La brouille belgo-marocaine

Spécialiste des services secrets, le journaliste flamand Kristof Clerix brosse, dans le mensuel MO*, l’histoire des relations entre les services secrets belge et marocain, qui ont culminé – pour le pire – avec l’affaire Belliraj.

Le jugement d’Abdelkader Belliraj, 52 ans, par la cour spéciale antiterroriste de Salé-Rabat, au Maroc, le 28 juillet, n’a pas permis de lever les zones d’ombre sur les activités réelles du Belgo-Marocain (seul le verdict a été lu, pas les motivations). Il a été condamné à la perpétuité pour atteinte à la sécurité de l’Etat, association de malfaiteurs en vue de commettre un attentat, assassinats, détention illégale d’armes… Parmi les membres de son  » réseau « , trois dirigeants de partis islamistes en ont pris pour vingt-cinq ans de prison, au grand dam des défenseurs des droits de l’homme. L’affaire doit encore revenir devant une cour d’appel.

Ni le parquet fédéral belge, pourtant acquis à la coopération judiciaire, ni les avocats de la défense ou des parties civiles n’ont eu accès à la totalité du dossier. L’affaire Belliraj est restée exclusivement marocaine. Et sécuritaire. Elle prend pourtant ses racines en Belgique où l’homme, d’après les dires marocains, aurait commis ou aidé à commettre six assassinats politiques à la fin des années 1980. Depuis très longtemps, Belliraj était un collaborateur régulier de la Sûreté de l’Etat – qui ne le reconnaîtra jamais, protection des sources oblige. A-t-il réellement commis ces assassinats ou ses aveux lui ont-ils été extorqués sous la torture, sur la base d’une documentation préalablement constituée par les services de sécurité marocains, qui avaient besoin d’un bouc émissaire ?

 » La goutte qui a fait déborder le vase « 

Faute d’en savoir plus sur  » Monsieur B. « , Kristof Clerix, déjà l’auteur des Services secrets étrangers en Belgique. En toute impunité ? (Racine), a consacré trois mois d’investigation à reconstituer le fil des relations jadis paisibles, aujourd’hui tumultueuses, entre la Sûreté de l’Etat et le service de renseignement extérieur marocain, la Direction générale des études et de la documentation (DGED). Un choix d’angle judicieux. Le résultat de son enquête est publié dans le mensuel flamand MO* daté du 26 août, avec une extension sur le site Internet du magazine  » d’information sur le monde et la mondialisation « . Le journaliste y compare notamment les arguments des believers et des non believers sur la question de la culpabilité de Belliraj.

Selon l’administrateur général de la Sûreté de l’Etat, Alain Winants,  » l’affaire B. a été la goutte qui a fait déborder le vase « . Elle a été le point d’orgue d’une collaboration de moins en moins convaincante entre les deux services, ce qui, du point de vue de la sécurité et de l’harmonie des relations belgo-marocaines, est considéré par le patron de la Sûreté comme un vrai  » désastre « .

La surveillance des  » comportements excentriques « 

Pendant longtemps, la Sûreté et la  » Djèt  » ont travaillé main dans la main. La première surveillait les  » comportements excentriques  » des immigrés marocains et la seconde  » informait des menaces contre l’ordre public tant en Belgique qu’au Maroc « . D’après Kristof Clerix, une dégradation importante s’est produite après les attentats de Casablanca (2003), lors du voyage à Rabat de l’homme clé de la Sûreté pour les affaires arabes. Ce dernier a-t-il semé la zizanie entre les services de sécurité marocains en traitant avec l’un, puis avec l’autre ? Les Marocains ont-ils été insatisfaits des réponses données par la Sûreté à une  » liste de noms de personnes à suivre « , comme le soutient l’ambassadeur du Maroc en Belgique, Samir Addahre ? Dans MO*, les deux versions coexistent au travers d’un récit cohérent et très documenté.

MARIE-CéCILE ROYEN

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