La curiosité contre l’ennui

Cludts Gérard, Bruxelles

L’ennui ? C’est n’avoir goût à rien. Chacun a expérimenté des moments où, à la fois, on est pris par le sentiment que rien ne vaut et d’en souffrir avec, au fond de soi, l’angoisse qu’il n’y a pas de remède à cet état, parce que tout ce qui pourrait nous en guérir (apparemment) ne fait que le nourrir. L’ennui apparaît comme une indisposition – plus ou moins légère – de l’esprit. Passagère, on la supporte comme ces fatigues qui, un moment, entravent l’activité. Plus durable, elle en devient vite désespérante.

Certains, dit-on, s’y complaisent. Reste que sa perception n’a rien d’objectif. On imagine mal décréter qu’un autre que soi, dans une situation donnée, est nécessairement voué à l’ennui ou que telle activité ou pratique vous en épargne, à coup sûr, la sensation. Tout cela – on le sait, on le devine – se cuisine en notre for intérieur. La question n’en demeure pas moins : comment l’éviter ou, mieux, comment se mettre psychologiquement en état de ne pas subir l’ennui ? Cela dit, il ne faut pas le confondre avec le désintérêt de tout qui frappe, soit comme folie pure, soit en conséquence d’une tragédie personnelle.

Mon sentiment est qu’on peut en réchapper si on accepte l’idée non pas qu’il puisse être combattu en soi, mais qu’on peut, par un exercice intellectuel, l’empêcher de se répandre en vous comme une « humeur noire. »

La curiosité des humains et des choses est cet exercice salvateur. Il va plus loin que le dépaysement qu’offrent le voyage, la nouveauté des situations ou l’imprévu, car, s’il y a comme une satiété du changement ou encore une accoutumance comme ces gourmands qui ont le palais blasé à force de bons repas, la curiosité, comme le manger et le boire, renaît continûment – toujours neuve – pour peu qu’on la pratique. Mais comment faire ? Le monde, le vaste monde est là, toujours offert, à portée de main. Dix mille vies ne l’épuiseraient pas. Actuellement, l’usage des médias, surtout télévisuels, paraît remplir cette fonction, même si l’on peut penser que le divertissement qu’il procure peut vite se transformer en dépendance. La curiosité, elle, est active. Elle est découverte désintéressée de tout, de l’homme que je suis, des autres, de la nature, du temps et de l’espace. Comme on évite l’ankylose du corps par l’exercice physique, ainsi celle de l’esprit l’est par l’usage de la curiosité. Ce devrait être une des vertus de l’enseignement, si ce n’est la plus importante. Que ce dernier ne sécrète plus cette envie de savoir qu’à petites doses est une preuve supplémentaire de la crise qu’il traverse.

Jean Nousse

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire