La Belgique oasis fiscale pour les multinationales

Certaines filiales belges de multinationales ont connu, ces derniers temps, d’importantes injections de fonds. Trop rarement, malheureusement, pour booster les tissus industriel et social de notre pays. Si la chose peut interpeller, elle est pourtant parfaitement légale. Explications.

Quel paradoxe ! Alors qu’une étude internationale atteste un recul des investissements étrangers en Belgique, le Moniteur publie simultanément des exemples d’injections colossales d’argent frais dans des filiales belges de groupes multinationaux. Un des derniers exemples en date est celui de LVMH, géant français du luxe, détenteur d’un portefeuille de marques aussi prestigieuses que Dior, Louis Vuitton, Moët & Chandon, Kenzo, Hennessy, entre autres. Début juillet dernier, LVMH procédait à une augmentation de capital de 629,1 millions d’euros (en espèces) de sa filiale LVMH Finance Belgique, portant ce dernier de 870,9 millions à 1,5 milliard d’euros. Une troisième opération du genre puisqu’elle suivait une première augmentation, en juillet 2009, de 100 00 à 700,9 millions (toujours en espèces) et une seconde, en février 2010, qui gonflait le capital à 870,9 millions.

Objectif notionnel

En dotant sa filiale belge d’un montant cumulé de 1,5 milliard d’euros et voyant que les actes notariés prévoient déjà la possibilité d’augmenter son capital à hauteur de 5 milliards, LVMH aurait-elle de grandes ambitions industrielles dans notre pays ? C’est vrai qu’il se susurre en coulisses qu’une maison comme Delvaux pourrait être adossée à un partenaire industriel de plus grande envergure. Mais de là à voir dans le chef de LVMH un quelconque lien de cause à effet, il est trop tôt pour se prononcer. Dans l’état actuel des choses, il ne faut pas chercher, derrière ce type d’opération, d’autre explication que celle de la volonté du groupe d’optimaliser (bref, de réduire autant que possible) sa base taxable à l’échelon consolidé. En Belgique, la technique dite des  » intérêts notionnels  » permet effectivement de tendre vers cet objectif, assez facilement d’ailleurs. Concrètement, depuis 2006, toutes les sociétés résidentes belges répondant aux critères peuvent, dans ce cadre, déduire de leur base taxable un certain pourcentage – 4,473 % en 2009, 3,8 % en 2010 et 2001 – de leurs fonds propres [lire l’encadré]. En ce qui concerne LVMH Finance Belgique, sur la base d’un capital injecté de 1,5 milliard d’euros, on arrivera  » en rythme de croisière  » à un montant potentiel de déduction fiscale se chiffrant à 57 millions d’euros par an – contre 13,06 millions en 2009 – et plus encore puisque les intérêts notionnels ne se calculent pas uniquement sur le capital investi mais sur l’ensemble des fonds propres (en ce compris donc les réserves et bénéfices reportés des années antérieures).

Les sommes évoquées ci-avant pour LVMH ne sont cependant que marginales au regard de ce qu’un groupe comme Arcelor-Mittal arrive à produire chez nous comme potentiel de déduction fiscale sous la forme d’intérêts notionnels [voir tableau]. Pour ce faire, le groupe de Lakshmi Mittal a doté sa filiale ArcelorMittal Finance and Services Belgium (AMFSB) de fonds propres (au 31/12/2009) s’élevant à 34,77 milliards. Avoir une possibilité de déduction est une chose, arriver à générer des marges à hauteur de ces mêmes sommes en est une autre. Comme bien d’autres groupes dans le même cas d’ailleurs, ArcelorMittal se sert de sa filiale belge comme centre de trésorerie intragroupe (à court, moyen et long terme) au bénéfice des sociétés du groupe. Elément confirmé par l’examen des comptes annuels d’AMFSB au 31 décembre dernier où on retrouve essentiellement à l’actif des créances pour plus de 40 milliards d’euros. Bref, une masse critique de moyens suffisante pour avoir de quoi générer suffisamment de marges sur opérations financières amenant un bénéfice s’élevant en 2009 à 1,28 milliard d’euros, lequel est entièrement absorbé par des intérêts notionnels, laissant même une réserve de déduction de 208 millions d’euros pour les exercices ultérieurs.

D’aucuns diront que tout ceci n’a rien coûté à l’Etat. En effet, que LVMH ou ArcelorMittal, pour ne citer que ceux-là, aient ou non localisé lesdites activités en Belgique ne change pour ainsi dire rien à l’échelon du budget fédéral. Dans un cas comme dans l’autre, effectivement, pas d’impôts ! Cela étant, dans cette course effrénée à qui taxera le moins les multinationales, la Belgique aurait quand même reculé ces derniers temps face à des pays comme la Suisse ou les Pays-Bas…

JEAN-MARC DAMRY, AVEC ANTONIN FOURQUET

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