La face cachée du all inclusive

Si les vacances  » all inclusive  » ont la cote auprès des touristes, la formule fait cependant mal au portefeuille des restaurants, cafés et commerçants situés aux alentours des hôtels pratiquant le concept… Reportage en Tunisie.

En quelques simples clics sur l’Internet, il est encore assez facile de dénicher une semaine complète de vacances de rêve dans un hôtel 4 étoiles en formule all inclusive pour moins de 500 euros à destination d’une des principales stations balnéaires tunisiennes (Djerba, Sousse, Port El Kantaoui, Hammamet, Nabeul…), même en cette période. Et quand la saison creuse arrive, les prix peuvent tomber beaucoup plus bas encore. Trop beau pour être vrai ? Pas quand ce type d’offre émane d’enseignes parmi les plus sérieuses, telles que Neckermann, Jetair ou Marmara.  » Les rapports qualité/prix parmi les meilleurs, c’est certainement ici, en Tunisie, qu’on les trouve, nous assure une touriste belge qui profite d’ailleurs de son séjour pour s’offrir en sus une cure au centre de thalassothérapie de l’hôtel Tour Khalef de Sousse. Les différents soins, qui s’étalent sur toute la semaine, me reviennent au final moins cher qu’une simple formule week-end de thalasso en Belgique où, en tout état de cause, je ne pourrais jamais en avoir autant que ce que j’ai ici. Et au niveau de la qualité, le centre ne lésine pas sur les moyens : ce sont des kinésithérapeutes professionnels qui s’occupent de nous !  »

Choyés, les touristes le sont assurément en Tunisie. Ce pays est, depuis des années, une des destinations favorites des vacanciers belges, qui ne sont d’ailleurs pas les derniers à se réjouir du développement des formules all inclusive.  » Manger et boire à volonté, c’est là la garantie d’un budget maîtrisé, surtout quand on a des enfants et/ou si on aime les repas copieux et les soirées bien arrosées « , nous certifie la directrice d’une agence de voyages de Liège. Du coup, succès de la formule oblige, les touristes sont de plus en plus nombreux à n’avoir vu du pays que le chemin du trajet reliant l’aéroport à l’hôtel !  » Nos clients sont chez nous comme des coqs en pâte et, du coup, n’éprouvent pour ainsi dire plus le besoin de sortir, confie un employé de l’hôtel Riadh Palms, un des plus gros hôtels all inclusive de Sousse. Dès les premières heures du matin, les activités sportives, de jeu et d’ambiance s’enchaînent les unes après les autres, sans discontinuer, jusqu’à tard le soir, pour les enfants comme pour les (grands-)parents. Il y a même une discothèque.  » Effectivement, avec en sus de magnifiques piscines et une plage réservée aux clients de l’hôtel, que demander de plus ?

De l’autre côté de la barrière

Mais, passé la barrière du site hôtelier, la considération des autochtones pour le all inclusive est par contre tout autre.  » Puisque les séjours en demi-pension n’ont effectivement plus la cote, c’est en fait une grande partie de mon business du temps de midi qui a, à présent, disparu, regrette un des nombreux restaurateurs situés sur la Corniche, le boulevard reliant les grands hôtels de Sousse au centre-ville. Constat identique aux terrasses bordant la médina où, même en pleine saison, on trouve encore assez facilement une table.  » Vous savez, ces touristes qui ne sortent plus des hôtels, ce n’est pas seulement du chiffre d’affaires en moins pour nos établissements, ce sont aussi de grandes pertes, en amont comme en aval, poursuit notre restaurateur. Nous achetons moins de marchandises, c’est un fait, et, pour nos fournisseurs, il n’y a pas nécessairement de « vases communicants » possibles avec les hôtels. Du coup, pour nos fournisseurs comme pour nous-mêmes, le besoin en personnel en dehors des hôtels faiblit à hauteur que le all inclusive se développe en leur sein. Et je ne vous parle même pas ici de la question de « manne des pourboires » qui, pour de nombreux serveurs, appartient désormais au passé !  » Effectivement, avec des salaires tournant généralement, en Tunisie, aux alentours de 200 euros net par mois pour ce genre d’activités, les pourboires constituent un appoint particulièrement apprécié, et auquel il est forcément difficile de se déshabituer.

A l’intérieur de la médina de Sousse, l’effet de l’ all inclusive se fait aussi ressentir.  » Nous étions pour beaucoup de touristes une sorte d’excursion quotidienne, explique un des innombrables commerçants du souk. Aujourd’hui, à cause de l’ all inclusive, ils sont très nombreux à rester confinés à l’intérieur des sites hôteliers. Un point révélateur s’il en est : les taxi. Jadis, certains touristes se seraient disputés pour monter à l’intérieur de l’un d’entre eux. Aujourd’hui, il arrive parfois que des chauffeurs de taxi abordent d’initiative les touristes sur la place piétonne jouxtant la sortie de la médina pour leur proposer de les ramener à l’hôtel. C’est dire si les affaires vont moins bien qu’auparavant.  »

 » Pour offrir un tel rapport qualité/prix aux touristes, il n’y a pas de secret : indépendamment du fait que les salaires moyens sont sept fois moindres que chez nous, les gestionnaires d’hôtels ont aussi dû s’inspirer des méthodes utilisées en Europe par la grande distribution « , explique un cadre diplômé de l’Institut supérieur de gestion de Sousse. A cause de l’ all inclusive, les hôtels doivent évidemment acheter beaucoup plus de marchandises qu’auparavant. Et c’est là leur atout : avec les débouchés en termes de volumes qu’ils représentent face aux fournisseurs, la pression sur les prix est terrible, surtout si, comme du côté de Hammamet, les hôteliers s’arrangent entre eux pour faire des achats groupés. Là-bas, la pression sur les prix serait encore plus forte qu’à Sousse. Et toutes les marges qui passent ainsi à la trappe constituent ipso facto autant de revenus en moins dans la chaîne de distribution et, à travers elle, de l’économie tunisienne…

De leur côté, les tour-opérateurs ne sont pas en reste non plus pour ce qui est de la fixation des prix offerts aux hôteliers. Ils disposent, en effet, d’une arme fatale : la reprise ou non de leur établissement dans le catalogue de l’année suivante ! Ceux qui utilisent leur propre flotte aérienne sont les plus proactifs en la matière, car ils doivent faire du volume pour remplir leurs avions toute l’année. En basse saison, ils n’y arrivent bien souvent qu’au prix de promotions last minute, certes particulièrement alléchantes pour les vacanciers, mais négociées jusqu’au dernier millime (NDLR : l’unité de fractionnement par mille du dinar tunisien ) avec les hôteliers qui rentrent dans le jeu. Là aussi, chaque dinar obtenu de l’hôtelier est un dinar de moins injecté dans l’économie tunisienne.

De notre envoyé spécial; JEAN-MARC DAMRY

des clients choyés comme des coqs en pâte préfèrent rester à l’hôtel

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