La deuxième vie de Moussavi

Désormais champion de la jeunesse contestataire, le rival de Mahmoud Ahmadinejad fut aussi un serviteur zélé de la révolution islamique. Retour sur un parcours méconnu.

Cet homme peut à bon droit briguer l’oscar 2009 du  » héros accidentel « . Quiconque aurait prédit, voilà un quart de siècle, que Mir Hossein Moussavi, alors apparatchik austère et dogmatique de l’islamisme révolutionnaire, cristalliserait un jour l’espérance d’une jeunesse iranienne assoiffée de liberté, serait passé pour un doux dingue. L’irruption sur l’avant-scène de cet architecte à la barbe grisonnante et au charisme indécelable en dit long sur l’ampleur du rejet, notamment au sein des élites urbaines, du président sortant, Mahmoud Ahmadinejad –  » réélu  » de manière controversée le 12 juin – comme du système qu’il incarne.

Oublié, l’accent azéri de ce fils de négociant en thé de Tabriz (nord-ouest) et son phrasé lénifiant ; absoute, l’élocution laborieuse de  » Mister Chiz « , ainsi surnommé pour sa propension à colmater ses lacunes oratoires de  » truc  » et de  » chose  » (chiz, en langue persane). Si, surfant sur la vague verte qui ébranle le régime, Moussavi a gagné en assurance au fil des semaines, au point d’admonester les dignitaires chiites pour leur frilosité, il doit, à 67 ans arpenter en funambule une étroite ligne de crête. Que le challenger inattendu s’efface, cédant aux injonctions de l’ayatollah Ali Khamenei, Guide spirituel et autorité suprême, et le voilà relégué au rang de fossoyeur d’un élan trahi. Qu’il s’obstine, exposant ses troupes aux ravages d’une répression féroce, et on lui imputera le carnage, prologue à coup sûr d’une longue ère de régression. Dilemme que reflètent les variations de son discours :  » prêt au martyre  » le 20 juin, il invite le lendemain ses partisans à la retenue.

Sa mue tardive, Mir Hossein Moussavi la doit en partie à son épouse, Zahra Rahnavard. C’est pour défendre l’honneur de cette universitaire, dont Ahmadinejad contesta, lors d’un débat télévisé, la validité des diplômes, que son rival, outré, se départit de sa réserve proverbiale pour vitrifier l’imprécateur populiste, accusé depuis lors de  » mensonges « , de  » tricheries « , d' » hypocrisie « , voire de travers tyranniques. Sexagénaire réputée libérale, adepte du rap et du mascara, Zahra, a au fil des ans, adouci le radicalisme de son mari. Si ce dernier dénonce les  » lois injustes  » envers les femmes et les outrances de la police des m£urs, nul doute que sa compagne y est pour beaucoup. Le ciment de ce couple dont la complicité offusque les dévots ? L’amour des arts. Elle sculpte, lui peint ; et anime depuis 1998 une Académie des arts, dont il a dessiné les plans. C’est d’ailleurs dans les coulisses d’un vernissage que survint la rencontre, un jour de 1969. Quand monsieur, disciple de l’Italien Renzo Piano, déserte l’arène politique pour s’adonner à l’architecture, à la lecture et à ses gouaches, madame occupe l’avant-scène. Même si l’audace de cette dernière lui coûtera la chaire de recteur d’une université féminine de Téhéran : elle avait osé inviter en amphi le Prix Nobel de la paix Shirin Ebadi.

Le  » mari de Zahra  » – ainsi désigne-t-on Hossein à l’époque – revient de loin. A la faveur du scrutin dévoyé du 12 juin, l’enfant du système a mis fin à une éclipse de vingt ans. Non que cet astre sans éclat soit totalement sorti des écrans radars. Il a conseillé, dans l’ombre, les présidents Hachémi Rafsandjani puis, à l’instar de son épouse, Mohammad Khatami. Et siégé de loin en loin au sein du Conseil de discernement, instance d’arbitrage présidée par le même Rafsandjani. Mais c’est avant tout sur le front de l’idéologie qu’il aura fait du chemin. Son pedigree paraît à cet égard irréprochable. Qu’on en juge : il sera tour à tour directeur politique du Parti de la République islamique, fer de lance de l’épopée de l’imam Khomeini, rédacteur en chef du quotidien phare de la jeune théocratie, et, brièvement, ministre des Affaires étrangères au temps de la prise d’otages de l’ambassade américaine. Avant d’accéder, dès 1981, au fauteuil de chef du gouvernement. Proche de l’imam vénéré, le trentenaire Moussavi mérite alors amplement ses galons de faucon : lui l’architecte ordonne de raser le siège de la chambre de commerce de Téhéran, bastion de l’empire déchu, pour loger des familles déplacées ; il prône l’exportation de la révolution et participe avec zèle à la mise au pas des universités, tantôt fermées, tantôt  » purgées  » des profs et étudiants supposés pro-occidentaux. Dire qu’on l’a entendu, durant la campagne, préconiser la détente avec Washington et déplorer les dégâts infligés, sur la scène planétaire, par  » l’aventurisme  » et  » l’extrémisme  » du sortantà

Il imposa jadis le voile sur les campus

Si sa fille cadette rechigne aujourd’hui à porter le hidjab, Hossein imposa jadis avec d’autres le voile islamique sur les campus. Quant à son intransigeance sur l’enjeu nucléaire, elle n’étonne que les naïfs. Selon un rapport de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA), c’est lui qui approuva, en mars 1987, les achats clandestins de centrifugeuses. Clin d’£il du destin ? Si les Moussavi ont un fils artiste, leur aînée a étudié la physique nucléaireà

Au diable les errements passés : les quadras et les quinquas iraniens savent gré à Mir Hossein d’avoir bâti en son temps une économie de guerre solide et muselé la hausse des prix, atout aujourd’hui précieux, sous Ahmadinejad, où le taux annuel d’inflation frôle les 25 %. Le contentieux qui oppose Moussavi et Khamenei date de cette époque (voir l’encadré ci-contre).

Avec l’âge, Mir Hossein a affûté son talent man£uvrier. Notamment pour supplanter au jeu des candidatures l’icône réformiste Mohammad Khatami. Lequel saura ravaler son dépit et soutenir au grand jour celui qui avait juré de lui laisser le champ libre.  » Nous irons jusqu’au bout « , martèle Zahra, la compagne pugnace. Soit, mais au bout de quoi ?

l Vincent Hugeux

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