L’or au service des tsars

Guy Gilsoul Journaliste

Le 20 juin et durant toute la nuit, Amsterdam fêtera l’inauguration des nouveaux bâtiments de l’Ermitage Amsterdam. La première exposition est fastueuse et lourde de… 1 800 pièces.

Depuis 2004, les collections du musée de Saint-Pétersbourg alimentent l’Ermitage Amsterdam, dont la réputation, malgré la modestie des lieux, a très vite dépassé les frontières. Au total, il aura accueilli 600 000 visiteurs et dix expositions. Mais, très tôt, la perspective d’accords accrus avec le musée russe avait alimenté d’autres ambitions qui, nécessairement, passaient par l’acquisition d’un espace plus vaste. Or, en 2007, un ancien hospice construit au xviie siècle sur les rives de l’Amstel doit renoncer à accueillir les personnes âgées pour des raisons de non-conformité avec la législation. Ses propriétaires, la diaconie de l’Eglise réformée néerlandaise, l’offrent alors à la commune d’Amsterdam à la condition d’en faire un objet culturel. Deux ans plus tard et après avoir englouti un budget de 40 millions d’euros (la moitié payée par les contribuables néerlandais, l’autre par le mécénat privé), le nouvel Ermitage Amsterdam (9 000 mètres carrés, dont 2 000 pour les expositions) ouvre ses portes sur la base d’un partenariat avec le musée de Saint-Pétersbourg. En effet, riche de plus de 3 millions de pièces, dont 60 000  » seulement  » sont exposées dans l’une des 1 000 salles du palais, l’Ermitage a de quoi alimenter bien des projets d’expositions extra-muros. On parle déjà à Amsterdam d’une grande exposition Braque, Matisse et Picasso pour le printemps 2010 ou encore d’une première et vaste enquête sur les conquêtes d’Alexandre le Grand pour l’automne de la même année. Et, comme il fallait s’y attendre, l’exposition inaugurale est fastueuse. Elle s’offre à la manière d’un grand spectacle nourri par les soieries, les ors et les pierres précieuses, le tout autour d’une histoire du pouvoir et de son image. En réalité, on y découvre la vie de cour au xixe siècle russe au fil des règnes parfois très éphémères des Romanov. Depuis le tsar Paul 1er, le fils de la célèbre Grande Catherine, jusqu’à Nicolas II dont la fin coïncide avec l’avènement de la révolution d’Octobre, le parcours favorise une série de thématiques astucieusement articulées. Dans une mise en scène pleine de surprises (reconstitutions de la décoration d’époque, vitrines tournant sur elles-mêmes, musiques…), le visiteur entre véritablement dans le cadre de la vie publique des tsars et sa codification imposée à chacun des invités. Il s’émerveille alors devant le raffinement extrême des parures, des objets de table, des robes et des ombrelles dont on tente ici de rappeler aussi la fonction sociale en évoquant la symbolique des couleurs, des matières ou encore de l’iconographie. Le plaisir esthétique l’emporte certes en final. Sans doute parce que l’exposition cherche moins à contextualiser l’opulence festive de l’aristocratie au regard d’une situation sociale qu’à valoriser, jusqu’à l’aveuglement, un passé récemment remis à l’honneur au nom de la Grande Russie conquérante.

Visite guidée

La première partie (dans l’aile dite Keizersvleugel) présente sur deux niveaux les lieux officiels où  » cela se passe  » ainsi que la personnalité des divers acteurs. Tout commence donc par un trône. Ici, celui de Paul Ier. Le tsar et son épouse, sur un podium recevaient ainsi leurs hôtes, aux côtés du siège symbolique. Non loin, réunis à l’occasion de l’exposition dans une grande vitrine, se pressent les courtisans. Les uns, dans leur uniforme, signalent leur rang au nombre de galons d’or. Leurs épouses, dans leur robe d’apparat, font de même au gré des longueurs des traînes et des coloris imposés. Tout autour, une galerie de portraits (dont un très beau signé Ilya Répine) et de précieux vases de jaspe et de porphyre en provenance des quatre coins de la Russie, rappellent l’étendue du territoire dont Saint-Pétersbourg est l’épicentre.

Le visiteur découvre alors très logiquement, et dans une suite de sept cabinets, la réalité de cette ville capitale fondée par Pierre le Grand en 1703. D’abord, les paysages, la nature environnante, les vues de villes ou de places. On passe d’un tableau panoramique de plus de quatre mètres de largeur à de petites aquarelles, dessins, voire à des photographies récentes ou encore des images filmées. Ensuite nous sont présentés d’autres palais, pavillons et résidences construits au c£ur de la ville ou dans sa périphérie comme le cottage de Nicolas Ier où le tsar se ressourçait avec sa famille. Enfin, on approche du centre du pouvoir de la cour impériale qui aujourd’hui abrite le musée de l’Ermitage. Il s’étend sur plus d’un demi-kilomètre le long du fleuve Neva et comporte une suite de bâtiments construits au fil du temps. C’est là que les six tsars vont imposer leur pouvoir. Chacun d’eux reçoit, au premier étage du musée, un espace monographique qui évoque leurs relations avec l’extérieur, la France napoléonienne entre autres, avec çà et là, une fois encore, des réalisations artistiques exceptionnelles signées par des artistes étrangers comme les robes créées pour l’impératrice Feodorovna par le styliste parisien Charles Frederik Worth.

Eh bien, dansez maintenant

La seconde aile (dite Herenvleugel) est davantage dédiée aux diverses festivités offertes par les tsars. On y danse, on y mange, on y boit, on y joue aux cartes ou on y fume mais jamais de manière détendue. En réalité, toutes les fêtes et rencontres sont, depuis la publication de La Table de rang, en 1722, inscrites dans des règles qui ne seront modifiées qu’en fonction de l’orgueil des différents tsars. La reconstitution d’une grande salle de bal est époustouflante, voire magique. On nous y rappelle qu’à l’époque le premier bal de la saison réunissait plus de 3 000 invités triés sur le volet et débutait à 19h30 précises. Tout retard était perçu comme une injure. Chacun, selon son rang, entrait par un portail distinct. Chacune rivalisait dans sa tenue vestimentaire, le choix de ses bijoux autant que celui de ses chaussures mais aussi celui d’un accessoire particulier, l’éventail. Parmi les autres bals, les soirées masquées, fort prisées, métamorphosaient selon le thème imposé chacun des invités en Chinois, en Grec ancien ou encore en prince de la Renaissance italienne.

Enfin, comme dans toutes les belles histoires, le happy end est de mise. Dans deux cabinets, les organisateurs ont réuni un véritable trésor qui va des plus belles chaussures de bal aux exceptionnelles pièces de Carl Fabergé… De quoi, peut-être, faire oublier qu’au même moment, dans les villes et les campagnes, la misère était omniprésente.

Ermitage Amsterdam. Amstel 51. Du 20 juin au 31 janvier. Tous les jours, de 10 à 17 heures. Le mercredi jusqu’à 20 heures. www.hermitage.nl ; www.thalys.com

GUY GILSOUL

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