Un tiers de fiction, un tiers de dérision, un tiers d'observation. Et un tiers de réalité. © XZAROBAS

L’Odysée de Paula

Où Paula ramène un certain Ulysse au café, après avoir été séduite par les sirènes de la N-VA et avoir surpris l’Aquarius, en pédalo, dans le port d’Anvers.

– C’est qui, lui ?

– Un ami. Ulysse, haleta Paula, en remettant en place les mèches folles collées à son front.

– Il a l’air bizarre. Il a un problème ?

– On a tous des problèmes, Le Fleuri.

Dans le café, il n’y avait qu’eux. C’était l’heure de la fermeture, l’heure des confidences, peut-être. Il aurait dû rentrer chez lui, le chef de salle, mais il n’en avait pas envie. L’asile de la nuit l’attirait moins que la serveuse en paréo. Et surtout, il voulait savoir : d’où débarquait ce géant noir au boubou vert détrempé, qui évoquait un roi mage triste ?

– Tu sais, Le Fleuri, la Terre est surprenante. Surtout la mer, commença Paula, en ouvrant les battants de la fenêtre de la cuisine, laissant couler dans la pièce une odeur de pluie chaude.

– Tout a commencé en Flandre : on célébrait le centenaire de la Grande Guerre, poursuivit Paula, aussitôt interrompue par le boubou vert : va pas falloir frousser, hein, papa : c’est une histoire terrrrrrrrible ! Pour sûr qu’il avait été  » terrrrible « , l’été 2018, pensa Le Fleuri : il avait fait tellement chaud qu’en Sibérie, un ver vieux de 42 000 ans était revenu à la vie. La même chose – peu ou prou – semblait s’être passée en Italie, mais avec un dictateur, cette fois. Il y avait eu tant de migrants noyés en Méditerranée que l’eau y était désormais noire et lisse, comme une pierre tombale.

– C’est difficile de plonger dans la barbarie, reprit Paula. Au bout de deux jours, je n’en pouvais plus des tranchées, des morts et des fleurs arrachées aux fusils. Je suis partie me rincer le cerveau au soleil des prés flamands, lorsque se produisit le plus intrigant des phénomènes : un chant de sirènes emplit tout mon être.

Paula raconta alors comment elle se mit à courir après les notes irrésistibles, parvenant au Zomer Festival de Linden, où tout n’était que rires, joie et agitation. On la fit danser, on l’embrassa et on lui offrit un joli paréo jaune avec un lion dessus. Mais, sur les terres de la N-VA, quand c’est un gars nommé Theo qui joue les serveurs, la bière prend vite un goût de vaseline, réveillant les esprits les plus indolents : mains sur les oreilles, paréo flamand au vent, Paula s’en fut vers la Côte. Empoignant un pédalo, elle tricota des mollets jusqu’au port d’Anvers. Là, des projecteurs accusaient un rafiot métallique d’une lumière aveuglante. Sur le pont de l’Aquarius, des gens se tenaient immobiles, comme épuisés par les feux de la rampe : un troupeau de clochards de la brousse. Une civilisation de la poussière et de la mouche.

Sur la rive, 150 figurants poilus de Deinze, réquisitionnés par une milice locale, pointaient mollement leurs fusils. Une poignée de migrants désespérés se jeta à l’eau. Ne subsista bientôt qu’un index dépassant de l’Escaut : un doigt qui semblait demander in extremis le droit de poser une question. Et la brune au pédalo de répondre :  » Oui, viens « . La vie, c’est par ici.

Mais c’est pas tout ça : l’heure tourne ! Où est encore passé le serveur ? S’agirait pas de louper le film qui va démarrer, sur la Une, à 20h15…

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