« La Communauté française est invisible! »

Un gouvernement pléthorique, un enseignement qui se prend les pieds dans ses multiples statuts, des entreprises et organismes publics pas assez transparents: les diagnostics et les remèdes du Docteur Demotte

Rudy Demotte, ministre socialiste du Budget, de la Fonction publique, de la Culture et des Sports au sein du gouvernement de la Communauté française, a des projets dans sa besace. Il les livre au Vif/L’Express

Le Vif/L’Express: De tous les gouvernements que compte la Belgique (6!), celui de la Communauté française est le moins aimé…

Rudy Demotte: C’est incontestable. Cela s’explique par le fait que ce gouvernement est invisible. 1. Par son appellation: le nom « Communauté française » ne charriait aucune identité claire, et celui de « Communauté Wallonie-Bruxelles », qui vient de le remplacer, est encore pire! 2. Par son budget: il est passablement étriqué et, si l’on en retire les 85 % de charges salariales incompressibles (les salaires des enseignants), il ne dispose pratiquement d’aucune marge de manoeuvre. D’autant moins que la Communauté ne peut lever d’impôts. 3. Par ses compétences: celles-ci sont éclatées entre 7 ministres, parcellisées, divisées. Comment les gens peuvent-ils comprendre que trois ministres se partagent les compétences en matière d’enseignement, par exemple, et que les matières culturelles soient en charge de deux responsables? Cette situation a été générée par la nature inédite de cette coalition arc-en-ciel: il fallait bien satisfaire tout le monde. Ecolo voulait à tout prix deux ministres communautaires. Le PS et le PRL, qui pèsent bien plus lourd sur l’échiquier politique, en ont donc logiquement réclamé chacun trois. Mais, depuis un peu plus d’un an maintenant, le PS n’en « a » plus que deux.

Si cette majorité devait survivre aux échéances électorales qui s’annoncent (législatives en 2003, régionales et communautaires en 2004), comment évitera-t-on cette pléthore?

Je crois pouvoir dire – Elio Di Rupo l’a déjà fait savoir – qu’il ne sera plus question de répéter la même erreur. N’oubliez pas que le PS a déjà montré sa détermination dans ce domaine: au début de cette législature, le gouvernement de la Communauté française comptait 8 ministres! En janvier 2001, un ministre socialiste ( NDLR: Willy Taminiaux) est sorti de charge et n’a pas été remplacé. Je ne peux que regretter que les autres partis n’aient pas suivi cet exemple. Personnellement, je suis persuadé que quatre, voire cinq ministres suffiraient amplement à la tâche.

Le gaspillage d’énergie entre la Communauté française et la Région wallonne ne figure-t-il pas structurellement en tête des tares politiques francophones?

Si, de toute évidence. Certains de mes « collègues » du gouvernement wallon – dont le libéral Charles Michel – partagent ce point de vue. On gagnerait en efficacité et en « synergies » si certaines fonctions étaient assumées par une seule et même personne, aux niveaux régional et communautaire. Je pense particulièrement au budget ( NDLR: assumé actuellement par Michel Daerden, à la Région wallonne, et par Rudy Demotte, à la Communauté) et à la fonction publique ( NDLR: dont sont respectivement en charge Charles Michel, à la Région et… Rudy Demotte, à la Communauté). Ce sont les deux postes dans lesquels il faut absolument créer davantage de « transversalité » pour gagner en force.

La fusion des deux exécutifs, à l’instar de ce qui se pratique en Flandre, ne faciliterait-elle pas grandement les choses?

La fusion pure et simple de la Communauté française et de la Région wallonne n’est pas envisageable. Le fait régional – qui n’est pas que wallon: la Région bruxelloise tient, aussi, à son identité – est bien ancré dans les moeurs francophones. Mais il est vrai que des voix s’élèvent, à des intervalles de plus en plus réguliers, en faveur de « mises en commun » politiques et budgétaires. Il me semble qu’entre le 27 septembre 2001 – date à laquelle Jean-Marie Severin (PRL) a été débarqué de la présidence du Parlement de la Communauté française pour avoir tenu des propos favorables à une sorte de fusion – et aujourd’hui, les esprits ont évolué. Il est clair que les francophones regroupés pèseraient plus lourd face à la Flandre. Politiquement, mais aussi budgétairement: les budgets communautaire et régional mis ensemble représentent plus de 11 milliards d’euros. Face aux 15 milliards de la Flandre, cela commence à ressembler à quelque chose. Il est, certes, impossible de fusionner les deux budgets: cela reviendrait à fusionner les deux institutions. Mais un seul ministre responsable des deux budgets, comme c’était le cas sous la précédente législature, c’est parfaitement possible.

