président.  » C’est un jouisseur, il adore qu’on parle de lui, mais il a un plafond de verre, observe un autre sarkozyste. Sans foi ni loi, il ne s’encombre pas d’états d’âme, tout en restant un grand affectif, qui ne supporte pas la critique. Si tu es un franc-tireur, tu assumes de l’être !  »

Le nordiste a eu trois jours pour se plonger dans les comptes de l’Etat avant de les présenter, lors d’une réunion à l’Elysée, au président, au Premier ministre et au ministre de l’Economie.  » Il sait qu’on est d’autant meilleur en politique qu’on maîtrise la technique « , relève son ami Sébastien Lecornu, le tout aussi prometteur président du conseil général de l’Eure, dans le nord de la France.  » C’est une fusée, constate un autre de ses potes. Il a décidé de consacrer sa vie à la politique, cela fait la différence. Il est plus malin que tout le monde, même si parfois il le sait trop et se laisse dépasser par sa propre ruse.  » Un SMS malencontreux au député du Nord Daniel Fasquelle, qui a saisi la cour de justice de la République pour menace et chantage sur fond de violation du secret fiscal ( » Faut-il que je publie les lettres de demandes d’interventions fiscales que tu m’envoies depuis ma nomination ? « ), lui rappelle qu’il faut toujours maîtriser sa fougue, comme il a mûri ses réflexions.  » Chez lui, il y a clairement un avant et un après l’accession à la mairie de Tourcoing, une décantation sur les sujets de fond s’est produite « , note Sébastien Lecornu. Dit différemment, par un membre de la même bande :  » Il fait du gros rouge qui tache pour acquérir de la notoriété pendant les deux premières années du quinquennat Hollande, puis il s’adoucit dès qu’il est connu pour gagner en épaisseur.  »

C’est le moment d’entrer dans la cour des grands.  » La droite traditionnelle ne m’aurait jamais donné de telles responsabilités à mon âge.  » Ce passionné d’histoire politique est persuadé de vivre un moment exceptionnel :  » Je crois assez à un nouveau 1958, quand le général de Gaulle crée un nouveau régime. Alors, si la plus grande critique que l’on m’adresse, c’est de ne pas avoir attendu un mois jusqu’aux législatives, c’est hypocrite !  » De toute façon, attendre, on l’a compris, n’est pas le genre de la maison.

par Éric Mandonnet

Fils d’une femme de ménage à la Banque de France, ça ne manque pas d’ironie

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