L’obsession du mal

Le crash d’un Airbus sur New York a réveillé les mauvais souvenirs: les Américains, et une grande partie du monde occidental, ont cru à une nouvelle frappe terroriste

Lundi 12 novembre. A 9 h 14, heure locale, après septante-quatre minutes de retard imputé à des contrôles de sécurité accrus, le vol 587 d’American Airlines à destination de Saint-Domingue (République dominicaine) a décollé de l’aéroport John F. Kennedy de New York, dans un ciel « clair et bleu ». Trois minutes plus tard, après rupture des contacts radar et radio avec le sol, l’Airbus A300 piquait du nez à 10 kilomètres de là, sur le quartier résidentiel à l’extrême sud du Queens. Boules de feu, pluie de pièces métalliques, incendies, fumée âcre: Rockaway Beach, banlieue de la classe moyenne où s’alignent les logements proprets et les jardinets, plonge en enfer. En s’écrasant, le moyen-courrier a éventré plusieurs blocs de maisons et de magasins. Sa queue complète flotte sur l’eau de la Jamaica Bay; l’un de ses moteurs, presque entier, gît au milieu d’une station Texaco. Alentours, des morceaux de carlingue jonchent les pelouses. Des bagages aussi. Et des corps, « relativement intacts », comme celui d’un père enserrant son enfant… Parmi les 9 membres d’équipage et les 251 passagers – dont 5 bébés voyageant sur les genoux de leurs parents -, il n’y a aucun survivant. La plupart des victimes sont des Dominicains (New York en héberge 455 000): dans l’hôtel Ramada Plaza tout proche, devenu, ces dernières années, le centre de ralliement des familles endeuillées à la suite de catastrophes arériennes – on l’appelle le « Heartbreak Hotel » -, les équipes d’interprètes et de psychologues hispanophones se relaient.

Vulnérabilité

La majorité des Américains, et avec eux les citoyens de nombreux pays étrangers, ne peuvent s’empêcher d’y penser: au moment où l’Assemblée générale des Nations unies réunit des dirigeants du monde entier, une nouvelle frappe a visé les Etats-Unis. D’autant que, prêts à parer d’autres attaques, des jets de combat strient immédiatement le ciel au-dessus de New York, dont les aéroports, les tunnels et les ponts sont fermés sur-le-champ. Désormais, la plus haute tour de la ville, l’Empire State Building est, lui aussi, évacué. La majorité de la population ressent à nouveau la peur. Beaucoup prient. D’autres pleurent. « Ça y est, ça recommence… » gémit-on. Mais non. Ou sans doute non. Car, aux premières heures du crash, les autorités et les médias se montrent circonspects, abusant d’adverbes de prudence. « Apparemment », « vraisemblablement », ce serait un accident technique… Mais sait-on jamais. Dans un pays encore sous le choc des attentats du 11 septembre, les enquêteurs peinent à ruiner, auprès du public, l’idée du sabotage. « Nous ne croyons pas que c’est un attentat terroriste, car nous n’avons pas d’information indiquant que ç’en est un », insiste la CIA. Drôle de tournure. Drôle d’époque aussi où l’on estime d’abord qu’une catastrophe découle forcément d’une volonté de tuer – et non pas d’une « simple » défaillance technique. Monde étrange où l’on se réjouit ensuite d’apprendre, avec un réel soulagement, qu’il ne s’agit que d’un banal accident mécanique…

Cette panique-là, qui se vit désormais aussi à la fragilité des marchés – dans les différentes places boursières, les traders ont réagi à l’émotion, avant de se calmer -, montre en tout cas l’existence d’un sentiment d’insécurité persistant depuis le 11 septembre. En même temps, cette anxiété extrême trahit une profonde vulnérabilité. Contre laquelle les autorités américaines semblent à présent plutôt désarmées. Pour surmonter cette nouvelle épreuve, le président George W. Bush, puis la sénatrice Hillary Clinton, n’ont pu en appeler qu’à… Dieu. Face à une population désemparée, d’autres ont préféré invoquer la méthode Coué. « Nous sommes des gens forts, martelait mardi George Pataki, le gouverneur de l’Etat de New York. Nous sommes un peuple libre. Et aussi long que soit notre chagrin, nous l’emporterons »…

Valérie Colin.

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