La Belgique devait-elle condamner le pape ?

Pour Le Vif/L’Express, Denis Ducarme, député MR, et Eric de Beukelaer, porte-parole des évêques de Belgique, ont accepté de confronter leurs points de vue. Un débat passionné, bien au-delà de la réaction épidermique.

Denis Ducarme est l’un des initiateurs de la résolution appelant le gouvernement à condamner les propos du pape sur le préservatif, votée le 2 avril dernier à la Chambre. Eric de Beukelaer, prêtre catholique, représente la voix officielle de l’Eglise de Belgique. Résolument opposés, les deux hommes ont néanmoins pris le temps de s’écouter.

Le Vif/L’Express : Aller jusqu’à voter une résolution pour condamner les propos du pape : certains jugent cela démesuré.

> Denis Ducarme : Pas du tout. C’est un enjeu de la laïcité. Je ne conteste pas le rôle fondamental de l’Eglise dans la spiritualité. Mais les propos du pape sur le préservatif n’ont rien d’un positionnement moral. Benoît XVI a émis des considérations sur une question de santé publique. Le pape ne peut déborder sur ce terrain. C’est ce que nous avons signifié par cette résolution. On ne peut accepter de voir ainsi remise en question la crédibilité du préservatif comme rempart essentiel contre le sida. La seule référence que le souverain pontife y fait est négative, voire pire, puisqu’il parle d’aggravation de l’épidémie.

> Eric de Beukelaer : Que cette phrase suscite de l’émotion, cela ne m’a pas étonné. Benoît XVI a une culture d’homme universitaire, d’intellectuel. Il n’a pas la culture du slogan, il a besoin de contextualiser. Or les médias, Internet sautent sur les petites phrases. Mais je ne comprends pas comment une semaine plus tard, alors que le Vatican a précisé ses propos, que le porte-parole du pape a bien indiqué qu’il n’y avait pas de fatwa sur le préservatif, le Parlement belge vote une résolution qui ne fait rien d’autre que de condamner purement et simplement un homme.

Denis Ducarme, ces précisions n’auraient-elles pas pu faire retomber l’émotion ?

> D.D. : Lorsque nous avons déposé ce projet, je n’ai pas entendu le pape revenir sur ses propos. Nous avons lu la déclaration de Benoît XVI dans son ensemble et avons distingué son discours moral de sa phrase sur le préservatif. Le fait que l’un ou l’autre précise ensuite ce qu’aurait voulu dire le pape n’y change rien. Le souverain pontife est un homme public, chacun de ses propos est un acte politique en soi. Ce n’est pas le rectificatif qui compte, encore moins quand il ne vient pas de lui. L’efficacité du préservatif est une vérité comme le fait que la terre est ronde. Je sais bien que l’Eglise a mis du temps à reconnaître cela d’ailleurs…

> E.D.B. : Arrêtez de penser que l’Eglise condamne le préservatif. Ce n’est que du caoutchouc et nous ne sommes pas fétichistes. Mais laissez-nous avoir un idéal moral. Si quelqu’un accepte de se pencher sur l’ensemble des propos de Benoît XVI, il verra que ce dernier ne condamne pas ce bout de latex, mais invite à penser dans d’autres directions. Le pape indique qu’il y a un autre plan : la responsabilisation sexuelle.

Eric de Beukelaer, estimez-vous que le débat moral est absent de notre société ?

> E.D.B. : Parmi les élites, jamais je n’entends parler d’autre chose que de la protection quand on aborde la question du sida. Il y a un immense tabou dans la sphère publique sur la morale. Comme si dès que quelqu’un parlait d’éducation sexuelle, de fidélité, il n’était qu’un catho moralisateur. Pourtant, chaque homme doit apprendre à gérer ses pulsions sexuelles. Nos jeunes n’entendent plus parler d’amour, ni de fidélité. Alors bien sûr, quand les curés font de la médecine, ils ne sont pas bons.

> D.D. : Vous voyez, nous sommes au moins d’accord sur quelque chose.

> E.D.B. : Mais il faut un débat éthique, moral.

> D.D. : Ce n’est pas le rôle du politique de porter un jugement sur ce que devrait être le comportement sexuel de chaque individu. La politique n’a pas à se prononcer là-dessus, comme l’Eglise n’a pas à faire de la médecine.

L’Afrique n’est-elle pas curieusement absente de ce débat ? Cela ne frise-t-il pas le néocolonialisme ?

> D.D. : Nous gardons une responsabilité par rapport à ce continent. Et avons investi par exemple 35 millions d’euros – l’argent du contribuable – dans des programmes de coopération au développement. Nous avons une politique de santé publique en Afrique. C’est d’ailleurs pour cela que la résolution indique clairement que le ministre de la Coopération au développement, Charles Michel (MR), doit relayer notre position.

> E.D.B. : Ce n’est pas parce qu’on contribue à des programmes de développement qu’on peut se substituer à la responsabilité du continent. Vous parlez du contribuable, mais ne pensez-vous pas qu’on a déjà tiré assez de profits, des colonies et que le budget des programmes de développement est une bien maigre compensation ? Benoît XVI, lui, a passé une semaine en Afrique, ce que peu d’hommes politiques européens ont fait. Je veux bien d’un discours universaliste, mais il faut faire attention quand l’homme blanc pense à la place de l’Africain. Il aurait été judicieux de laisser les parlements africains se prononcer. Or il semble que ce continent, lui, ait su mettre en contexte les propos de Benoît XVI.

> D.D. : Remarquez que je n’ai pas vu d’Etats s’élever contre notre résolution. Quant aux parlements africains, vous savez bien que, dans certains pays, les règles démocratiques ne sont pas toujours respectées. Faire adopter une résolution comme celle-là en vingt jours peut parfois relever d’un coup de force.

Pourquoi la Belgique est-elle le seul pays à avoir voté cette résolution ?

> D.D. : Nous avons ouvert une voie. C’est un acte inédit, mais nous discutons avec d’autres parlementaires européens qui ont montré leur intérêt. La dynamique est lancée. A l’avenir, lorsqu’une religion, quelle qu’elle soit, tente de faire pression sur les libertés individuelles ou sort de sa sphère, les Etats réagiront avec fermeté. Les politiques doivent répondre avec force et faire respecter les règles civiles.

> E.D.B. : Ne confondons pas laïcité politique et laïcité philosophique. Depuis le concile Vatican II, l’Eglise soutient pleinement la laïcité politique. Mais vouloir abolir le débat des valeurs équivaudrait à signer l’arrêt de mort de la démocratie. Chaque individu a sa raison, ses convictions, qui doivent être débattues. Là-dessus, l’Eglise est dans son rôle quand elle participe au débat de valeurs.

Eric de Beukelaer, pensez-vous que l’on s’acharne sur le pape ?

> E.D.B. : Je suis vraiment étonné de voir la rapidité avec laquelle les parlementaires ont adopté une résolution sur cette question. Tout cela, alors que pour certains des problèmes internes au pays, comme le drame des sans-papiers, on attend toujours une clarification… Le pape est une tête de Turc.

> D.D. : Ne vous inquiétez pas, la Belgique ne s’est pas brusquement arrêtée de travailler… En revanche, si cette résolution était capitale, j’admets que la prise de position des sénateurs, qui parlent de  » crime contre l’humanité « , est excessive et inutile.

Propos recueillis par Chloé Andries

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