La fin des cumuls, vraiment ?

Le parlement wallon pourrait devoir faire face à une hémorragie de ses membres. Partis à la retraite ou vers d’autres assemblées pour cause de non cumul. Inquiétant à l’heure où le pouvoir politique bascule vers les Régions.

La fibre régionale ne fait pas le poids face au risque de devoir abandonner la proximité d’un mandat communal. Au parlement wallon, plus de la moitié des députés (42 sur 75, soit 56 %) exercent en effet également le pouvoir dans leur commune, comme bourgmestre, échevin ou président de CPAS (les membres du collège communal). Une proportion qui grimpe à 68 % si on ne prend en compte que les 62 élus PS, MR et CDH, puisque Ecolo s’est interdit tout cumul. Et si ce nombre n’est pas encore plus élevé, c’est parce que les partis de certains députés sont dans l’opposition au niveau local.

Le nombre de ces doubles mandataires va, mathématiquement, fondre. En 2009 en effet, lors des négociations pour la formation de la majorité olivier actuelle, Ecolo a réussi à imposer une limitation de ces cumuls, à défaut d’obtenir leur interdiction pure et simple. C’est ce qui s’appelle un compromis. Fin 2010, le parlement wallon a ainsi voté, non sans grincements de dents, le décret  » décumul  » qui n’autorisera plus au maximum qu’un quart de cumulards dans chaque groupe politique.

Sur la base de la composition actuelle des groupes du parlement wallon (ce n’est qu’un exercice !), seuls 11 députés seraient ainsi encore autorisés à cumuler : 5 au PS (qui compte 19 cumulards pour un groupe politique de 29 députés), 4 au MR (16 pour 19) et 2 au CDH (7 pour 13). Soit 15 % de l’assemblée. Après les élections, ce pourcentage pourrait encore être inférieur dans la mesure où certains élus, et non des moindres, devraient être appelés dans l’un ou l’autre gouvernement, et céder la place à des suppléants qui, eux, ne pourront pas cumuler.

Le taux de pénétration

Mais comment déterminer ceux ou celles à qui l’incompatibilité commune-Région ne s’appliquera pas ? Les gros bras de la politique wallonne ont réussi à imposer comme règle les plus hauts taux de pénétration, à savoir le rapport entre le nombre de voix de préférence du candidat et le nombre de votes valables de sa circonscription. Un calcul faussement démocratique qui exclut tout qui n’est pas tête de liste.

En 2009, les meilleurs taux de pénétration étaient réalisés par Elio Di Rupo, Benoît Lutgen, Rudy Demotte, Michel Daerden… Et seulement 9 femmes dans le top 50. En 2014, on y trouvera Nicolas Martin, bourgmestre ff de Mons (Elio Di Rupo se présentant à la Chambre) ; Benoît Lutgen, bourgmestre de Bastogne ; Rudy Demotte, bourgmestre en titre de Tournai ; Paul Magnette, bourgmestre de Charleroi ; Paul Furlan, bourgmestre en titre de Thuin ou encore Maxime Prévot, bourgmestre de Namur… Et sans doute peu de femmes. Face à cette célébration des vedettes, il n’est donc pas étonnant que l’opposition la plus féroce au décret ait été menée par les seconds couteaux qui savaient leur cumul intenable. Avec comme hérauts Jean-Paul Wahl (MR), député wallon et bourgmestre de Jodoigne, ou André Bouchat (CDH), député wallon et bourgmestre de Marche-en-Famenne, qui ont ferraillé contre le projet, mais en vain.

Ceux-là, et bien d’autres, devront choisir, et donc démissionner de l’un de leurs deux mandats. En apparence du moins. Le décret  » décumul  » comporte en effet une clause transitoire qui le vide un peu de sa substance : jusqu’aux élections communales de 2018, ils peuvent en effet se déclarer  » empêchés  » dans l’exercice de l’un ou l’autre mandat, et ils sont déjà plusieurs à avoir annoncé qu’ils resteront député wallon et  » bourgmestre en titre « , voire qu’ils continueront à diriger les débats du conseil communal et à peser sur chaque décision. Après tout, c’est déjà ce que font les ministres Rudy Demotte à Tournai et Paul Furlan à Thuin, même si officiellement un échevin y a été  » délégué à la fonction maïorale « .

