A Venise, Damien Hirst expose des oeuvres gigantesques conçues, depuis dix ans, dans le plus grand secret. © Bertrand Rindoff Petroff/Getty Images

La Biennale de Venise en 10 temps forts

Placée sous le signe d’une ode à la vie et à l’art, la 57e Biennale de Venise déroule ses fastes jusqu’au 26 novembre prochain. Tenté par l’aventure ? Le Vif/L’Express a sélectionné les dix expositions à ne pas manquer.

Jesse Jones au pavillon irlandais

Jesse Jones n’a de cesse d’interroger les problématiques sociales et politiques en Irlande ou ailleurs dans le monde. Dans le cadre de la Biennale, elle poursuit le sillon qu’elle a creusé en s’emparant du pavillon irlandais à la faveur d’une  » expérience cinématographique augmentée  » qui oscille entre projections multiples, théâtre et atmosphère sonore immersive. Le propos ? Il porte sur le contrôle du corps féminin par l’Etat et la religion, un sujet très sensible dans un pays où l’on estime à 1 500 le nombre de femmes ayant subi, entre 1920 et 1980, une symphysiotomie, du nom de cette alternative barbare à la césarienne que les médecins catholiques pratiquaient, sans le consentement des intéressées, afin de ne pas affaiblir la fertilité des parturientes. Le titre Tremble, Tremble convoque le spectre des sorcières et des féministes qui ont oeuvré à travers les âges pour échapper à l’oppression patriarcale. Les séquences filmiques présentées donnent à voir une sorcière brillamment interprétée par la performeuse Olwen Fouéré. Celle-ci réhabilite un archétype féminin puissant, capable de transformer la réalité, en l’occurrence le système judiciaire national. La démarche est tout sauf innocente, l’artiste vise directement le 8e amendement de la Constitution de son pays. Celui-ci confère les mêmes droits au foetus qu’à la mère. Une situation qui interdit l’avortement, même en cas de viol.

Tremble, Tremble, Jesse Jones, Arsenale.

Geta Bratescu au pavillon roumain

Forgée majoritairement sous le règne communisto-ubuesque de Ceausescu, l’oeuvre de Geta Bratescu (Ploiesti, 1926) mérite d’être découverte de toute urgence. Peu connue en Belgique, cette artiste est l’une des figures les plus marquantes de l’histoire de l’art conceptuel de l’Europe de l’Est. Située à l’exacte charnière de l’art moderne et de l’art contemporain, cette figure haute en couleur mise sur une approche multidisciplinaire utilisant les médias les plus variés. Pour résumer son approche, l’intéressée a coutume d’évoquer un  » jeu sérieux  » qui dit bien la tension entre la maîtrise et le laisser-faire au sein de son oeuvre. Deux thèmes traversent l’exposition que lui consacre le pavillon roumain : celui de l’atelier comme endroit central pour la création, ainsi qu’une exploration approfondie du genre féminin. Le tout enrobé dans une forme remarquable et exigeante qui évoque l’art brut à bien des égards.

Apparitions, Geta Bratescu, Giardini.

Anne Imhof au pavillon allemand

En récompensant le Faust d’Anne Imhof (Giessen, 1978) d’un Lion d’Or, le jury de la Biennale de Venise a opéré un choix audacieux. A l’heure où le monde semble plus sombre que jamais, il aurait été beaucoup plus consensuel d’élire l’un de ces projets utopiques qui parsèment l’événement. En lieu et place d’un message positif adressé aux foules, c’est une espèce de zoo humain dystopique et malsain, au parfum de désinfectant, qui a eu les faveurs des jurés. L’environnement y est glacial : un évier industriel, des socles étroits fixés aux murs et un plancher de verre soutenu par des pilotis sur lequel évoluent les visiteurs. En dessous de ce dernier dispositif, révélateur d’une transparence nécessaire à une société qui a érigé la surveillance généralisée en modèle absolu du vivre ensemble, un espace d’une hauteur réduite, pas plus d’un mètre, dans lequel évoluent de jeunes gens sombres et mélancoliques. Il y a à la fois du laboratoire et du magasin dans ce contexte effrayant où, cinq heures par jour, à horaires fixes, les performeurs souvent vêtus de noirs sont contraints de se produire encore et encore en obtempérant aux instructions envoyées via sms par l’artiste. A la merci des visiteurs pour qui cette situation anxiogène est du pain Instagram bénit, les silhouettes dépitées nous rappellent vaguement quelqu’un : nous, esclaves consentants d’un néolibéralisme qui fait de nos vies des marchandises. A l’extérieur, deux chiens, des dobermans, montent la garde, histoire de lever tout doute sur la visée concentrationnaire du projet.

Faust, Anne Imhof, Giardini.

Teresa Hubbard et Alexander Birchler au pavillon suisse

Alberto Giacometti est probablement l’artiste suisse le plus célèbre. Etrangement, l’homme n’a jamais accepté de représenter son pays à Venise. On attribue ce refus à une volonté du sculpteur grison de s’envisager uniquement comme un plasticien international libéré des appartenances particulières. Le pavillon helvétique – qui fut signé par Bruno Giacometti, son frère – a néanmoins invité quatre artistes de la Confédération à questionner cette troublante absence. Parmi les différentes propositions, on retient tout particulièrement celle de Teresa Hubbard et Alexander Birchler. Le duo propose une installation filmique en forme de travail de mémoire. Flora panache scènes fictives et scènes documentaires autour de la figure de Flora Mayo, une artiste américaine quasi inconnue qui fut la maîtresse de Giacometti dans les années 1920, alors qu’elle était étudiante à Paris. Très émouvante, cette approche qualifiée d’archéologie cinématographique par ses auteurs a débouché sur la découverte… d’un fils inconnu qui s’exprime ici pour la première fois.

