L’Open VLD entre sauveur et fossoyeur

Pierre Havaux
Pierre Havaux Journaliste au Vif

Deux figures trottent dans la tête des libéraux flamands, aujourd’hui sur des charbons ardents. L’une salvatrice, l’autre destructrice : l’Open VLD se raccroche à Guy Verhofstadt pour empêcher Jean-Marie Dedecker de trop lui nuire au scrutin de juin.

Un frémissement parcourt l’assemblée sagement attablée.  » Ah, le voilà !  » La mèche plus que jamais rebelle, chemise blanche au col ouvert,  » Numero Uno  » déboule dans la salle de banquet d’un lieu bon chic bon genre, en périphérie gantoise.  » Guy Verhofstadt, onze ex-Premier !  » lance fièrement le président de séance. Salve d’applaudissements : devant l’assemblée statutaire de l’Open VLD de Merelbeke, l’invité du soir est en terrain conquis. Le retour de l’enfant du pays sera bref. Le temps d’un plaidoyer pour l’Europe, débité de mémoire à une cadence infernale. Puis d’une rapide remise de médailles à de vieux militants qui ont bien mérité du parti. Et déjà, la vedette s’éclipse. Laissant aux convives le plaisir de savourer, autour d’un bon menu, la venue éclair du  » Messie « .  » Il reste le baas, le patron. Quelle forme !  » s’extasie Rik, la cinquantaine. Le reste de la table opine du chef. La base de l’Open VLD a toujours foi en son  » Grand Timonier  » qui les a jadis conduits à la victoire. Elle se raccroche encore à sa tête de liste au scrutin européen, avec l’énergie du désespoir.

Désespoir ? Ce n’est évidemment pas la ligne officielle du parti. Bart Somers, son président, s’efforce de donner le change : l’Open VLD va bien. Il a bonifié et tourné la page noire. Oubliés, les déchirements internes et les rodomontades des trublions de service qu’étaient les Dedecker et autres Coveliers. Etouffée, toute cette cacophonie électoralement meurtrière.  » D’une bande d’enquiquineurs, l’Open VLD est devenu le parti le plus uni de la Rue de la Loi « , lançait Bart Somers à la tribune d’un récent congrès du parti. Sur ce point, les ténors de la formation ne le contredisent pas :  » Les chefs ne s’empoignent plus. Voilà deux ans et demi que je n’entends plus d’éclats de voix au bureau du parti « , assure l’un d’eux. L’Open VLD a retrouvé des couleurs. Cela n’en fait pas pour autant un parti en forme olympique, à la veille d’aborder la nouvelle joute électorale. La défaite encaissée voici deux ans, aux élections fédérales, laisse des traces :  » Au moins, on a pu sauver les meubles « , lâche l’inusable Herman De Croo, vice-président du parti et parlementaire au long cours. L’ambition au scrutin régional et européen de juin est de faire aussi… mal. Limiter la casse,  » ce serait le bonheur « , embraie un député bruxellois. L’Open VLD n’en mène pas large dans les sondages ? Il se console en constatant que d’autres sont logés à la même enseigne : le SP.A est au plus bas, le Vlaams Belang n’est plus vraiment à la fête. Voilà qui laisse augurer une lutte serrée, dans un paysage politique flamand affreusement morcelé qui ouvre la porte à toutes les issues pour l’Open VLD. De la plus inespérée : détrôner les rivaux CD&V, également peu à leur affaire dans les intentions de vote, et leur ravir la place de première force politique en Flandre. A la plus cauchemardesque : se faire coiffer sur le fil par la Lijst Dedecker, comme l’annoncent certains sondages. Terrible humiliation, qui se double de la perspective de devoir s’entendre avec ce diable d’homme pour une coalition au sein du gouvernement flamand .