Les fuyards

Inutile de préciser que cette nouvelle donne pèse, ou a pesé, sur l’élaboration des listes et a provoqué quelques départs vers d’autres cieux parlementaires plus accommodants. Sybille de Coster-Bauchau, par exemple, bourgmestre de Grez-Doiceau, a réussi à obtenir la 2e place, en principe élective, sur la liste MR pour la Chambre, où elle pourra cumuler. La députée wallonne Caroline Cassart (MR), bourgmestre d’Ouffet, abandonne elle aussi les matières wallonnes pour tenter de se réfugier au fédéral, où son élection n’est pas gagnée d’avance. Le flamboyant et très accueillant (pour les Français) bourgmestre d’Estaimpuis Daniel Senesael devrait figurer en bonne place sur la liste socialiste du Hainaut pour la Chambre. Sébastian Pirlot, bourgmestre de Chiny, a lui aussi fait le choix de la Chambre (alors qu’il avait réalisé en 2009, le 5e taux de pénétration de Wallonie) et tirera la liste PS luxembourgeoise, avec comme suppléante la députée wallonne sortante Malika Sonnet. Hugues Bayet, bourgmestre de Farciennes, s’envolera vraisemblablement vers le Parlement européen puisqu’il sera 3e sur la liste PS. Etc. On vous fera grâce des multiples frustrations de celles et ceux qui se sont battus sans succès pour un ticket fédéral et qui auront bien du mal à affirmer, la main sur le coeur, leur préférence régionale.

Les appétits de pouvoir

La question du cumul se posera aussi pour les candidats venus du fédéral. Le sénateur François Bellot (MR), bourgmestre de Rochefort, a été prié de compenser le départ surprise de Willy Borsus vers l’arrondissement voisin d’Arlon-Marche-Bastogne. Jacqueline Galant (MR), députée fédérale et bourgmestre de Jurbise, tirera la liste régionale à Mons. Christophe Bastin (CDH), député fédéral et bourgmestre d’Onhaye, sera tête de liste pour Dinant-Philippeville.

Cette limitation du cumul est, pour l’instant, propre au seul parlement wallon. La Région de Bruxelles-Capitale, qui dispose enfin, grâce à la réforme de l’Etat, de l’autonomie constitutive (la Région peut décider comment elle s’administre), pourrait rapidement s’aligner sur la Wallonie. C’est en tout cas la volonté d’Ecolo qui vient de redéposer une proposition d’ordonnance instaurant la limitation du cumul à 25 % des députés de chaque groupe dès la prochaine législature. La mesure ne concernerait toutefois pas les échevins surnuméraires ni les présidents de CPAS néerlandophones. Le parlement bruxellois compte un tiers de cumulards (8 députés sur 20 au PS, 7 sur 13 au MR, 5 sur 11 au FDF et 4 sur 10 au CDH). La sélection entre les candidats ne s’opérerait pas sur le taux de pénétration (puisqu’il n’y a qu’une seule circonscription), mais tiendrait compte des voix de préférence ainsi que de l’effet dévolutif de la case de tête. Au Parlement européen, le mandat des députés belges est incompatible avec un mandat exécutif dans les communes de plus de 50 000 habitants.

La Belgique est, avec la France, un des derniers pays à permettre l’exercice simultané d’un mandat local et d’un mandat de parlementaire. C’est pour garder le lien avec le terrain, disent les bénéficiaires. Mais en Belgique, les distances sont courtes, et chaque député peut rentrer chaque soir dans ses pénates, saluer ses potes électeurs, et même assister, en tant que simple conseiller par exemple, aux débats du conseil communal. Mais c’est manifestement difficile de réfréner les appétits de pouvoir…

Par Michel Delwiche

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