Flora, Teresa Hubbard et Alexander Birchler, Giardini.

Xavier Veilhan au pavillon français

La musique plus forte que les arts plastiques : tel pourrait être le slogan du pavillon français aménagé par Xavier Veilhan. Le plasticien est de ceux qui pensent que le son pénètre l’humain plus profondément que ne le feraient les arts visuels. Cette obsession, il la soigne régulièrement comme en témoignent des sculptures réalisées en hommage à Quincy Jones ou Daft Punk, voire des spectacles montés pour un Sébastien Tellier. A l’occasion de la Biennale, cet artiste phare de la scène contemporaine française a imaginé un projet fou : permettre aux visiteurs de plonger dans l’intimité d’un studio d’enregistrement. Pour ce faire, il a glané son inspiration quelque part entre le Merzbau de Kurt Schwitters – une oeuvre d’art  » habitable  » constituée d’objets trouvés – et une série de studios mythiques tels qu’Ocean Way à Los Angeles ou Abbey Road à Londres. Le résultat est un espace recouvert de planches de contreplaqué d’okoumé dans lesquelles sont disposés une panoplie d’instruments de musique – orgue Hammond, balafon, batterie… – ainsi que du matériel d’enregistrement. A la fois sculpture, lieu d’exposition et espace expérimental, l’endroit sera investi au fil du temps par une série de musiciens qui s’engagent à y produire un album. Soit une occasion unique d’assister à un processus de création artistique tenu habituellement loin des yeux et des oreilles du grand public.

Studio Venezia, Xavier Veilhan, Giardini.

Olafur Eliasson au pavillon central

Connu pour son goût pour la transversalité, Olafur Eliasson a surpris tout le monde en imaginant un vaste atelier auquel tout un chacun peut apporter ses compétences. Le principe ? Il tourne autour de luminaires constitués de diodes électroluminescentes vertes, de matières plastiques recyclées et de bâtonnets de bois assemblés à la manière d’un polyèdre dont la forme évoque une sorte de cerf-volant tridimensionnel. Ces  » lampes vertes  » se veulent des phares symboliques allumés dans la nuit de l’égoïsme européen qui n’entend pas accueillir les migrants en quête de survie. Le Danois a imaginé ici une véritable chaîne de production collaborative qui offre la possibilité aux exilés de participer à un projet économiquement viable (on peut acheter les luminaires sur www.greenlightwork- shop.org) tout en faisant la démonstration du potentiel de transformation civique propre à l’art contemporain.

Green Light. An Artistic Workshop, Olafur Eliasson, Giardini.

Future Generation Art Prize au Palazzo Contarini Polignac

Rendu possible grâce au mécénat du milliardaire ukrainien Viktor Pintchouk, le Future Generation Art Prize couronne des artistes de moins de 35 ans. Pour sa quatrième édition, il s’est offert une vitrine de choix en s’implantant, jusqu’au 13 août prochain, dans le magnifique cadre du Palazzo Contarini Polignac. L’occasion est belle pour y découvrir une scène émergente qui ne manque pas de talent. On retient ainsi la performance vidéo du Danois Christian Falsnaes qui, dès son entrée, happe et soumet le visiteur aux logiques médiatiques. Idem pour la Kenyane Phoebe Boswell dont Mutumia se découvre comme une installation multisensorielle faisant se rencontrer dessin et technologie sur fond de résistance féminine à l’oppression. Sans oublier le Géorgien Vajiko Chachkhiani qui livre un très beau film métaphorique sur les relations entre destins collectif et personnel.

Future Generation Art Prize, 874, Dorsoduro.

Damien Hirst à la Punta della Dogana et au Palazzo Grassi

Extrait du formol le temps d’une exposition sur les deux sites de la fondation François Pinault, Damien Hirst – qui a ouvert sa propre galerie, à Londres, en 2015 – noie Venise sous le gigantisme de nouvelles pièces qui sont le fruit de dix années de travail opéré dans le plus grand secret. Le résultat ? Une affabulation mégalomane et anachronique débouchant sur un spectacle – arrogant pour les uns, excitant pour les autres – qui renvoie dos à dos ceux qui y voient une rédemption inespérée de l’ancien Young British Artist en ce qu’il questionne le besoin de croyance propre à l’humanité et les autres qui considèrent ce barnum testamentaire – mettant en scène une série d’oeuvres attaquées par le corail censées résulter d’une pseudo découverte archéologique – comme une énième variation sur le spectaculaire pompier dont Hirst est coutumier.

Treasures from the Wreck of the Unbelievable, 2 Dorsoduro et 3231 Campo San Samuele.

Jean Boghossian au pavillon arménien

Grand amateur d’art et mécène par le biais de la fondation éponyme établie à Bruxelles, Jean Boghossian pratique la sculpture et la peinture depuis plus de trente ans. Emmené par le commissariat de Bruno Cora, président de la fondation Burri, son travail acquiert une renommée croissante. L’homme a les honneurs de la Biennale à travers une série d’oeuvres qui ont le feu pour fil rouge et évoquent l’expressionnisme abstrait d’un Pollock.

Fiamma Inestinguibile, Jean Boghossian, Palazzo Zenobio, 2596 Dorsoduro.

Leonard Qylafi au pavillon albanais

Ce jeune peintre (Korca, 1980) est à suivre de près. A la base de son travail se trouvent les images de propagandes communistes telles qu’elles ont envahi l’Albanie à l’époque d’Enver Hoxha. Sous son pinceau, ces clichés se transforment en compositions floutées et déformées qui soulignent le statut fragile des représentations.

It Happened at the Present Time, Leonard Qylafi, Arsenale.

Par Michel Verlinden

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