» La culture de la pilule miracle dénature le sport « 

Le professeur Henri Nielens est spécialiste de la médecine du sport aux Cliniques universitaires Saint-Luc et à l’UCL. Entretien.

Le Vif/L’Express : Pourquoi se dope-t-on dans le sport amateur ?

Henri Nielens : Avant tout pour gagner. Et cela concerne aussi celui qui participe à une course de vélo amateur le dimanche ! L’autre grande raison, que l’on trouve plutôt dans le fitness ou le bodybuilding, c’est le souhait d’être beau, d’avoir un bon look, une belle musculature.

Quels sont les effets pervers des anabolisants et stéroïdes ?

Prendre des stéroïdes et anabolisants peut augmenter la colère, la rage, l’agressivité. C’est d’ailleurs un effet recherché par certains sportifs dans des sports de combat par exemple, mais cette agressivité peut hélas déraper hors du sport, dans les relations sociales, jusqu’à entraîner des décompensations psychiatriques. La gamme des effets secondaires est large, du plus bénin au plus grave. Cela va de poussées d’acné à de l’hypertension, des risques d’infarctus ou encore des effets cancérigènes. Les stéroïdes peuvent favoriser ou accélérer des cancers hormonodépendants comme celui des testicules, de la prostate, mais aussi du foie. Ils peuvent encore provoquer de l’infertilité.

Mais pour vous, il existe une dérive plus sournoise, celle des compléments alimentaires…

Il y a un phénomène de mode en faveur de la prise de compléments alimentaires dans le sport récréatif. Pour récupérer, prendre du muscle, maigrir… On en trouve partout aujourd’hui. Cette culture massive de la pilule miracle me semble constituer une dérive majeure. Elle fait croire qu’il est impossible de pratiquer du sport sans prendre des compléments. Or, d’un point de vue médical, il n’existe aucune raison qui puisse pousser à en prescrire. Ils n’ont aucun effet, ou alors si infinitésimal qu’il est inutile dans une pratique récréative.

Prendre des compléments, est-ce se doper ?

Non ! D’un point de vue juridique, on n’est pas dans le dopage. Mais les compléments alimentaires ne sont pas considérés comme des médicaments : leur fabrication n’est donc pas aussi réglementée ni contrôlée. Résultat, on peut y trouver des impuretés toxiques ou des produits non renseignés sur l’étiquette. En 2000, une étude supervisée par le Comité olympique allemand avait testé 600 compléments alimentaires régulièrement consommés par les sportifs. 15 à 20 % d’entre eux contenaient des anabolisants non renseignés sur l’étiquette.

On y trouve des produits dopants, et parfois même… rien du tout ?

La mode actuelle est à la prise de créatine, un dérivé d’acide aminé. Je me souviens d’une étude qui avait trouvé une préparation de créatine qui en réalité… n’en contenait pas. Bref, pour un gain nul, on voit bien que les dérives sont réelles. Et derrière tout cela, il y a probablement des intérêts mercantiles clairs. Pendant ce temps, on dénature complètement le sport auprès de ceux qui le pratiquent de façon récréative.

ENTRETIEN : CHLOÉ ANDRIES ET ANNE-CÉCILE HUWART

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