La dernière cène

Louis Danvers
Louis Danvers Journaliste cinéma

Ses films étaient attendus avec appétit, gourmandise. Claude Chabrol, le cinéaste gastronome, a quitté la table, mais son ouvre, souvent corrosive, n’a pas fini de nous réjouir.

J’espère que quand je serai mort, on ne le croira pas !  » Malgré cette boutade, Claude Chabrol est bien parti, et déjà regretté. Nous avions pris l’habitude de le retrouver tous les ans ou presque pour un nouveau rendez-vous qu’on devinait réjouissant. Certes, dans les années 2000, il n’avait tourné  » que  » six films, après en avoir sorti neuf dans les années 1990, huit dans les années 1980, quatorze dans les années 1970, et… dix-sept dans les années 1960 ! Une bonne cinquantaine de titres au total (en comptant quelques sketches pour des films collectifs), pour une carrière débutée à la toute fin des années 1950, à l’aube de la Nouvelle Vague. Du Beau Serge (1959) à Bellamy (2009), un demi-siècle de création, de complicité avec des comédiens devenus pour la plupart des amis, avec un public, aussi, qui aimait déguster un Chabrol comme on savoure un bon vin. Le breuvage avait toujours du corps, des tanins parfois forts car l’homme savait oser, être grinçant. Et souvent une belle longueur en bouche, une persistance qui accompagnait le spectateur bien au-delà du générique final.

C’est grâce à… un héritage que le jeune critique des Cahiers du Cinéma put financer lui-même son premier long- métrage. Le Beau Serge inaugura la Nouvelle Vague, les collègues et copains de Chabrol, François Truffaut et Jean-Luc Godard, le suivant de très peu avec Les 400 coups et A bout de souffle. Aux Cahiers, celui qui avait fait des études de droit avant de se passionner pour le 7e art aimait écrire sur les films d’Alfred Hitchcock (1). Cette admiration, doublée par celle qu’il vouait aux romans de Simenon, allait progressivement l’amener à travailler le genre du polar réaliste. Un cadre lui permettant aussi, par la voie criminelle, de dévoiler certains vilains secrets d’une bourgeoisie de province qu’il ne cesserait de  » croquer  » avec une ironie, une gourmandise, très communicatives.

Toutes ces femmes

Michel Bouquet, Jean Yanne, et Stéphane Audran (qui fut son épouse) sont les interprètes principaux de la première grande époque chabrolienne, celle de La Femme infidèle, du Boucher, de Que la bêtemeure et des Noces rouges. Isabelle Huppert devait ensuite être celle de la ligne féministe et subversive du cinéaste, de Violette Nozière en 1978 à L’Ivresse du pouvoir en 2006. Sept films au total, dont les très remarquables Une affaire de femmes, Madame Bovary et La Cérémonie. Chabrol trouvait les femmes  » bien plus intéressantes  » que les hommes, et il sut mieux qu’aucun autre réalisateur français célébrer leur talent à défier un ordre essentiellement masculin. Betty avec Marie Trintignant étant un autre et bouleversant exemple, en même temps que la meilleure adaptation d’un roman de Simenon.

Claude Chabrol aimait la bonne chère, au point parfois de décider d’une région de tournage en fonction des tables accessibles ! Mais quand il filmait, c’était le plus souvent avec l’ambition  » qu’il n’y ait pas de gras « , que son style soit sec, dénué de déchets narratifs et sentimentaux. Une qualité qui permet aux meilleures de ses £uvres de vieillir avec grâce, comme il sut le faire lui-même.

(1) Il lui consacra un bouquin épatant, en 1957, avec un autre critique bientôt cinéaste, Eric Rohmer.

LOUIS DANVERS

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