» L’urgence ne justifiait pas de faire n’importe quoi « 

Pour Vincent de Coorebyter, directeur général du Crisp, c’est clair : Yves Leterme devait démissionner. Et la désignation de l’explorateur n’aurait pas dû faire l’objet de tant de calculs tactiques.

Le Vif/L’Express : Yves Leterme et Jo Vandeurzen – et dans la foulée, le gouvernement tout entier – devaient-ils démissionner ?

Vincent de Coorebyter : Oui. Il ne faut pas banaliser les événements. Les accusations étaient trop graves, venaient de trop haut – le premier magistrat du pays – et visaient trop haut – le Premier ministre et le ministre de la Justice – pour pouvoir y passer outre. Le gouvernement ne pouvait rester en sursis, et les ministres mis en cause devaient retrouver leur liberté pour se défendre. Et puisque le Premier ministre est le chef du gouvernement, la situation doit être assumée collégialement. Il était donc normal que tout le gouvernement démissionne.

Le contexte délicat – crise économique et financière, affaire Fortis – n’aurait-il pas dû inciter le gouvernement à se maintenir ?

L’urgence et le contexte ne justifient pas qu’on fasse n’importe quoi. On ne peut pas, en leur nom, ignorer une telle suspicion, le viol de l’indépendance de la justice, règle essentielle d’un Etat de droit. Si les faits sont confirmés, les entourages du Premier ministre et du ministre de la Justice n’avaient pas à prendre contact avec des magistrats, ou laisser des contacts s’établir sans les dénoncer. Que dirait-on d’un simple justiciable s’il cherchait à parler à son juge ?

Mais cette démission ne risque-t-elle pas de donner une prime aux populistes et à l’extrême droite ?

S’accrocher contre vents et marées, avec le risque qu’une commission d’enquête parlementaire maintienne en permanence Leterme au bord de l’abîme, eût été pire encore. En pareille situation, il valait mieux reconnaître le malaise, accepter ses conséquences et couper ainsi l’herbe sous le pied aux extrémistes.

Leterme a laissé une situation pourrie derrière lui, non ?

Son gouvernement a obtenu un résultat hautement problématique. Il a voulu une commission d’enquête pour éviter de tomber (ou, dans le chef de l’Open VLD, pour fragiliser Yves Leterme). On a désormais les deux : une démission du gouvernement et une commission d’enquête parlementaire. Celle-ci risque de compliquer les négociations autour de Fortis et d’embarrasser le nouveau gouvernement.

Le pays vit une crise gravissime. Pourra-t-on encore faire confiance aux institutions ?

Quels que soient les faits, qui restent à démêler puisque le premier président de la Cour de cassation n’a pas apporté de preuves, ils impliquent les plus hauts magistrats et les plus hauts responsables politiques. Cela rappelle, dans une certaine mesure, la crise de régime provoquée par l’affaire Dutroux, qui a secoué à la fois la magistrature, le politique, la police et la gendarmerie. Mais ce ne sont pas les institutions qui sont en cause : ce sont des comportements individuels qu’il faudra éclaircir et établir.

Comment jugez-vous la gestion de la crise par les responsables politiques, après la démission de Leterme ?

Ce qui me frappe, c’est qu’au lieu d’un sentiment de chaos on a un étrange sentiment de normalité. Sur les chaînes radio et télé, le dimanche 21 décembre, on martelait qu’Yves Leterme n’était pas candidat à sa succession. Pour moi, l’info du jour était qu’il avait donc pu penser, l’espace d’un instant, se succéder à lui-même ! Le pays vit une crise majeure, mais très rapidement on a assisté au retour, dans le chef d’un certain nombre de responsables politiques, du jeu des exclusives, des calculs tactiques, des positionnements préélectoraux. Comme s’il ne se passait rien de grave. Alors que la population attendait la solution la plus rapide et la plus efficace, sans se préoccuper des gagnants et des perdants au plan politique.

Entretien : Ph.E. et I. Ph.

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