La Belgique d’en bas

La paupérisation gagne du terrain, en particulier à Bruxelles, surtout depuis la hausse des prix. Et cela ne va pas s’améliorer avec la crise. L’aide privée pallie de plus en plus les manques des pouvoirs publics. Reportage et analyse.

Thierry Denoël

Certains n’ont pas attendu la crise pour vivre sur le fil. Mais celle-ci risque d’aggraver encore une précarité qui progresse en Belgique. Le constat vient du Service public fédéral Economie : un Belge sur sept vit en dessous du seuil de pauvreté (1), c’est-à-dire avec moins de 860 euros par mois pour un isolé ou moins de 1 375 euros pour une famille monoparentale avec deux enfants.

L’un des chantiers du parti Ecolo pour cette rentrée parlementaire est de faire voter une proposition de loi qui aligne tous les revenus de remplacement (revenus d’intégration sociale, allocation de chômage, etc.) au niveau du seuil de pauvreté. Cela va bien au-delà de la hausse de 2% des allocations les plus basses décidée par le gouvernement dans son budget 2009. Selon une estimation de la Cour des comptes, l’initiative coûterait 1,25 milliard d’euros à l’Etat, étalé sur quatre ans. Dix fois moins que pour sauver de la faillite, en quelques jours, les banques Fortis et Dexia…

Le gouffre se creuse surtout entre les travailleurs et les inactifs. De plus en plus de gens empruntent pour acquérir des biens de première nécessité : logement (loyer, garantie locative), énergie, soins de santé et même consommation courante. Dans les dossiers de règlement de dettes, la proportion des insolvables qui ne pourront rembourser leur crédit ne cesse d’augmenter : une hausse de 3 % en 2007. Les épiceries sociales, surtout fréquentées par des familles nombreuses, se multiplient. Les banques alimentaires distribuent de plus en plus de colis, surtout depuis la hausse des prix. En moyenne, la banque alimentaire de Bruxelles-Brabant a aidé mensuellement 18 373 démunis, en 2008, contre 17 010, en 2006.

Autre chiffre significatif : en 2007, 6 230 habitants de Bruxelles-Ville se sont retrouvés en difficulté de paiement de leur facture de gaz, d’électricité et d’eau, alors qu’ils étaient trois fois moins nombreux en 2004 (1 909). Les CPAS sont débordés. Les listes d’accès à un logement social public s’allongent. Et les analystes d’ING ont déjà annoncé qu’il y aura au moins 14 000 chômeurs de plus, en Belgique, l’année prochaine.

Le logement, problème n° 1 des précarisés

Parmi les précarisés, les mères seules avec enfants, les isolés et les pensionnés sont les plus touchés (lire les portraits p. 36 et 38). C’est le constat, entre autres, de l’ASBL Secours et Conseils. Cette association, qui ne vit que de dons privés depuis un siècle et demi, s’occupe d’une  » clientèle  » qui ressemble à celle d’un CPAS. Comme elle couvre les 19 communes de Bruxelles, elle a donc une vision globale intéressante sur la capitale, particulièrement touchée par la précarisation grandissante. Les chiffres sont, ici aussi, édifiants.  » Nous avons aidé 1 627 personnes, en 2007, contre 1 060, en 2001. En cinq ans, même si nous ne privilégions pas ce type d’aide, le poids total des colis de vivres distribués a doublé « , expose Colette Mahoux, administrateur délégué de Secours et Conseils.

L’ASBL bruxelloise reçoit beaucoup de démunis envoyés par les CPAS, qui sont de plus en plus dépassés par les événements.  » Encore la semaine dernière, un CPAS m’a contactée, le mercredi, pour m’envoyer une personne qui devait être expulsée de son habitation le vendredi, témoigne Colette Mahoux. Il fallait qu’on lui trouve un logement !  » L’année dernière, plus de la moitié du budget de l’association a été consacrée à l’aide au logement, le problème n° 1 des précarisés. Par ailleurs, un quart du budget concernait les soins de santé, qui, contrairement à ce qu’on pense, ne sont pas gratuits en Belgique.

Une grande proportion des gens qui s’adressent à l’ASBL sont en médiation de dettes. Ils viennent lorsqu’ils doivent régler des factures non prévues dans le budget du médiateur : des soins de santé inopinés, des frais scolaires…  » Nous payons beaucoup de repas chauds à l’école « , soupire Colette Mahoux. Un coup de pouce qui aide considérablement les familles en difficulté. Parmi celles-ci, un nombre inquiétant de mères seules avec leurs enfants. Après la séparation conjugale, ces femmes sont souvent désorientées, fragiles, submergées. Beaucoup sont complètement abandonnées par leur ex-mari. La situation de certaines mères d’origine nord-africaine, qui dépendaient complètement de leur époux, est particulièrement dramatique. Certaines parlent à peine le français, alors qu’elles vivent en Belgique depuis des années.

Des prévisions guère optimistes

Pour répondre aux besoins de ces femmes seules, Secours et Conseils a créé, voici cinq ans, le fonds spécifique Home Secours, alimenté par une grande société belge.  » Nous essayons de donner des meubles neufs à ces mères séparées pour les aider à se créer un nouveau cocon, à bien redémarrer dans la vie, sourit Colette Mahoux. Nous achetons beaucoup de lits superposés. Des réfrigérateurs, aussi. Ce que ne fait aucun CPAS.  » Bien qu’elle reçoive moins de dons qu’auparavant, l’ASBL s’en sort grâce à la générosité de fournisseurs qui bradent leurs prix ou renoncent à leurs bénéfices.

L’exemple de l’ASBL Secours et Conseils n’est, bien entendu, pas unique à Bruxelles, encore moins en Belgique. Il est cependant significatif, surtout à un moment où le nombre de personnes bénéficiant d’un revenu d’intégration social (RIS) est en hausse. En janvier 2008, on comptabilisait 90 673 bénéficiaires d’un RIS : 837 de plus qu’en 2007. Si les chiffres baissent en Flandre et stagnent en Wallonie, ils explosent à Bruxelles en affichant une hausse de 4,5 % entre 2007 et 2008 et de 74 % entre 2000 et 2008 ! Et les prévisions ne sont guère optimistes. l

Thierry Denoël

(1) Une convention européenne fixe le seuil de pauvreté à 60 % du revenu médian de la population d’un pays.

Un sondage Sofres réalisé auprès de ménages français, dont l’état d’esprit ne doit pas être très éloigné de celui des ménages belges, teste notamment l’évolution de 210 mots significatifs utilisés dans le langage courant. Les sondés doivent les classer en toute subjectivité. Résultat : entre 2006 et 2008, les termes  » angoisse « ,  » muraille « ,  » doute « ,  » chasse « ,  » cri  » sont en hausse. Et ceux qui ont le plus baissé :  » minceur « ,  » sensuel « ,  » gaieté « ,  » séduire « ,  » intime « . l

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