La Belgique pionnière de la mobilité

Il y a 175 ans, la toute jeune Belgique fit circuler le premier train  » public  » du continent entre Bruxelles et Malines. Le développement des chemins de fer avait pour ambitions d’unifier le pays et de contrecarrer sa vulnérabilité économique.

Les Anglais avaient tiré les premiers, dix ans plus tôt. Les Français aussi avaient déjà une ligne ferroviaire de 18 kilomètres entre Saint-Etienne et Andrézieux, depuis 1828. Mais en mai 1835, la liaison Malines-Bruxelles devient la première ligne ferroviaire publique de transport de voyageurs sur le continent. Les Belges battront les Allemands qui attendront le mois de décembre pour inaugurer à la vapeur les 7,5 kilomètres entre Nuremberg et Fürth. Ils fêteront bientôt ce 175e anniversaire, contrairement à la Belgique qui a renoncé aux festivités prévues au printemps dernier en raison de la catastrophe ferroviaire de Buizingen (18 morts) le 15 février dernier. Alors que les négociations prégouvernementales en cours piétinent – aussi – sur l’avenir du rail, l’anniversaire manqué n’en illustre pas moins que, sur le plan historique, l’apport du train à la Belgique – et réciproquement – reste mémorable.

Le 5 mai 1835, trois locomotives L’Eléphant,La Flèche et Le Stephenson, partis à cinq minutes d’intervalle avaient tiré les 27 wagons abritant les 900 invités endimanchés en cinquante minutes sur les 22 kilomètres séparant Bruxelles Allée Verte à Malines. Sa vitesse moyenne s’élevait à 20 km/h. Les ingénieurs et les ouvriers belges avaient construit cette jonction en un an à peine, en vertu d’une loi datant du 1er mai 1834 et sous l’impulsion liégeoise, notamment. L’essor des chemins de fer belges sous l’égide du jeune Etat belge avait, au-delà de la course de vitesse européenne et du prestige, une justification essentiellement économique et politique. Et c’était le transport des marchandises qui était l’enjeu primordial, bien avant celui des passagers. Sans le train, la destinée liégeoise, par exemple, aurait pu prendre une autre tournure, relève l’historien Bart Van der Herten (1) :  » Dans la Belgique nouvellement constituée, le bassin charbonnier liégeois devenait vulnérable. La Belgique n’était pas encore véritablement un pays, mais plutôt un espace géographique dans lequel se développaient plusieurs pôles économiques : les bassins du Centre autour de Mons et de Charleroi, celui de Liège, le port d’Anvers, Gand et son industrie cotonnière et enfin la capitale. Grâce aux canaux construits dans les années 1820 autour de Mons, de Charleroi et de Bruxelles, le transport avec la France était facilité dans ces bassins. Liège était dépendant de la Meuse et de la Zuid-Willemsvaart, le canal parallèle en territoire néerlandais, mais ces artères étaient temporairement interrompues suite aux différends avec les anciens maîtres hollandais. De plus, la Meuse ne pouvait accueillir que des chalands jusqu’à trente tonnes.  »

Les premières inquiétudes se manifestèrent donc à Liège dès 1830 et  » Bruxelles  » allait les relayer assez vite.  » Les autorités ont très bien compris que la cohésion du pays reposerait nécessairement sur de bons moyens de communication, établit Bart Van der Herten, qui a consacré sa thèse de doctorat au développement de l’infrastructure économique en Belgique au xixe siècle. Sans quoi, les industriels liégeois auraient pu se tourner vers la France. Le gouvernement voulait conserver le niveau concurrentiel du charbon liégeois et s’est donc appliqué à maintenir les frais de transport au plus bas. C’est pourquoi il s’est opposé à ce que le domaine des Communications tombe aux mains d’entreprises privées, qui auraient pu imposer des tarifs excessifs, au détriment de l’économie nationale. « 

Le Vif/L’Express : Mais comment la  » solution  » du chemin de fer s’est-elle imposée ?

> Bart Van der Herten :  » Il fallait tenir compte de beaucoup de choses à la fois. Le souci principal était de réunir plusieurs provinces en un pays dans un intérêt économique commun. Comment ? Par le développement des moyens de transport. On a pensé à un canal ou à un chemin de fer traversant le pays au nord par la Campine jusqu’au Rhin, mais on ne savait pas encore si Maastricht et Venlo appartiendraient à la Belgique ou aux Pays-Bas. En Campine, l’expropriation était bon marché mais la région était peu peuplée. Pour le chemin de fer, le problème était d’y amener le charbon aux locomotives.

En rassemblant toutes les données, il s’est avéré que le canal était la moins bonne solution : sa construction dure plus longtemps que celle d’une voie ferrée, les aménagements futurs sont difficiles et les perspectives d’innovations technologiques, assez limitées. Le choix s’est donc porté sur un chemin de fer traversant la Belgique par le centre, d’Anvers à Liège via Malines et Louvain. Mais la Chambre de commerce, fortement représentée au sein du Parlement et associée aux discussions, ne marquait son accord qu’à certaines condi-tions. Entre autres que l’Etat se charge des fondements de l’opération et que, pour des raisons stratégiques et militaires concernant la flotte, Ostende soit un point de départ.

Toutes les régions ont ensuite participé au débat et, privilégiant l’optique que la Belgique est avant tout un pays de transit, ont finalement élaboré un véritable réseau ferroviaire orienté sur deux axes internationaux majeurs. C’est cela la grande innovation de la Belgique : le premier concept de réseau de chemin de fer intégrant également des moyens de communication fluviale et routière. La pensée intermodale constitue notre principale contribution au développement de ce qu’on appelle aujourd’hui la mobilité. « 

Le train a-t-il unifié la nation ?

 » Exactement. L’opposition à Guillaume Ier avait bien apporté une certaine unité, mais il subsistait une importante fraction de la population souhaitant le rattachement à la France. D’autre part, l’orangisme n’était pas mort non plus. Sur la base de ses deux grands axes centraux, le projet ferroviaire était un beau moyen d’unification.

Dans cette entreprise, la Belgique a également innové sur le plan du financement. Les tarifs des transports s’avéraient déterminants pour la survie de la Belgique économique. Dès lors, c’était à l’Etat de prendre en charge l’établissement et l’exploitation du réseau ferroviaire, certainement au cours des premières années. On pourrait toujours y associer le secteur privé par la suite. Le gouvernement décidait donc de recourir à des emprunts qui seraient remboursés par les revenus de l’exploitation du rail. Les bénéfices produits par les axes centraux ont servi à subsidier les axes moins rentables et ainsi à maintenir en fonction et à développer l’ensemble du réseau. Le système a servi d’exemple à toute l’Europe. La reconnaissance de l’étranger était en effet très grande envers ce système belge qui permettait d’offrir le train à une large majorité de la population grâce à ses tarifs modérés.

(1) Bart Van der Herten a publié, entre autres collaborations avec Greta Verbeurgt, Sporen in België(Le rail en Belgique) , Leuven University Press.

l ERIC BRACKE

La belgique se trouve à l’origine du transport intermodal

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