La 1re agence de voyages de Wallonie ?

Le Forem, service public wallon de l’emploi et de la formation, subit une vague de critiques soutenues. Des reproches de gaspillage, surtout. Emoi politique, bagarre homérique au parlement régional, à une encablure des élections. Puis le gouvernement PS-CDH clôture les débats en écartant l’idée d’un audit indépendant. Des doutes subsistent, pourtant, sur de coûteuses missions à l’étranger.

Et hop. Sur la marmite, le couvercle ! Curieuse manière de diriger la Wallonie : le mardi 18 novembre, à Namur, le gouvernement régional piloté par le socialiste Rudy Demotte a proprement enterré le dossier du Forem. Le PS et son fidèle allié, le CDH, ont renvoyé l’opposition MR et Ecolo à ses chères études en refusant un audit indépendant de cet organisme chargé d’accompagner les demandeurs d’emploi, lequel occupe 4 200 personnes et brasserait un sixième du budget wallon. Depuis un peu plus d’un mois, le Forem est la cible privilégiée du journal Le Soir. Plusieurs articles se sont étonnés des coûteuses formations payées par le Forem (et, donc, le contribuable wallon) à ses agents, à Lyon, nuits d’hôtel comprises. A suivi une allusion à peine voilée à un prétendu détournement d’argent public : une  » facture bidon  » de 9 000 euros acquittée auprès d’un  » consultant  » léger comme l’air. Choquant ? Plus que toute autre institution, l’office wallon d’aide aux chômeurs, dont le siège se trouve à Charleroi, n’aurait-il pas intérêt à se montrer irréprochable ?

A six mois et demi d’un scrutin régional où l’omniprésent PS jouera son maintien au pouvoir, pour la sixième fois consécutive, le gouvernement Demotte dénonce le coup de Jarnac électoraliste. Une man£uvre de libéraux férus d’idéologie. Les ministres socialistes de tutelle, Jean-Claude Marcourt (Emploi) et Marc Tarabella (Formation), ont repris à leur compte l’antienne de l’administrateur général du Forem, le… socialiste Jean-Pierre Méan : il s’agirait de  » l’institution la mieux contrôlée de Wallonie « . Soumise à des audits croisés et permanents ( lire l’encadré p 24. ). De quoi susciter les ricanements de la députée MR Véronique Cornet, en pointe sur le sujet :  » C’est le ministre PS Michel Daerden qui a nommé son réviseur de fils, en 2000, pour onze ans. Les deux commissaires aux comptes sont des créatures de cabinet, l’un PS, l’autre CDH. Quant aux recommandations de la Cour des comptes, qui a critiqué sèchement les marchés publics du Forem, elles sont restées lettre morte.  »

D’audit externe, il ne sera  » pas question  » pour l’instant, claque le pouvoir en place.  » Mais le comité d’audit interne (pluraliste) qui vient de voir le jour va intégrer un consultant extérieur « , lâche Méan, bon prince. La messe est dite, circulez, il n’y a (plus) rien à voir ? Pas sûr, car, après les articles du Soir, les langues se sont déliées. D’autres bizarreries sont citées. Au Vif/L’Express, le patron du Forem réplique qu’il fera  » toute la clarté  » sur d’éventuels écarts de conduite ou malversations. Tandis qu’à la tête du gouvernement wallon on semble redouter un scandale de dernière minute qui anéantirait plusieurs années d’efforts visant à crédibiliser le renouveau du Sud.

Que se passe-t-il au Forem ? Y gaspille-t-on l’argent public ? Voici le résultat de notre enquête.

1. Est-il nécessaire de voyager autant ?

Outre les 300 stagiaires/demandeurs d’emploi envoyés chaque année à l’étranger, le Forem permet aussi à son personnel de nouer des contacts partout dans le monde. Pas seulement l’Europe. Le Québec, l’Asie et même l’Afrique sont également des destinations prisées. La direction justifie ainsi ces nombreux minitrips :  » Il faut sans cesse s’étalonner avec ce qui se fait à l’étranger  » (le fameux benchmarking, vendu comme un slogan) ;  » Notre performance doit être améliorée  » (d’où la formation au mangement socio-économique suivie à Lyon,  » unique en son genre « , paraît-il). Plus convaincant :  » Il est primordial de suivre de près les nouvelles technologies. Quand une machine-outil innovante est présentée lors d’un salon, à Nuremberg, il est normal d’y envoyer 6 ou 7 personnes. Celles-ci devront à leur tour transmettre leur savoir aux apprentis qui viennent frapper à notre porte.  »

