La fascination du sang

Guy Gilsoul Journaliste

A l’occasion de la Biennale de Venise, Le Vif/L’Express interroge, six semaines durant, diverses pratiques de l’art actuel. Cette semaine : l’usage du sang.

Du sacrifice christique aux blessures des martyres, les peintres anciens ont largement popularisé l’imaginaire du sang à la fois coupable et salvateur. Et bien des rituels vont dans le même sens, que l’on songe aux sacrifices humains des précolombiens ou plus près de nous, des corridas. Dire qu’avec le xxe siècle, on n’en serait plus là relève du déni. Le sang fascine toujours autant et les arts ne manquent pas de nous le rappeler même si la dimension spirituelle en est occultée. On songe à Gauguin peignant l’angoisse des premières menstrues d’une petite Tahitienne entourée par un sorcier. On se rappelle Chaïm Soutine, versant régulièrement du sang sur la viande accrochée aux crochets d’un abattoir afin que son modèle, un b£uf écorché, garde cette couleur brillante et terrible qu’il cherche à rendre par les moyens de la peinture. Cependant, dès les années 1960, ce n’est plus par le rouge d’un pigment que l’art s’est à nouveau confronté au sang mais avec le sang lui-même. En France, Gina Pane use d’une lame de rasoir pour offrir en spectacle, la douleur dont on sait qu’elle fût longtemps idéalisée dans notre culture. A Vienne, au moment où on redécouvre l’£uvre sulfureuse d’Egon Schiele, Hermann Nitsch, pointant les rituels aussi bien religieux que carnavalesques, crucifie devant son public, des agneaux éventrés, installe des lessiveuses de sang et manipule les entrailles, le tout en vêtements sacerdotaux ensanglantés. Ce faisant, c’est bien à partir de son propre corps (à la fois viande et sexe) qu’il réveille en nous les liens endormis existant entre notre énergie vitale et notre fascination pour la mort et le sang. Plus silencieux mais tout aussi provocateur, le Français Michel Journiac organise à la même époque, une  » Messe pour un corps  » au cours de laquelle, il fabrique avec son propre sang, du boudin qu’il partage ensuite avec ses invités. Depuis 1991, l’artiste anglais Marc Quinnn réalise des autoportraits en buste. Pour ce faire, durant cinq mois, il récolte patiemment son sang qu’il verse ensuite dans un moule aussitôt congelé. Depuis, tous les cinq ans, il réitère l’opération. En 2002, dans une université d’un pays latino-américain, Pierre Pinoncelli se tranche la phalange du petit doigt lors d’une  » performance  » picturale réalisée en hommage à Ingrid Bettencourt. Giclant, le sang est projeté sur un mur à la manière d’une peinture gestuelle couvrant peu à peu un texte désignant de la même façon les Farc et les milices privées du pouvoir.

A Venise aussi, on a aussi droit, avec Andrei Molodkin, au bol de sang. Une fois encore, le propos est politique mais ici, le sang provient de victimes. Explication. Imaginez une installation où cohabitent des mots (Fuck, Democracy), des machines (aux bruits de soupapes respirantes), des reproductions de la Victoire de Samothrace et divers tuyaux translucides pour relier le tout. L’une des statues transparentes est habitée par un liquide noir et huileux. L’autre par du rouge dont on apprend qu’il est celui du sang des soldats tchétchènes. La troisième mêle le sang et le fuel. La démonstration est simple, presque simpliste. Avec cette fois, le sang des autres…

Venise, Biennale, Pavillon russe, Giardini. Jusqu’au 22 novembre. www.labiennale.org

GUY GILSOUL

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