La Belgique face aux pirates

Olivier Rogeau
Olivier Rogeau Journaliste au Vif

Un bateau belge capturé par des pirates dans l’océan Indien, un humanitaire belge pris en otage au sud de la Somalie : à son tour, la Belgique est piégée par l’anarchie qui règne dans la région. Enjeux d’une crise inédite.

L’audace des pirates somaliens ne cesse de surprendre. Le Pompei, le navire belge détourné le 18 avril, a été capturé alors qu’il s’approchait des îles Seychelles, à plus de 1 200 kilomètres des côtés somaliennes ! Ces dernières semaines, les flibustiers des temps modernes multiplient les attaques au large de la Corne de l’Afrique, route stratégique par laquelle transitent 30 % du pétrole brut mondial et 12 % du commerce maritime. Le butin des pirates se monte désormais à une vingtaine de bateaux et à quelque 300 marins, dont certains sont retenus depuis près de neuf mois. Le paiement des rançons dépasserait déjà les 50 millions de dollars cette année.

Dans le même temps, deux agents humanitaires de Médecins sans frontières-Belgique (un médecin belge et un infirmier néerlandais) ont été enlevés dans le sud de la Somalie, zone sous contrôle des milices islamistes shabâb. Contraintes de réagir avec discrétion, les autorités belges ont exploré les deux options envisageables : la négociation avec les ravisseurs et l’intervention militaire. La frégate belge Louise Marie ne participera pas aux patrouilles internationales le long des côtes somaliennes avant le second semestre 2009. Contact a donc été établi avec d’autres pays : un navire militaire espagnol et deux français étaient présents dans la zone.

L’effet dissuasif des opérations navales internationales était censé rendre la piraterie à la fois moins rentable et plus risquée. Atalante, la mission de l’Union européenne lancée avec le soutien des Britanniques, était même présentée, en début d’année, comme l’un des principaux succès de l’Europe de la Défense. La recrudescence des attaques vient ternir ce succès. Si les pirates s’étaient montrés moins actifs cet hiver, c’était surtout, estiment les spécialistes, parce qu’ils attendaient une mer plus clémente pour repartir à l’assaut des cargos, pétroliers, voiliers et autres navires.

Un phénomène qui prend de l’ampleur

La nouvelle piraterie semble faire de plus en plus de vocations. Situé en Malaisie, le Bureau maritime international signale, cette semaine, que le nombre d’actes de piraterie à travers le monde a doublé au cours du premier trimestre 2009 par rapport à la même période de 2008 (102 raids contre 53 l’an dernier). Cette hausse est due presque entièrement aux attaques dans le golfe d’Aden et l’océan Indien, où les pirates se sont spécialisés dans le rapt avec rançon. Il y a encore trois ans, les eaux du détroit de Malacca étaient les plus dangereuses du monde. Une seule attaque y a été recensée cette année : les patrouilles indonésiennes auraient réussi à intimider les pirates.

Les compagnies ont longtemps préféré ne pas ébruiter leurs mésaventures en zones à risques afin d’éviter de payer des primes à leurs équipages ou de voir leurs contrats d’assurance grimper. La mobilisation internationale contre les boucaniers du xxie siècle les a contraintes à sortir du silence. La croissance du trafic maritime et la réduction des équipages expliquent, en partie, le retour des  » pavillons noirs « . Mais l’explication principale est la faiblesse, voire la déliquescence de certains Etats, comme la Somalie.

Profil du pirate somalien

L’ONU évalue entre 1 000 et 1 500 le nombre des pirates somaliens. Beaucoup d’entre eux sont d’anciens pêcheurs, poussés à se mettre au service de clans mafieux notamment par la dégradation de leur environnement : des bateaux-usines ont profité de l’absence de toute autorité pour appauvrir les fonds marins somaliens, tandis que d’autres navires y ont déversé des déchets nucléaires, hospitaliers et autres, informations confirmées par le représentant de l’ONU en Somalie. Tout récemment, les autorités du Puntland accusaient encore trois navires capturés par des pirates de s’être livrés à des activités illégales : la pêche, dans le cas de deux bateaux égyptiens, et le déversement de conteneurs de déchets toxiques, pour un remorqueur italien.

Bien équipés, les pirates disposent de nombreuses vedettes rapides pour leurs assauts et de quelques  » bateaux-mères  » de ravitaillement, d’où leur capacité d’intervention très loin des côtes. Leurs bases arrière sont les ports de Harardheere et de Hobyo, en territoire somalien, et d’Eyl, dans l’Etat autonome du Puntland. Deux clans, alliés depuis l’an dernier, se partagent les bénéfices des opérations : les Habar Gidir, en Somalie centrale, et les Majerteen, dans le Puntland.

L’argent issu des rançons est redistribué aux pirates, aux chefs des communautés qui les hébergent, aux sponsors des opérations, aux milices locales et aux intermédiaires qui négocient et récoltent ces rançons. Une partie des fonds est réinvestie dans des équipements plus performants, tels que des moteurs plus puissants pour les Zodiac des pirates et des téléphones satellitaires. Les gains servent aussi à alimenter les trafics d’armes avec l’Erythrée et le Yémen. Toutefois, selon certaines sources au Kenya, le gros du butin transite par Nairobi, plaque tournante du commerce somalien, et prend la direction du Royaume-Uni, ou encore du Canada.

OLIVIER ROGEAU

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