La confiance des patients n’est plus aveugle
La relation médecin-patient évolue vers un partenariat. » Monsieur le docteur » est tombé de son piédestal et les patients surinformés en savent parfois plus que lui sur leur maladie.
« Le respect du médecin, valeur du siècle dernier, est devenu une notion bien ringarde « , estime le Dr Marc Moens, secrétaire général du GBS, le syndicat des médecins spécialistes. Le Dr Anne Gillet, présidente du GBO, le Groupement belge des omnipraticiens, l’admet : » Nous ne sommes plus des dieux pour nos patients, et c’est heureux. S’ils restent à l’écoute, ils ont aussi un savoir sur leur cas. » » La confiance des patients n’est plus aveugle, reconnaît le Dr Jean-Jacques Rombouts, vice-président du Conseil national de l’Ordre des médecins. Il y a une quarantaine d’années, à l’époque du paternalisme médical, le médecin n’était pas préparé à considérer le patient comme un adulte responsable. Il ne ressentait pas le besoin de lui expliquer en détail son diagnostic, le traitement choisi et les alternatives thérapeutiques. »
Président de la branche bruxelloise de l’Absym, l’Association belge des syndicats médicaux, Dr Michel Vermeylen, est fils et petit-fils de médecins. Il constate que bon nombre de ses confrères découragent aujourd’hui leurs enfants de pratiquer. » Le public est devenu exigeant, il veut des explications. Mon grand-père, lui, n’avait pas pour habitude de dialoguer avec ses patients, qui ne connaissaient rien à la médecine et aux maladies. Lui-même n’avait d’ailleurs pas les connaissances qu’ont les praticiens actuels. A l’époque de mes études de médecine, les moyens d’établir un diagnostic précis étaient encore limités : pas d’échographies, sauf en gynéco, pas de scanners, pas de résonnance magnétique… Nous avons désormais des moyens thérapeutiques redoutables. »
Pour Anne-Sophie Sturbois, juriste au Conseil national de l’Ordre des médecins, généralistes et spécialistes s’efforcent aujourd’hui de détailler le traitement pour s’assurer de la » compliance » du patient. » Le médecin s’adapte au profil de ce dernier : l’un est sportif, l’autre suit un régime alimentaire ou observe des prescrits religieux. Autre changement : la prise en charge pluridisciplinaire : le médecin de famille n’est plus le seul interlocuteur du patient, qui consulte aussi d’autres praticiens. »
» Les fidèles attendent mon retour de congé »
Le Dr Vermeylen assure que la majorité de sa clientèle lui est très fidèle. » Mais cette fidélité a parfois des effets pervers, ajoute-t-il : quand je prends une semaine de congé, certains de mes patients attendent mon retour au lieu d’aller consulter un confrère. Il arrive que l’état de personnes qui avaient une bronchite se soit alors sérieusement aggravé. »
Le Dr Anne Gillet, généraliste, reconnaît qu’elle ne peut asséner à ses patients des vérités toutes faites. » Ils en savent parfois plus que moi. Eux ne s’intéressent qu’à une maladie : la leur. J’en soigne plus de mille ! Des maladies rares exigent l’avis de spécialistes et le soutien d’associations de patients. Les gens qui potassent des ouvrages et surfent sur Internet peinent à relier l’information trouvée avec leur cas personnel. L’autre jour, un patient débarque dans mon cabinet et y dépose trente pages imprimées d’un site médical. « Lisez cela et vous saurez au moins ce que j’ai ! » me lance-t-il. Je lui ai indiqué ce qui le concernait réellement dans ces pages. »
Les patients du Dr Vermeylen s’informent eux aussi grâce aux blogs et sites médicaux spécialisés. » Ils me parlent parfois de syndromes dont je n’ai jamais entendu parler, avoue-t-il. Il m’arrive d’envoyer des personnes bien renseignées chez un confrère susceptible de répondre à leurs attentes. D’autres consultent des forums de discussion entre patients. Là, on trouve vraiment n’importe quoi ! Je dois les prévenir de ne pas tenir compte d’affirmations non étayées. »
Sous l’emprise de thérapeutes
Autre situation particulière : celle de personnes qui, déplore le Dr Rombouts, font trop confiance à leur thérapeute. » Ces patients-là recherchent une prise en charge paternaliste, voire à caractère magique. Ils ne la rencontrent pas dans la médecine scientifique hospitalière, qui peut manquer de chaleur humaine. Ils ont alors recours aux médecines sectaires : la biologie totale, la nouvelle médecine allemande ou chinoise. Ils se retrouvent sous l’emprise de gourous qui les infantilisent. Ce phénomène est de plus en plus répandu en Belgique. Il inquiète la police fédérale et les parquets, qui veillent à consulter l’Ordre des médecins sur ces dérives « médicales ». Si ces thérapeutes ne sont pas médecins, ce qui est souvent le cas, ils ne relèvent pas de la compétence de l’Ordre, mais des cours et tribunaux pour pratique illégale de l’art de guérir. »
L’Ordre rappelle qu’il a aussi pour mission d’éviter qu’un médecin commette un abus de faiblesse à l’égard de personnes fragiles. Ces abus peuvent également exister dans les pratiques non conventionnelles : » Certains ostéopathes dérapent vers l’ostéopathie viscérale, relève le Dr Rombouts : ils traitent une colique néphrétique ou biliaire par manipulations vertébrales. Il ne s’agit pas, pour les pouvoirs publics, de condamner les médecines alternatives, comme l’homéopathie, l’ostéopathie, la chiropractie ou l’acupuncture, mais de réguler ces pratiques. La toxicité rénale de plantes chinoises consommées dans un but amaigrissant a entraîné un drame sanitaire qui a fait scandale en Belgique il y a vingt ans. De nouveaux cas sont pourtant survenus l’an dernier. »
Olivier Rogeau
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