Jean-Christophe Renault : " Quand j'ai des périodes de vide, j'écoute de la musique. Beaucoup de jazz, un peu de classique. " © PHILIPPE CORNET

L’irréductible

De sa base ardennaise, Jean-Christophe Renault a conçu Ears Have No Eyelids. Un album de piano solo, entre feeling contemporain, onirisme classique et biotope perso.

En une fin mai ensoleillée, Jean- Christophe Renault propose une visite de sa pièce musique installée dans l’ancien fenil d’une ferme pas très loin de Francorchamps. Y trône un splendide piano Forster.  » Pour le faire entrer dans cet espace, il a fallu déplacer la poutre et reconstruire la fenêtre « , précise JCR, alors qu’on observe l’ex- grenier à foin, réaménagé par le copropriétaire des lieux en écrin boisé. Avec son épouse/comparse Véronique Gillet, violoncelliste et gui- tariste, Renault vit un lien amoureux et musical depuis quarante-quatre ans. Et dès qu’il s’assied au clavier, on comprend où se love son autre histoire charnelle : une musique qui semble avoir toujours existé dans un naturel fluide. Intrépide et sans âge, classique et parfois moins. Des parfums de Satie et peut-être même bien de Keith Jarrett, planent sur le clavier.

C’est un tout frais sexagénaire à l’allure de pop star – il ferait un parfait accompagnateur de Patti Smith – qui habite dans un village de l’Ardenne bleue… Lors du Grand Prix de F1, on y entend même le vrombissement des moteurs en provenance du circuit (à quelques kilomètres à vol d’oiseau) et lorsque le vent pousse le son vers eux, Jean-Christophe et Véronique perçoivent même des bribes de Franco- folies. Tout cela croise la bio au long terme de Renault, éternellement mé- fiant face aux conventions, artistiques ou non. Soit un gamin liégeois né en 1960, qui passe une dizaine d’années en France en famille avant de revenir au pays.

Pas trop passionné par les études (refrain connu), Renault va faire une série de rencontres musicales. Peu à peu. Avec, toujours, de la misanthropie à l’égard du compartimentage.  » A Compiègne où il n’y avait pas de conservatoire, j’avais une prof géniale qui ne nous faisait jamais faire de gammes (il sourit). Je jouais du Ravel à 11 ou 12 ans, mais sans du tout avoir l’esprit de compétition qui habite certaines écoles. La douche froide, c’est quand je suis revenu en Belgique à l’adolescence, où je n’ai plus du tout trouvé le même esprit : à l’académie, je devais jouer des gammes devant un jury. Ce n’était pas possible, je n’y suis pas resté. J’ai d’ailleurs failli arrêter la musique et puis je suis tombé sur le jazz.  »

Racines européennes

Jean-Christophe est le petit-fils d’une pianiste classique,  » qui a eu une fin tragique. J’ai le souvenir d’un son incroyable. Et peut-être passe-t-on sa vie à vouloir retrouver les sensations premières « . Il grandit entre les 45-tours des Beatles, le classique et le jazz et c’est cette musique-là qui cimente ses désirs de musicien.  » A Liège, j’ai rencontré le pianiste Ron Wilson, qui jouait à l’époque dans l’Open Sky de Jacques Pelzer : un Américain qui faisait du jazz mais aussi de la soul. Lui, m’a vraiment raccroché à la musique.  »

Le Liège de la seconde partie des années 1970 est une bouilloire qui chauffe le be bop et tout l’héritage jazzy, dessinant les nuits sans fin du Carré.  » J’étais en rhéto et j’ai terminé mes humanités je ne sais trop comment parce que je n’allais pas aux cours (il rit). J’ai d’emblée aimé la liberté du jazz par rapport à celle du classique, peut-être parce que je me sentais un peu rebelle, rétif à jouer les standards en concert même s’il y avait alors une forme de revival jazz. J’ai tout de suite voulu proposer mes propres compositions, sentir mes racines européennes.  »

Eyes Have No Eyelids est disponible en digital sur les plateformes et en version vinyle/CD via Freaksville/cod&s. flak.be
Eyes Have No Eyelids est disponible en digital sur les plateformes et en version vinyle/CD via Freaksville/cod&s. flak.be

Artiste insulaire, Renault suit un moment les cours, en élève libre de 17 ans, de Frederic Rzewski, pianiste juif new-yorkais invité par Henri Pousseur au Conservatoire. L’enseignement se tient autant au café du coin à coups de chopes – à refaire le monde comme le jazz -qu’en classe avec le prof de  » composition libre qui se dit aussi anarchiste « . L’adolescent se rend compte de façon non préméditée,  » petit à petit « , que son karma va croiser le jazz sans forcément l’épouser, dont le pianiste Mal Waldron. D’où un premier album en 1981, avec les grands Jacques Pelzer et Steve Houben, Valse pour Clotilde. Point de départ d’une discographie qui compte une douzaine de plaquettes, dont la moitié menée en solo.

 » Oreilles sans paupières  »

Renault va donc passer les quatre dernières décennies à créer, entre les cours donnés notamment via les Jeunesses musicales, un répertoire où jamais l’ADN classique ne s’efface. Soit une dizaine d’années récentes sans sortie d’album propre mais en visitant, par exemple, celui de son aînée Mathilde (1986), chanteuse imaginative, auteure d’un Lucky Number paru il y a deux ans. Pour lequel JCR écrit trois musiques et cinq textes. Parce que ce père de deux talents – la cadette Adèle est une street artist bluffante – n’est pas du genre à s’acharner contre l’absurdité contemporaine où la musique devient une pastille kidnappée par les géants du digital à la Spotify. Il fallait donc une rencontre qui rallume plaisir et faisabilité d’une sortie solo, l’actuel album au titre équivalent à  » oreilles sans paupières « . Débarque alors une vieille connaissance, Fabrice Lamproye, copatron des Ardentes et du Reflektor liégeois. Celui-ci a commencé dans le business en gérant le lieu alternatif Soundstation, salle de concert, resto et studio d’enregistrement installés dans l’ancienne gare de Jonfosse.

Lamproye, qui arrive pour l’apéro du soir dans la ferme des Renault, confie son coup de foudre daté de janvier dernier, lorsqu’il entend les dernières musiques de Renault. Elles le décident à recréer un label, baptisé Flak, et à signer le pianiste. Rayon signatures, les compositions du Wallon aux cheveux désormais neige citent, depuis des années, ses artistes favoris dans les titres. Le grand lecteur qu’il est, après des hommages/allusions à des personnages aussi différents que Thomas Bernhard, Yeats, Ingmar Bergman, Satie, salue ici Nina Simone dans The Incredible Lightness Of Nina’s Hands. Jouant avec l’intitulé des nouveaux morceaux – Le clavier plus ou moins bien tempéré, Les splendides hommes intègres, Eloge d’un terrien – , il explique que son répertoirel doit beaucoup aux livres :  » Quand j’ai passé huit heures devant mon clavier, je n’ai pas spécialement envie de me nourrir encore de musique. Lire me ressource sans doute plus. Mais quand j’ai des périodes de vide, j’écoute de la musique. Beaucoup de jazz, un peu de classique.  » D’où l’alchimie réussie.

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