Ne pourrait-on pas réaliser le même effort de « transversalité » entre les différents réseaux d’enseignement, une autre source de gaspillage régulièrement épinglée?

C’est une oeuvre de longue haleine, à laquelle nous nous attelons. Il faut y aller par petits pas, sous peine de réveiller la guerre scolaire. La première étape, c’est l’uniformisation des statuts du personnel de la fonction publique et des enseignants. Pourquoi les statuts (conditions de nomination, formation…) des directeurs du réseau libre et de l’officiel sont-ils différents? Pourquoi l’ancienneté des enseignants acquise dans le libre n’est-elle pas comptabilisée lorsqu’ils passent dans le réseau officiel? Cette absence d’harmonisation est une réelle entrave à la mobilité, une hérésie, alors qu’il y a pénurie d’enseignants. Personnellement, je travaille ardemment à l’harmonisation de ces différents statuts. Pas seulement pour les 125 000 enseignants, mais aussi pour les autres agents du secteur public ( NDLR: 12 000 à la Communauté française et 21 000, en Wallonie), un sujet que sur lequel je suis en concertation avec Charles Michel, le ministre wallon de la Fonction publique.

RTBF: la reprise en main

Vous êtes l’auteur d’un avant-projet de décret relatif « à la transparence, à l’autonomie et au contrôle des organismes d’intérêt public et des entreprises publiques qui dépendent de la Communauté française ». Ce texte concerne donc, au premier chef, la RTBF. Vous prévoyez, notamment, que les membres du conseil d’administration seront, à l’avenir, nommés et révoqués par le gouvernement de la Communauté française, et non plus par le parlement. C’est une reprise en main de l’exécutif?

Il y a un peu de cela, c’est sûr. Et c’est normal. L’actualité récente, qui a défrayé la chronique des entreprises publiques (à la RMB, filiale de la RTBF, mais aussi à la SNCB et à la Sabena, au niveau fédéral), m’a convaincu d’une chose: il faut que les dirigeants politiques détiennent les leviers de commande qui leur permettent d’avoir de meilleures garanties quant à l’efficacité, la cohérence et la transparence de ces entreprises. Lesquelles jouissent par ailleurs – et c’est fort bien – d’une très grande autonomie. Quand un problème grave se pose, la responsabilité en incombe toujours, en bout de course, au ministre de tutelle et à son gouvernement. Il est donc normal que ceux-ci aient davantage leur mot à dire. Cela dit, ce n’est pas une révolution. La RTBF constituait, jusqu’ici, une exception. A l’ONE (Office de la naissance et de l’enfance), par exemple, et dans tous les autres organismes d’intérêt public de la Communauté, la nomination et la révocation des administrateurs relèvent déjà du gouvernement. Je n’ai plus besoin de vous répéter que j’ai fait de l’harmonisation mon dada… J’ai également prévu davantage de transparence dans les rémunérations des administrateurs. Ainsi qu’une évaluation systématique des contrats de gestion, dans lesquels – c’est une nouveauté – un comité consultatif des usagers sera désormais partie prenante.

Le ministre du Budget – en l’occurrence vous, jusqu’à la fin de la législature – interviendra désormais systématiquement dans la négociation des contrats de gestion et dans le contrôle de ces entreprises et organismes publics, à côté du ministre de tutelle. Vous mettez vos collègues Richard Miller et Jean-Marc Nollet ( NDLR: respectivement ministre de tutelle de la RTBF et de l’ONE) sous… tutelle?

Je n’envisage pas les choses sous cet angle. Il est tout à fait logique que le ministre du Budget – c’est moi aujourd’hui, ce ne le sera peut-être plus demain – soit associé plus étroitement au fonctionnement des entreprises et organismes publics. Les risques, en cas de pépin, sont avant tout financiers et budgétaires. Et, dans le cas d’une Communauté française dépourvue d’autonomie fiscale, ce genre de problèmes peut s’avérer dramatique. Mieux vaut, par conséquent, s’en prémunir…

Entretien: Isabelle Philippon

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