La Belgique des starchitectes

Fanny Bouvry

Les projets de pointures mondiales de l’architecture devraient se multiplier dans les prochaines années dans notre plat pays. Souto de Moura, lauréat 2011 du Pritzker Prize, montre la voie.

On raconte qu’il n’aime pas les fenêtres, celles qu’il perce dans ses bâtiments ressemblent en tout cas plus à des failles qu’à de sages quadrilatères cernés de châssis. Ce qu’il apprécie, en revanche, c’est manipuler la nature, ou plutôt s’en inspirer pour s’y fondre, sans la violer pour autant. Comme ce fut le cas pour le stade de Braga, qu’il construisit dans son pays pour l’Euro 2004 en l’arrimant à la montagne toute proche, l’architecte portugais Souto de Moura fait des sites qu’il investit le terreau fertile de ses réflexions. Et c’est ce qui a séduit le jury qui a décerné à ce créateur, peu connu hors des sphères initiées, le Pritzker Prize 2011 –  » le Nobel d’architecture « . Une récompense ultime qui couronne un travail de trois décennies mené par un orfèvre du paysage, peu enclin au star- system, a contrario de ses confrères – Nouvel, Hadid et consorts… – et dont notre petit pays peut désormais se vanter d’accueillir une réalisation. C’est en effet en octobre dernier qu’a été inauguré le crématorium de Courtrai, signé par le nouveau pritzkerisé. Pour cet édifice voué au recueillement, le Portuense, en collaboration avec le bureau belge Sum Project, a joué sur l’horizontalité de la campagne environnante, avec un volume sobre semi-enterré en béton.

Un immeuble novateur qui, à lui seul, montre que l’art de bâtir, à l’échelon belge, est petit à petit en train de sortir de sa torpeur, de prendre ses distances par rapport au carcan réglementaire qui l’empêchait de délaisser les formes convenues, pour que l’architecture contemporaine puisse (enfin) s’affirmer… au nord du pays – la Région flamande considérant depuis déjà longtemps cette discipline comme témoin d’un dynamisme territorial et menant donc une politique proactive en la matière – mais aussi au sud. Pour preuve : le nombre croissant de projets bruxellois et wallons qui ont vu ou vont voir le jour dans les prochaines années et qui ont été pensés par des starchitectes – comme on se plaît à appeler ces créateurs mondialement connus qui marquent de leurs volumes emphatiques les villes de la planète. On pense évidemment à la gare de Liège-Guillemins du Catalan Santiago Calatrava ou au Musée Hergé du Français Christian de Portzamparc à Louvain-la-Neuve. Mais les £uvres non encore sorties de terre sont plus nombreuses encore. Ainsi, Mons aura, à l’horizon 2015, une gare à la structure grandiose griffée de la main de Santiago Calatrava – la délivrance du permis n’est plus qu’une question de jours et les travaux de préparation du chantier ont déjà débuté – et un centre de congrès imaginé par l’Américain Daniel Libeskind. Du côté de la cité ardente, c’est l’architecte provençal Rudy Ricciotti qui entamera mi-2012 la construction du Centre international d’art et de culture (Ciac). Et Charleroi pourra bientôt se prévaloir d’une tour-hôtel de police signée Jean Nouvel, en collaboration avec les Bruxellois de MDW. La capitale sera aussi investie par les starchitectes puisque non seulement Nouvel travaillera sur un complexe de bureaux enjambant les voies de la station de Bruxelles-Midi, mais Christian de Portzamparc, lauréat d’une compétition internationale pour la refonte de la rue de la Loi, devrait s’atteler au cours de cette prochaine décennie à redessiner le très ardu quartier européen.

Les exemples ne manquant donc pas. Les  » starchitectes  » ont bien le vent en poupe en Belgique… Au point de susciter le débat puisque certains estiment que leur aura leur permet de bâtir en lieu et place de talentueux concepteurs belges. Comme le résume le bouwmeester flamand Peter Swinnen :  » Il est important de mixer des apports de créateurs locaux et internationaux. Mais lorsque l’on recourt à un starchitecte juste pour son nom, c’est comme si l’on achetait une montre ou un gadget. C’est du shopping et le produit conçu est le plus souvent très faible.  » Et de conclure toutefois sur une note positive :  » Le seul avantage de tous ces projets vedettisés, c’est qu’on parle davantage d’architecture !  » Et ça, c’est déjà un grand pas…

FANNY BOUVRY

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