La double morale : notre armée est à Bruxelles et Anvers, nos armes en Arabie saoudite

Peter Mertens
Peter Mertens Président du PTB

Janvier – Après l’attentat contre Charlie Hebdo et la prise d’otages dans une supérette casher Porte de Vincennes à Paris, le gouvernement belge décide de déployer des militaires à Bruxelles et Anvers.

Beaucoup de gens ont peur. Peur d’aller en voyage scolaire à Bruxelles, peur de prendre le métro, peur de la violence, de plus en plus en plus proche. Cette peur n’est pas différente de celle d’une famille de Kaboul face à ces étranges avions sans pilote, appelés drones, qui peuvent lâcher leurs bombes à dix mille kilomètres de distance. Peur de ne pas connaître le lendemain.

Une société démocratique signifie que l’être humain a le droit de vivre librement, de vivre sans la peur d’attentats ou de bombardements. Il est temps de condamner tout assassinat, il est temps de condamner tout terrorisme.

Nous devons nous poser la question : quelle politique combat le terrorisme de ceux qu’on appelle des  » djihadistes salafistes « , et quelle politique en augmente le danger ? Si nous voulons vraiment faire quelque chose, nous devons oser poser cette question.

Entre 1950 et 1980, le terrorisme salafiste a presque été rayé de la carte. Il n’existait presque plus, et le courant dominant était le nationalisme panarabe. Malgré tous les problèmes et défauts se développait lentement un courant progressiste qui se libérait de l’héritage colonial, qui faisait reculer les courants réactionnaires et dans lequel les femmes pouvaient s’émanciper. Il y avait toutefois une exception : l’Arabie saoudite. L’Arabie saoudite a continué à soutenir, à payer, à propager les prêcheurs de haine les plus extrémistes. Qu’y a-t-on fait ? Et qu’y fait-on aujourd’hui ? Rien. Les Etats-Unis et presque tous les gouvernements européens ont continué à soutenir l’Arabie saoudite envers et contre tout. Le pétrole, vous savez bien… Pour le pétrole, tous les principes tombent.

Ces mêmes mouvances extrémistes ont ensuite été entraînées et armées, en Afghanistan. Cela a commencé en 1979 avec le recrutement, l’armement et l’entraînement des moudjahidines. Là réside une partie de l’origine de l’actuel mouvement de haine religieuse fondamentaliste, avec des masses d’armes et de camps d’entraînement professionnels où ont été formés des extrémistes du monde entier. Personne n’a oublié que ces groupes de moudjahidines ont plus tard donné naissance à Al-Qaeda et Oussama ben Laden. Dans les années 1990, Washington a trouvé un nouveau partenaire en Afghanistan : les talibans, encore plus violents – si du moins c’est possible.

Il y a des monstres qui échappent à leurs maîtres. Le 11 septembre 2001 a débouché sur la guerre contre l’Afghanistan, suivie de la guerre contre l’Irak. Les cartes du Moyen-Orient ont ainsi été entièrement rebattues. Le fragile équilibre entre les différentes forces a volé en éclats, et le panarabisme a disparu de l’horizon. Durant l’occupation de l’Irak, la division religieuse du pays a été volontairement encouragée. Diviser pour régner : telle a été la stratégie afin de tuer dans l’oeuf toute tentative d’aboutir à un nouvel Irak nationaliste. Il fallait empêcher qu’un Irak indépendant puisse disposer de ses puits de pétrole. A Washington, certains cercles se sont employés à élaborer des plans pour diviser l’Irak en trois parties sur une base religieuse et ethnique ; ils ont ainsi créé un terrain mûr pour les courants religieux les plus extrémistes. Et une fois encore, resurgit l’Arabie saoudite qui, avec le Qatar, a volontiers offert ses services – contribuer à miner la Syrie voisine n’étant pas la moindre raison.

[…]

Le mois prochain, entre le 22 et le 26 février 2015, neuf entreprises belges participeront à l’Idex, à Abu Dhabi, capitale des Emirats arabes unis. L’Idex, c’est le plus grand  » salon de l’armement  » du Moyen-Orient et un des plus grands au monde. La Belgian Security & Defence Industry y montera un véritable  » pavillon belge « . Une partie des armes belges iront de nouveau à l’Arabie saoudite. Durant la période 1998-2012, la seule Belgique a vendu à l’Arabie saoudite pour plus de 2 milliards d’euros d’armes, selon une synthèse des licences d’exportation européennes. L’Arabie saoudite achète un sixième de tout l’armement belge et est donc, après les Etats-Unis, le plus gros client de la Belgique. C’est donc une double morale qui est en vigueur. A Bruxelles et à Anvers, le gouvernement belge fait patrouiller l’armée pour protéger des cibles stratégiques contre le terrorisme, mais à Abu Dhabi et à Riyad, nous vendons des armes à l’un des plus importants financiers de ce terrorisme. Que faisons-nous au juste ?

Il n’existe malheureusement pas de  » solutions faciles  » dans la lutte contre le terrorisme, et celui qui prétend cela jette de la poudre aux yeux des gens. Il va donc falloir travailler à plusieurs niveaux, mais il est clair que la politique étrangère devra aussi faire partie de la stratégie antiterrorisme. Notre pays doit cesser de suivre aveuglément la politique aventuriste de Washington et de l’Otan. Cela signifie aussi qu’il faut mettre la pression sur la Turquie pour qu’elle ferme sa frontière avec la Syrie. Il faut que notre pays mette fin à cette politique de deux poids deux mesures, coupe les liens militaires avec l’Arabie saoudite et exige un contrôle strict des flux d’argent en provenance de cet Etat pétrolier.

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Peter Mertens

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