 » Le parti a commis une grave erreur… « 

Jean-Marie Dedecker : l’homme qui plombe l’ambiance au sein de l’Open VLD, du sommet à la base. Ce soir-là, il alimente aussi les conversations des militants de la section locale de Merelbeke. Dedecker, viré du parti en 2006, conserve des nostalgiques :  » Le parti a commis une grave erreur en laissant partir un tel homme de droite « , soupire Rik en confessant avoir voté en 2004, à l’instar de près de 40 % des militants, pour le bouillant candidat à la présidence. Mais Rik n’a pas été jusqu’à suivre le fauteur de troubles en dissidence.  » Les gens de ma génération conservent une fidélité à leur parti qui n’existe plus chez les jeunes « , reprend le quinquagénaire. D’autres, au contraire, préfèrent voir sévir  » au-dehors que dans le parti  » des individus aussi ingérables que l’ex-coach de judo ou le remuant Coveliers. A l’Open VLD, on préfère aussi se rassurer en misant sur l’espoir que la capacité de Dedecker de nuire aux performances électorales du parti atteint ses limites. Que sa liste a pratiquement fait le plein de voix du côté des libéraux flamands, au scrutin de juin 2007. Bref, que l’ouragan Dedecker si redouté s’abattra surtout sur le Vlaams Belang.  » Ce serait le principal mérite de Jean-Marie « , abonde le jeune député-échevin gantois, Mathias De Clercq. C’est à son coreligionnaire Bart Tommelein qu’il appartiendra de vérifier la chose en première ligne. Pas vraiment un cadeau, d’avoir à affronter Jean-Marie Dedecker dans son fief ostendais. Le député fédéral, qui a connu une scabreuse heure de gloire en présidant la commission d’enquête parlementaire Fortis sur la séparation des pouvoirs, en est conscient. C’est en homme de devoir qu’il relève le défi, après que le ministre fédéral Open VLD Vincent Van Quickenborne eut courageusement décliné ce périlleux honneur…  » Ancien scout, je n’ai qu’une devise : toujours prêt !  » esquive la tête de liste Open VLD en Flandre occidentale. Le  » Kennedy d’Ostende  » refuse d’engager un duel avec son irascible rival et de répondre à ses provocations :  » Jean-Marie Dedecker m’a attaqué à plusieurs reprises, y compris sur ma vie privée. Moi, je ne mène pas campagne contre quelqu’un, mais pour un projet. C’est là que se reconnaîtront les vrais libéraux.  »

C’est toute la stratégie que l’Open VLD développe pour contrer l’expert en art martial : refuser d’entrer dans le jeu de Dedecker et de se faire mettre au tapis. Se distancer du sulfureux personnage, le diaboliser en en faisant une caricature d’un ultralibéralisme cloué au pilori en ces temps de crise.  » Lui, c’est le libéral qui ouvre sa g… Nous, nous sommes les libéraux qui gouvernons « , résume un baron du parti. Les libéraux flamands ont retenu la leçon : ne plus se laisser dicter sa conduite par l’adversaire. Le parti l’a chèrement payé en se déchirant en 2003 sur la question du droit de vote des étrangers non européens, par crainte du Vlaams Blok.  » En donnant l’impression de courir après l’extrême droite, nous avons alors montré le visage de la peur, du doute, du manque de confiance envers nos propres convictions. Une erreur capitale !  » assène Mathias De Clercq, chantre d’un ressourcement dans un libéralisme offensif.

L’Open VLD préfère donc faire diversion. Le bilan de sa participation gouvernementale à la Région flamande lui offre un terrain de choix. Prospérité économique, finances publiques d’une santé insolente, du moins avant que la crise ne frappe : le parti serait bien sot de bouder son plaisir de rappeler à l’électeur un si beau bulletin régional. Mais là, nouvelle tuile : le créneau est largement confisqué par le très médiatique ministre-président flamand, le CD&V Kris Peeters. Or les libéraux flamands n’ont à opposer à cette valeur sûre du partenaire chrétien-démocrate que la pâle figure de leur homme fort au gouvernement, le ministre des Finances et du Budget Dirk Van Mechelen. Mieux vaut éviter de personnaliser la campagne. La comparaison risque d’être cruelle. Le grand argentier flamand a beau se targuer du palmarès d’une Flandre désendettée, il manque furieusement de charisme pour le faire savoir.

Ce soir-là, l’homme en fait l’éloquente démonstration à la tribune du meeting électoral que tient l’Open VLD anversois, dans un endroit branché le long des quais de l’Escaut.  » C’est dans cette province, la plus importante du pays, que se gagne ou se perd l’élection !  » rappelle pourtant le président Bart Somers, histoire de chauffer la salle. Kris Peeters (CD&V), la présidente du SP.A Caroline Gennez, Filip Dewinter au Vlaams Belang, Mieke Vogels, présidente de Groen ! : le combat des chefs s’annonce sanglant. Mais la tête de liste Open VLD, Dirk Van Mechelen, n’y trouve pas vraiment matière à galvaniser ses fidèles, arborant des tee-shirts  » Zeker met Dirk « . Le laïus est empreint de gravité, le message sérieux, dénué de tout accent mobilisateur.  » Nous n’avons pas besoin de gens sympas, mais de gens qui inspirent confiance « , a cru bon de préciser Somers.

En désespoir de cause, les libéraux flamands croient avoir trouvé la parade. Prendre de la hauteur, en focalisant l’enjeu des élections sur le défi crucial de la crise économique et financière, que seule l’Europe sera vraiment à même de relever. Une façon de braquer les projecteurs sur le scrutin européen, là où le providentiel et dynamique Guy Verhofstadt mènera le combat. Et dont le discours visionnaire doit effacer le provincialisme étriqué d’un Kris Peeters obnubilé par la Flandre. Verhofstadt, le phare dans la grisaille qui déprime l’Open VLD.

Pierre Havaux

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