La Chine côté face

Guy Gilsoul Journaliste

Les Fils du ciel, l’exposition phare d’Europalia Chine émerveille. Mais peut-elle révéler les fondements d’une culture qui perdure bien au-delà du dernier Empereur ?

Comme pour les festivités d’ouverture des Jeux olympiques ou l’impressionnant cortège offert, place Tienanmen, le jour anniversaire des 60 ans de la République populaire, le festival Europalia Chine suggère le superlatif. L’expo Les Fils du ciel en est le symbole. Or, argent, jade, laques, parures et porcelaines fines, tout est là pour provoquer l’émerveillement et imposer le respect. Soit, ni plus ni moins, une traversée de quatre millénaires d’une Histoire lissée autour d’une approche thématique : les liens entre le pouvoir des hommes et l’ordre venu d’en haut, le ciel. A partir d’une scénographie construite autour des deux formes symbolisant la Terre (le carré) et le ciel (le cercle), le parcours en trois temps (la magie, la rationalisation et la science) égrène et multiplie les pièces rares, impressionnantes, subtiles, voire présentées ici pour la première fois hors de Chine.

Mais à quoi servirait l’exemple du passé s’il ne permettait de mieux comprendre les rouages du présent ? S’impose alors une lecture critique. Soit une analyse des objets révélatrice d’une manière d’envisager le monde, les rapports entre les hommes ou encore avec la nature. Bref, dans ce cas, tenter de mieux comprendre l’idéal de gouvernance à la chinoise. Car, cette fois, le propos d’Europalia vise une puissance économique qui inquiète et fascine, un système politique dont nous ne partageons pas les idéaux et une société aux antipodes de nos propres visions. Il n’y a, en Chine, ni d’héritage grec et moins encore d’imaginaire judéo-chrétien. A leur place donc, le ciel. Mais encore ?

à la recherche du fil rouge

Tout commence à l’heure néolithique. Pour les premières communautés d’agriculteurs, en Chine comme ailleurs, l’exemple d’harmonie semble venir du ciel. En l’observant par nuit étoilée, on y décèle une ordonnance qui serait bienvenue dans la vie sociale. C’est donc du ciel que vient l’exemple. C’est bien de lui aussi que paraissent naître et s’enfler les forces qui agitent, nourrissent et parfois détruisent la Terre. Le ciel est donc une force vivante, une énergie hors mesure. Or, c’est là que vont les âmes des défunts qui, de là-haut, protègent et conseillent. Mais pour cela, il faut un intermédiaire. Ce seront d’abord les chamans puis les devins associés aux chefs tribaux puis aux premiers rois.

La première phase se place donc sous le signe de la magie (les oracles gravés sur la carapace des tortues) et des sacrifices. Dans ce contexte qui, très vite, se hiérarchise, les rituels funéraires prennent de l’importance. En enterrant un homme puissant, on garantit aussi le rôle de l’ancêtre protecteur. Des hybrides (un  » Bixie  » à l’entrée donne le ton) gardent les caveaux alors qu’à l’intérieur, où sont sacrifiés les proches ainsi que l’épouse, sont déposées les offrandes dont les objets en jade (70 % du contenu) et bientôt les vases tripodes en bronze dans lesquels on verse les  » bouillons sacrificiels « . Ainsi se précise une séparation qui ira grandissante entre les hommes qui possèdent le pouvoir (magique et militaire) et le peuple qui profite de la sagesse des maîtres mais n’a pas droit à la parole. En réalité, nous voilà déjà dans la deuxième et très longue salle, un périple qui démarre chronologiquement à l’heure du Nouvel Empire en Egypte (xvie siècle av. J.-C.) et se termine au IIe siècle av. J.-C. avec un superbe linceul de l’époque Han réalisé à partir de plus de 4 000 plaquettes de jade reliées les unes aux autres par des fils d’or.

