La cybersurveillance en pratique

Complexe et théorique, le débat sur l’utilisation des nouvelles technologies risque de faire couler encore beaucoup d’encre. En attendant une hypothétique conclusion, Sophie Louveaux et Anne Salaün, fondatrices d’e-Consult, une entreprise spécialisée dans ces problèmes juridiques, répondent – sur base d’une jurisprudence encore balbutiante et fluctuante – à sept questions pratiques sur la cybersurveillance au travail

1. Votre employeur est-il tenu de vous signaler qu’il contrôle vos e-mails ou vos connexions Internet ?

Si l’employeur vérifie l’utilisation du courrier électronique ou de l’accès à Internet, il devra préalablement en avertir l’employé.

2. Dans quelle mesure peut-on utiliser son adresse e-mail professionnelle pour de la correspondance privée ?

Il est admis dans la pratique que l’employé fasse une utilisation privée des outils professionnels à condition que celle-ci ne perturbe ni le bon fonctionnement de l’entreprise (par exemple, engorgement du centre serveur dû au téléchargement de fichiers de taille excessive), ni ses tâches professionnelles (temps déraisonnable passé à communiquer à des fins privées). Si l’entreprise dispose d’une charte en la matière, portée dûment à la connaissance de l’employé et acceptée par ce dernier, il devra s’y conformer, notamment si les temps maximaux d’utilisation à des fins personnelles sont mentionnés. L’employeur peut aussi protéger son entreprise en imposant dans tous les courriers électroniques sortants l’insertion d’une mention du type: « Le contenu de ce message est strictement personnel et n’engage pas l’entreprise.  » Les fichiers attachés aux e-mails privés font aussi partie de la sphère privée. Mais cela n’empêche pas l’employeur de contrôler les fichiers entrants – qu’ils soient professionnels ou privés – dans un but de sécurité. Le contrôle automatique, comme l’effectue un logiciel antivirus, n’implique d’ailleurs pas forcément une ouverture des fichiers.

3. Peut-on surfer à des fins privées sur son lieu de travail ? Si oui, dans quelles proportions ?

De la même façon que pour l’utilisation de l’e-mail à des fins privées, un employé peut utiliser la connexion Internet pour son propre usage, avec des limites similaires : ne pas provoquer d’engorgement, ne pas visiter de sites illicites, ne pas nuire à son travail, etc. Là aussi, si une charte d’entreprise existe et est acceptée par l’employé, elle servira de référence.

4. L’utilisation d’Internet et des e-mails au travail doit-elle être réglementée dans le contrat de travail passé avec son employeur? Ou est-elle régie par des législations nationales ou supranationales?

L’utilisation privée d’Internet ou du courrier électronique professionnel par un employé entre dans la sphère de la vie privée. Il est en effet reconnu que la notion de vie privée ne s’arrête pas lors de l’exercice d’une activité professionnelle. Le contrat de travail peut aussi régir cette question de l’utilisation par l’employé d’Internet et du courrier électronique à des fins privées. En effet, si l’employé est protégé par le principe de l’inviolabilité de sa vie privée, n’oublions pas que l’employeur est propriétaire des moyens de communication qu’il met à la disposition de l’employé pour que celui-ci effectue la tâche qui lui est confiée. L’employeur peut ainsi limiter l’usage de ces moyens de communication sans toutefois interdire tout usage personnel.

5. Peut-on télécharger des fichiers musicaux MP3 ou écouter la radio en ligne depuis son poste de travail ?

Si le fait qu’un employé écoute la radio dans son bureau depuis Internet, sans perturber son travail ni ses collègues, ne semble pas poser de problèmes, la question est plus délicate pour les fichiers MP3. En effet, rares sont les fichiers MP3 qui ne violent pas les droits d’auteur. Le téléchargement depuis le lieu de travail constituera donc très probablement une infraction, puisque l’on considère que, outre l’infraction constituée par la mise à disposition sur Internet de morceaux de musique en format MP3 sans l’accord de leur auteur, le téléchargement par un internaute de ces fichiers est également une atteinte au droit de l’auteur. L’acte de téléchargement ayant lieu depuis le lieu de travail, l’employeur pourrait voir sa responsabilité engagée et est donc en droit d’interdire que ses employés téléchargent des fichiers MP3. Concernant les logiciels Freeware (Real Audio, Win Zip…), il est possible que le responsable informatique de la société limite les possibilités de téléchargement. Tout comme pour les fichiers attachés, une telle limite se justifie par des impératifs de sécurité du système informatique de l’entreprise.

6. Quelles mesures peuvent être prises par un employeur en cas de non-respect des règlements propres à l’utilisation d’Internet et des e-mails au sein de l’entreprise ?

Un employé pourrait être mis à pied pendant quelques jours s’il viole de façon flagrante le règlement de l’entreprise. A terme, une violation répétée et établie du règlement de l’entreprise pourrait, en conjonction avec d’autres éléments, justifier un licenciement.

7. Un employeur peut-il utiliser des e-mails comme preuve dans le cas d’un licenciement ?

Dans un conflit avec l’un de ses employés, l’employeur ne peut utiliser les e-mails privés qu’avec beaucoup de prudence. Le tribunal du travail de Bruxelles s’est prononcé le 2 mai 2000 dans un cas d’utilisation abusive à des fins privées du courrier électronique de l’entreprise. On peut en dégager plusieurs règles. L’employeur ne peut fonder un licenciement sur la seule base des courriers électroniques privés. Il faut y ajouter d’autres manquements tels que le contrôle du travail ou un absentéisme caractérisé. Mais ils peuvent naturellement être avancés en complément d’autres éléments de preuve. L’employeur peut prendre connaissance des messages privés échangés par l’employé, mais tout est question de proportion. Ce qui signifie que pour établir la faute de l’employé, il suffit de connaître la liste des messages échangés (la liste donne déjà une bonne indication de l’utilisation de la messagerie électronique). Puisque les éléments suivants apparaissent: nombre de messages, destinataire/expéditeur, date/heure, taille, la prise de connaissance du contenu n’est pas nécessaire.

Entretien: Laurent Toussaint

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