La Fontaine aux agenouillés

Chef-d’ouvre de la sculpture symboliste, La Fontaine aux agenouillés , à Gand, incarne l’atmosphère pessimiste partagée par quelques artistes de la fin du xixe siècle.

A la fin du xixe siècle, en marge de l’exceptionnelle efflorescence de sculptures mettant en scène les personnalités nationales, les charmes féminins ou encore l’héroïsme patriotique, deux artistes évoluent à contre-courant : Constantin Meunier et Georges Minne. Tous deux ressentent et expriment l’angoisse si caractéristique de cette époque. Investi de ferveur mystique, Georges Minne (1866-1941) développe une esthétique en tout point révolutionnaire, recherchant à travers des formes épurées l’expression d’une intense spiritualité. Un style très personnel à la fois hiératique, sévère et anguleux qui annonce sans détour l’expressionnisme d’un Schiele ou d’un Kokoschka.

S’éloignant de la rigueur anatomique ou académique, la figure de l’adolescent agenouillé apparaît dès 1897. Elle hantera, sous des formes multiples, toute la production de Georges Minne. Mais revenons à notre fontaine… La représentation est pour le moins sinistre : cinq adolescents, creusés par la maigreur, isolés du monde et recueillis sur leur nudité, semblent étirer leurs formes dans une attitude de soumission. Les mains frileusement portées aux épaules, ils répètent leur geste d’introspection quasi végétatif. Décantant les formes sans relâche, l’artiste parvient à investir ses figures d’une véritable monumentalité. Et même si les dégradations dues à la corrosion du bronze leur donnent à chacun une image propre, il s’agit bel et bien de la même sculpture reproduite cinq fois. Empruntant à Rodin l’idée de répétition de plusieurs figures identiques, Georges Minne renforce ainsi le caractère rythmique mais surtout méditatif de la composition.

Exposée à la Sécession de Vienne (1900), à Budapest (1908-1909) et à la Biennale de Venise (1909), La Fontaine aux agenouillés devient en peu de temps une révélation artistique à l’échelle européenne. Pour l’Exposition universelle de Bruxelles en 1935, on en fondra une réplique en bronze qui se dresse aujourd’hui à Bruxelles. Lors de son inauguration devant le palais de la Nation, l’£uvre fut l’objet de chaudes discussions. Des Bruxellois eurent tôt fait d’établir une comparaison entre les éphèbes nus et les électeurs : les personnages représentés étant courbés, comme soumis au pouvoir politique. La presse et les humoristes alimentèrent le débat :  » Les hommes nus de Monsieur Minne représentent sans doute le contribuable dépouillé par les lois fiscales que votent les parlementaires…  » Le groupe fut déplacé, en toute discrétion, vers la cour arrière du Parlement. Et si leur pose singulière a inspiré aux Gantois – non sans une pointe d’indécence et d’humour – leur surnom de pisserkes ( » les pisseurs « ), il n’en reste pas moins que l’£uvre, inaugurée sur la place Emile Braun en 1937, fait partie des £uvres phares de l’histoire de l’art belge.

La Fontaine aux agenouillés, de Georges Minne. Place Emile Braun, à 9000 Gand.

La semaine prochaine : le Brabo de Jef Lambeaux, à Anvers

Gwennaëlle Gribaumont

L’expression d’une intense spiritualité

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