L’installation a bien des visages

Guy Gilsoul Journaliste

A l’occasion de la Biennale de Venise, Le Vif/L’Express interroge, six semaines durant, diverses pratiques de l’art actuel. Cette semaine, l’  » installation « .

Que s’est-il donc passé pour qu’aujourd’hui l’essentiel du spectacle de l’art se décline en  » installations  » ? Tout part de New York qui supplante, après la Seconde Guerre mondiale, Paris comme épicentre du monde de l’art. Les artistes américains sont jeunes et décomplexés. Le Vieux Continent leur paraît étriqué et la peinture sur chevalet, digne du xixe siècle. Allan Kaprow, inventeur du  » Happening « , donne le coup d’envoi. Dès 1953, dans ses collages, il intègre des morceaux d’étoffe, des miroirs mais aussi de la lumière électrique et des sons. Le cadre rectangulaire ne suffit plus et pas davantage la surface du support. Ses £uvres conquièrent donc l’espace du sol, des murs, du plafond. Désormais, le public ne se place plus face à l’£uvre mais se déplace physiquement autour et au c£ur de ses déploiements. Une première étape vient d’être franchie : on parlera d' » environnements « . La participation, facilitée par le recours à des images et à des objets de consommation courante, est essentielle et finalement ludique. La sculpture, à son tour, renonce bientôt à n’être qu’un objet posé sur socle. Dès 1965, des artistes, appelés minimalistes, déposent directement sur le sol des £uvres apparemment très simples. Le propos se déplace et devient plus austère. Alors qu’en Europe un cube ou un parallélépipède évoque une aspiration spirituelle dont la simplicité est l’expression, aux Etats-Unis, il s’agit d’abord d’une stratégie maîtrisée par l’artiste afin d’activer l’esprit logique. En réalité, l’installation vise à nous faire réfléchir aux phénomènes eux-mêmes de la perception et de sa traduction en mots. Du minimalisme naîtra, en 1967, l’art conceptuel qui va accentuer cette approche en la radicalisant jusqu’à effacer même toute trace matérielle de l’£uvre.

Peu à peu, minimaliste ou non, chaque artiste apprend la leçon et installe ses £uvres dans les nouveaux et de plus en plus nombreux musées d’art contemporain. Les volumes y sont généreux et les plasticiens, de plus en plus gourmands. Désormais, ce ne sont plus  » des  » £uvres mais souvent  » une  » seule £uvre qui occupera l’ensemble d’une salle blanche et bientôt une chapelle, une usine ou encore un fragment de paysage. Parallèlement, les artistes abandonnent l’abstraction et en reviennent à des images facilement identifiables qui servent un propos critique de plus en plus politique. Et aujourd’hui ?

A Venise, le Camerounais Pascale Martine Thayou a construit une installation qui ne tient plus compte du lieu (un immense hangar). Son  » Village  » est là, plus organique que structuré, étendu à même le sol sans souci de rapports plastiques avec l’espace environnant. On déambule, happé par une multitude d’appels associant la technologie (des écrans), la nature (tas de terre, de sable, de végétaux) et les objets de la survie ou de la débrouille. Nous lui préférons cependant sinon la manière, du moins l’intention de la Suédoise Nathalie Djurberg (qui a obtenu le lion d’argent). Il s’agit d’un jardin peuplé de plantes artificielles et menaçantes dont la taille et le nombre emprisonnent le visiteur. Entre celles-ci, on cherche son chemin alors que, sur des écrans de cinéma, l’artiste nous distrait avec une histoire de méchant roi et de pauvre princesse en pâte à modeler. Ici, ce n’est plus la politique mais l’imaginaire personnel qui prime. Ce n’est pas la raison mais l’émotion à laquelle l’artiste fait appel et même à celle de l’enfance en ses nuits de cauchemars et d’émerveillements. L’installation, décidément, a donc bien des visages.

Venise,  » Fare Mondi « , Arsenale et Giardini. Jusqu’au 22 novembre. www.labiennale.org

GUY GILSOUL

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