Dès le xie siècle av. J.-C. (dynastie Zhou), le culte des ancêtres longtemps confondu avec celui des défunts, privilégie ces derniers. Le culte du héros de la nation est né. Avec lui, un pragmatisme qui différencie les différents niveaux de pouvoir par toute une série de démonstrations visuelles. Ils se manifestent, par exemple, dans les rituels funéraires par le nombre ou la dimension obligatoires des vases en bronze ou des carillons de cloches (ve-iiie siècles av. J.-C.). Rien n’arrêtera le processus. Désormais, le pouvoir s’organise autour d’un contrôle permanent assuré par une centralisation que gère une administration régulant tous les aspects de la vie. Exemple : le plan des villes. D’un côté, le palais de l’empereur, les bâtiments réservés à l’administration et aux divers responsables de la vie publique. De l’autre, surpervisés par de hautes tours, les divers quartiers populaires disposés selon un quadrillage régulier et surveillés chacun par des gardiens.

Qin Shihuang (au iiie siècle av. J.-C.), des Han, le premier d’une dynastie d’empereurs qui ne prendra fin qu’en 1911, confirme la stratégie. Il réforme d’une main de fer les usages politiques économiques et culturels, unifiant la monnaie, les mesures et bien sûr la langue. L’architecture nouvelle (dont la célèbre muraille) incarne cette option d’un pouvoir qui se voit et impressionne. Son tombeau, un véritable palais souterrain en est le reflet. Quelque 7 000 hommes venus parfois de loin y travailleront. Autour du caveau (toujours inviolé aujourd’hui) et sous un ciel reconstitué, le territoire se déploie avec ses rivières de mercure et ses paysages champêtres. Désormais, plutôt que de sacrifier les hommes, on se contente de tuer les chevaux. L’armée (7 000 soldats de terre cuite portant des armes bien réelles) est la garante de l’ordre. A ses côtés, place est donnée aux arts et à quelques pièges mortels.

L’étiquette d’abord et pour longtemps

Avec les premiers empereurs se précise aussi le lien entre le pouvoir et une moralité que préconise le confucianisme. L’empereur doit donner l’exemple à ses sujets, comme le général à ses subordonnés et le père de famille à ses enfants. On l’écoute parce qu’il est sage, mais il tient sa sagesse de l’ordre venu du cosmos. A lui donc, Fils du ciel, et à ses délégués, les mandarins (dont l’exposition organisée à l’ING souligne l’importance, le mode de vie et les liens instaurés entre culture et pouvoir) d’incarner cet idéal. Et s’il doit s’en référer à une sagesse, l’empereur préfère désormais, et le plus souvent, invoquer le taoïsme (plutôt que le bouddhisme aujourd’hui encore qualifié, en Chine, de  » religion des barbares « ) pourvu que ce dernier ne barre pas la voie au faste de cérémonies officielles ou aux fêtes populaires (voir l’exposition présentée par le Centre de la gravure à La Louvière) réglées avec la précision d’un défilé militaire. Alors même si l’astronome belge Ferdinand Verbiest (1623-1688) offre à la Chine l’occasion de rationaliser ce fond de ciel d’où tout découle, les empereurs n’oublient jamais de se référer à la symbolique ancienne.

Alors, lorsqu’on arrive au terme de l’exposition, une question se précise : qu’en est-il aujourd’hui ? Une analyse plus fine des festivités organisées à l’occasion des 60 ans de la République populaire révélerait sans peine la persistance des symboles et, avec eux, des croyances et des méthodes de l’Empire. Mais il faudrait sans doute ajouter un quatrième temps : celui où (est-ce un hasard ?), par une curieuse proximité phonétique, le mot chinois désignant le ciel est très proche du terme utilisé pour l’argent. Le tout à l’économie trouverait alors sa justification dans le ciel.

Bruxelles, Les Fils du ciel, Bozar. Jusqu’au 24 janvier.

Bruxelles, Les Trois Rêves du mandarin. ING place Royale. Du 22 octobre au 14 février.

La Louvière, Coutumes et traditions du Nouvel an chinois. Centre de la gravure. Jusqu’au 14 février.

www.europalia.eu

Portrait de l’empereur Qing Kangxi (1662-1722).

GUY GILSOUL

L’empereur tient sa sagesse de l’ordre venu du cosmos

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