L’IPOD A 15 ANS ET ÇA ME TOUCHE

David Abiker

La cruauté des enfants quand ils vous rappellent que le temps passe… L’autre jour, je cherchais un cadeau pour mes filles à l’approche de Noël. Naïf, l’imagination en berne et le coeur à vif, toujours quand il s’agit de ma lignée, je m’avance vers elles dans la cuisine. 13 et 17 ans s’y préparaient des pâtes, en souillant tout sur leur passage. A savoir que 13 et 17 ans se nourrissent exclusivement de pâtes, mais ce n’est pas le sujet, le sujet c’est l’humiliation technologique du père.

– Et si pour Noël, je vous offrais un iPod, mes princesses d’amour au miel des mille et une nights ?

– #*€@ ? !

Si le mépris était un regard, alors il serait celui de 13 et 17 ans, les joues gonflées de farfalles aux quatre fromages. Je me souviens avoir été humilié mais pas comme ça.

– Un iPod ? Et pourquoi pas un baladeur à K7 tant que t’y es, a sifflé la grande, qui se pique d’antiquités.

– C’est quoi, un baladeur ? a demandé la petite en mode parricide.

J’ai pris un coup de vieux, comme les monstres d’Evil Dead dont les orbites se vident et la peau se flétrit d’un coup aux premiers rayons du soleil. Avec toutes ces années, je n’ai pas vu grandir mes filles ni vu vieillir l’iPod, qui a eu 15 ans le 24 octobre dernier. Quinze ans !

Bien sûr que l’iPod ne veut plus rien dire pour mes filles puisqu’elles ont désormais un smartphone et qu’il a englouti tous les baladeurs du monde, tous les lecteurs MP3, tous les Walkman jaunes de Sony, tous les mange-disques, tous les transistors, tous les oiseaux et tous les bateaux que Polnareff voulaient offrir en chanson à la petite fille de ses rêves.

Et pour cause, 13 et 17 ans n’ont pas connu le prix d’une chanson, ni le désir d’une chanson, ni la chasse à la chanson telle que je m’y livrais dans les années 1980. 13 et 17 ans ne sauront jamais comment, à leur âge, leur père attrapait les chansons comme on part à la chasse aux papillons.

13 et 17 ans ignorent qu’un jour de 1982, j’entendis sur la FM Our House de Madness et fus bouleversé par la ligne de basse de l’intro qui explosait tout sur son passage.

A l’époque (deux ans après l’arrivée au pouvoir des socialo-communistes), il n’y avait pas YouTube. Et une chanson se méritait !

1. Il fallait l’entendre ;

2. la retrouver en faisant le tour des fréquences ;

3. l’identifier (en anglais) ;

4. l’enregistrer !

Pour ça, il fallait donc écouter la radio tout en préparant son radio-K7 pour agir vite, et au bon moment, appuyer sur la touche REC, faire PAUSE quand on sentait la fin de la chanson arriver ! Pas trop tôt ni trop tard pour éviter la pub, le mixage qui annonçait la chanson suivante et la désannonce de l’animateur qui pouvait tout gâcher !

J’en ai rempli, des K7, avec cette technique, ça prenait un temps fou. Je me souviens qu’un jour, sur la plage d’Ostende, la belle Carole m’avait dit, avec ses yeux de biche :  » Tu m’en feras une K7 de new wave à moi aussi ?  » J’avais fait la K7 et Carole était sortie avec un type de rhéto qui avait un Dax Honda et des sweat-shirts Fruits of the Loom.

Car 13 et 17 ans n’ont pas connu ce temps de la musique payante, du tube dont on attend le retour, le temps des baladeurs qui pesaient 600 grammes et qui se portaient à la taille, le temps de la musique qui vous cueille et pas l’inverse.

Le temps des râteaux sur Against All Odds (Take a Look at Me Now) de Phil Collins, tant de râteaux que je pourrais ouvrir un Jardiland…

13 et 17 ans ne sauront jamais ce qu’hésiter une heure chez un disquaire entre un 45-tours de The Cure et un de U2 signifie pour un adolescent qui a 100 francs d’argent de poche par mois. C’était ça, courir après une chanson dans les années 1980. C’était jouer sa vie, ses amis, sa réputation, c’était l’essentiel.

L’iPod a 15 ans.

Personne ne m’a prévenu.

L’iPod a 15 ans.

Le Walkman star de Sony en a 35.

13 et 17 ans ont fini leurs pâtes. La cuisine est dégueulasse.

J’ai bientôt 48 ans.

david abiker

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