La fin des dinosaures

Une page est tournée. Deux monuments de l’establishment belge viennent de tomber avec fracas de leur piédestal. Pas de pitié pour les  » papys  » du royaume. Ce 2 décembre, le coup de grâce a été asséné à Etienne Davignon (76 ans), qui a régné durant quarante ans dans les couloirs du pouvoir financier, économique et politique. Lors de l’assemblée générale de Fortis à Bruxelles, les actionnaires lui ont interdit l’accession à la présidence du holding. Une fin de partie peu glorieuse, à l’instar de celle vécue par son ami Maurice Lippens (65 ans), contraint à démissionner de la présidence de Fortis le 4 octobre dernier, à la suite de l’écroulement d’un empire qu’il avait mis vingt-cinq ans à construire. Quant à Philippe Bodson (64 ans), cette autre figure de proue du capitalisme belge, il s’était déjà fait recaler le 1er décembre, lors de l’AG à Utrecht. Un camouflet pour ces messieurs de la haute société francophone, proche du Palais, dernière survivante d’un monde révolu, celui de la Belgique triomphante et industrielle du xixe siècle.

Dès le 14 octobre, l’hebdo flamand Humo se gaussait de ce changement d’époque. Il estimait qu’après le krach de Fortis une poignée d’actionnaires fortunés (parmi lesquels Albert Frère, les Boël et, bien sûr, les Lippens) avait perdu 2,7 milliards d’euros. Il y voyait un  » coup dur pour ce réseau aristocratique essentiellement francophone qui nidifiait confortablement depuis si longtemps au sein de la Belgique de papa « . Selon Humo, il y a vingt ans, Lippens aurait pu convaincre le monde politique de sauver Fortis. Mais, en octobre dernier, les autorités publiques ont choisi le camp de Dexia, la banque dans laquelle presque tous les partis ont des intérêts. Bref, le rapport de force a changé.  » Peut-être bien en faveur des capitaines d’industrie flamands « , spéculait Humo. Depuis des lustres, la riche Flandre nourrit un ressentiment à l’égard de cette haute finance restée francophone. En 1930, l’épargne flamande donnait naissance à la Kredietbank (ancêtre de la KBC), banque du Mouvement flamand et du Vlaams Economisch Verbond, un établissement créé, selon les termes de l’industriel Lieven Gevaert, en réaction à  » la puissance économique qui est dans les mains de nos adversaires « . Une success story.

Cela dit, rappelle l’économiste Michel Quévit, cette haute finance francophone ne s’était pas davantage préoccupée du sort de la Wallonie quand elle avait notamment décidé, dans les années 1950, d’investir dans la sidérurgie maritime au détriment du sillon Sambre-et-Meuse. Le sud du pays ne s’en est pas encore vraiment remis. Aujourd’hui, son gouvernement doit présenter son propre projet de  » banque « . Cette caisse récoltant l’épargne wallonne est censée investir dans la relance de l’économie régionale. En l’absence d’une initiative privée semblable à la Kredietbank, c’est sans doute une bonne idée, pour autant que les principes de la bonne gouvernance soient respectés. Dommage que l’initiative accuse un retard de septante-huit ans. l

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