Très bien. Mais quel est le résultat de ces riches contacts à l’étranger ?  » Personne ne pourra vous répondre, raille-t-on dans les couloirs du Forem. On part, on revient. Il y a beaucoup de projets et de dynamisme, sans qu’on sache toujours à quoi ça sert.  »  » Le taux de chômage est un lac, dont le niveau monte dès que le climat économique se gâte. Il faut éviter qu’il se transforme en marais, ose un directeur. Mais avouez que l’efficacité de la politique d’activation des chômeurs est difficile à mesurer…  » Au MR, le compte est vite fait :  » Le budget du Forem ne cesse d’augmenter, tandis que le chômage wallon stagne au même niveau qu’il y a dix ans. « 

2. Combien coûtent ces déplacements à l’étranger ?

La direction du Forem minimise les dépenses.  » Les voyages représentent à peine un millième de notre budget annuel de fonctionnement, soit un peu moins de 400 000 euros « , déclare le grand patron Jean-Pierre Méan. L’opposition se dit incapable de vérifier, faute de réponses à ses nombreuses questions. C’est le département des relations internationales qui se charge des réservations, avec l’aide de l’agence de voyages Carlson Wagonlit. Celle-ci facturerait de 25 000 à 30 000 euros par mois en billets de train ou d’avion et en nuits d’hôtel. A cela s’ajoutent les quelque 10 000 euros mensuels qui seraient directement débités via la carte Visa du Forem. Surprise : au cours d’un même mois, des fonctionnaires chargés de la promotion de l’emploi visitent des palaces quatre étoiles à Paris (le Pullman Rive Gauche), à Vienne (l’hôtel Stefanie), à Montréal (le Gouverneur Place Dupuis), à Québec (le Château Laurier), ainsi qu’à Budapest, Maribor et Athènes. Des goûts de luxe ? Le même relevé bancaire relatif aux transactions Visa s’étalant du 26 mai au 25 juin 2008 présente une anomalie. Un retrait d’argent de 400 euros à Brnik, en Slovénie. Le guide des procédures internes déconseille ce type de procédé. Pour ses petites dépenses à l’étranger, limitées à 50 euros par jour, tout agent du Forem doit fournir un justificatif, permettant un remboursement ultérieur. Mais, ce vendredi-là, la directrice du département des relations internationales, Marie Siraut, la cinquantaine, sans étiquette politique, aurait utilisé la carte Visa (à son nom) pour dépanner une collègue slovène.  » Ce n’est pas interdit. J’ai remboursé « , jure-t-elle.

3. Y a-t-il des abus ?

Au département des relations internationales, la direction est bien en peine d’expliquer la  » facture bidon  » évoquée par Le Soir, voici quinze jours. Il s’agit d’un paiement au comptant de 9 304,90 euros, effectué le 28 mars 2006, au bénéfice de la société bruxelloise Nailai S.A. Il était prévu que cet  » organisateur d’événements  » inconnu au bataillon monte une activité de promotion de la mobilité auprès des employeurs wallons. L’argent a bel et bien été versé. La facture  » vue et approuvée  » par l’  » ordonnateur des dépenses « , Marie Siraut, apparaît dans la comptabilité annuelle du Forem. Mais l’activité en question n’a jamais eu lieu… et personne n’a exigé de remboursement. Entre-temps, on ne trouve plus aucune trace de cette fumeuse Nailai, spécialisée à l’origine dans l’import-export et contrôlée par des actionnaires chinois. Plus ennuyeux : la direction du Forem tente aujourd’hui de justifier cette grosse dépense par des  » travaux de consultance  » effectués par Nailai. Mais il est inutile d’insister. A ce jour, personne ne peut apporter le moindre justificatif écrit… Où a donc filé l’argent ? Y aurait-il d’autres factures nébuleuses ?

Non, ce serait un  » cas isolé « . Il n’y aurait  » aucun gaspillage  » au département des relations internationales du Forem, assure sa direction. A défaut d’un audit indépendant, il faudra se contenter de ces explications. Pourtant, le recours fréquent à un consultant étranger, très bien payé pour des rapports ténus, ainsi que l’un ou l’autre séminaire coûteux avec nuit d’hôtel… à Bruxelles font jaser au sein de l’institution. Tout comme les petites libertés de la directrice Marie Siraut avec les usages. Le 19 juillet dernier, celle-ci remet un document officiel de mission à l’étranger pour un déplacement d’un jour, à Paris, le 15 du même mois. Cette semaine-là, la directrice est en congé, mais elle se fait rembourser un restaurant, le vendredi 17, à 23 heures, près de Poitiers. Y aurait-elle rencontré des collègues de l’Office français de promotion de l’emploi, comme elle l’indique ? Pourquoi ne pas l’avoir mentionné dans l’  » autorisation de mission  » ? Dans la fonction publique, la transparence se niche dans les détails.

Philippe Engels

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