L’insoutenable légèreté du PS

A un cheveu des élections, le PS doit-il admettre que les  » affaires  » n’ont guère changé ses mours ? Le cas Donfut est édifiant : aujourd’hui écarté, le ministre wallon n’avait pas jugé utile de renoncer à un cumul si gênant. L’appât du gain ? Le besoin irrépressible de couvrir ses arrières ? Fil rouge avec d’autres cas emblématiques : l’usure du pouvoir.

La terrible imprudence d’un parti si ambigu avec l’argent public. Voici le PS d’Elio Di Rupo bousculé et ébranlé sur  » ses  » terres wallonnes, à trois semaines d’une élection régionale capitale. Un des siens est tombé. Encore un. Le ministre wallon de la Santé et de l’Action sociale, Didier Donfut, cumulait sa fonction au service de l’Etat avec des activités privées de consultance, grassement payées, négociées avec des amis politiques du même bord. Montois comme Di Rupo, apprécié de la direction, Donfut a été poussé à la démission de son poste ministériel, de son mayorat à Frameries et de la liste PS Mons-Borinage, les 12 et 13 mai, quelques heures après les révélations incendiaires de La Libre Belgique. Un autre socialiste qui souille des règles éthiques élémentaires, qui s’octroie des avantages exagérés. Depuis l’été du scandale, en 2005, à Charleroi, le PS tout entier se repasse les images d’un feuilleton infernal. Les séquences se succèdent, déjà vues, amplifiées par de nouveaux faits, ou carrément inédites. Les médias, les adversaires politiques s’autoriseraient-ils des amalgames malveillants entre les pratiques systématisées et jugées quasi mafieuses de Charleroi, les crises d’autorité d’Anne-Marie Lizin, usant d’une carte Visa de fonction, ou l’inconscience d’un José Happart, chef d’une mission parlementaire coûteuse en Californie, niant la polémique ? A intervalles réguliers, des dirigeants du PS hurlent au complot, dénoncent l’exploitation politique de ces  » affaires « . Ils ont raison d’affirmer qu’il ne faut pas comparer les situations. La différence de gravité saute aux yeux. Didier Donfut n’est pas Claude Despiegeleer, le seul socialiste carolo déjà condamné à ce jour. Anne-Marie Lizin n’est pas Jean-Claude Van Cauwenberghe. Mais seuls les anges nieraient l’existence du fil rouge qui lie ces cas désolants : en Wallonie, le PS est malade de son rapport au pouvoir ; trop souvent, ses membres confondent leurs intérêts et ceux d’une Région obligée de se redresser.

Suite au cas  » Donfut « , le président Di Rupo se tait, comme souvent. A la tête du PS depuis 1999, il n’ose évoquer la dérive individuelle d’un homme distrait. Il sait qu’on ne le croirait plus. Il est pris au piège. Il avait l’occasion de crever l’abcès, ces quatre dernières années. Or le PS n’a jamais osé ce grand travail d’introspection. Combien d’heures a-t-il réfléchi, en public ou à huis clos, en présence des seuls militants, aux mécanismes ayant provoqué les tracas judiciaires de tant de mandataires socialistes ? Pourquoi, en vérité, ce grand parti n’a-t-il jamais ouvert de débat interne sur ses propres difficultés ? Après la défaite électorale de juin 2007, Philippe Moureaux, virtuel n°2 du parti, président du PS bruxellois, nous avait confié son envie d’écrire sur le sujet. Un tabou : pourquoi des socialistes ont-ils un rapport aussi malsain avec l’argent de la collectivité ? A ce stade, Moureaux n’a rien publié. Il avait le recul nécessaire pour le faire. Bref, le PS a vivoté d’une élection à l’autre – sans être aidé par l’agenda, il est vrai, prévoyant un passage aux urnes en 2006, 2007 et 2009. A l’approche de chaque scrutin, le leitmotiv a été identique : ne pas faire de vagues, détourner l’attention. Après la sanction de l’électeur, c’est le réalisme politique, encore une fois, qui l’emportait : aux communales de 2006, les  » rouges  » sont restés au pouvoir à Charleroi comme dans plusieurs fiefs où ils avaient été bousculés ; après les fédérales de 2007, ils ont renoncé à une cure d’opposition sans doute vivifiante.

Que dire face à la corruption ?

La direction du PS est restée prudente, mitigée, voire superficielle sur ces questions délicates et existentielles. Elle s’est limitée à des incantations un peu pathétiques ( » la traque aux parvenus « , faisant le bonheur de YouTube), alors qu’une profonde remise en question s’imposait. Pis : les socialistes donnent aujourd’hui l’impression d’avoir laissé pourrir les choses. A l’image de son comité d’audit, critiqué par la presse, après avoir été un moment encensé. L’affaire Donfut flairait l’oignon depuis belle lurette. Le principal intéressé avait dû s’expliquer une première fois, après une première banderille de La Libre, il y a quinze jours. Et personne n’avait trouvé à y redire. Les activités privées du ministre Donfut semblaient légales et normales, aux yeux des auditeurs…

Malgré les affaires, la tendance serait de banaliser chaque  » incident « , plus ou moins grave. Comme si la fameuse déclaration de l’ex-échevin carolo Despiegeleer –  » On avait toujours fait comme ça  » – avait fini par contaminer tous les esprits. Illustration récente de cette mauvaise appréhension des événements : quand, début avril, Elio Di Rupo apprend que Philippe Van Cauwenberghe, le fils de l’ex-patron du PS carolo, aurait bénéficié d’un prix d’ami lors de l’installation d’une chaudière à son domicile, des £uvres d’un entrepreneur proche du pouvoir, il se contente d’annoncer des mesures au cas où… Au cas où la chaudière aurait été payée par une société de logements sociaux ! A lui seul, le soupçon de corruption gros comme une maison, visant le clan  » Van Cau « , ne nécessitait-il pas une dénonciation plus catégorique ? Comment réagira le président Di Rupo s’il se confirme qu’un dossier épais comme plusieurs bottins de téléphone devait être prochainement transmis à la justice liégeoise, seule habilitée à poursuivre un ancien ministre wallon (lire en page 28) ?

Craignant comme la peste la dissidence de Jean-Claude Van Cauwenberghe, resté populaire en bord de Sambre, Elio Di Rupo a sans cesse écarté le brûlot. Il a fait exclure Lizin, mais pas Van Cau. Ces derniers mois, il a écouté les conseils du brillant spécialiste du régionalisme et accepté que des négociations discrètes soient menées afin de réhabiliter politiquement le fils Van Cau. Acceptant qu’à une encablure des élections, la presse puisse écrire :  » Ils reviennent « … Di Rupo déteste le  » clan « , mais il n’ose pas le démanteler une fois pour toutes, dépendant ainsi de la justice, dont le rythme est a priori indépendant de la vie politique. Au passage, en hésitant à ce point, la direction du PS a usé quelques précieuses cartouches. Pendant des mois, l’image du ministre wallon des Affaires intérieures, Philippe Courard, l’un des chevaliers blancs du parti, a été ternie suite à ses déboires à Huy. Courard se laissait rouler dans la farine par les proches de Lizin, qui lui interdisaient l’accès aux petits secrets de l’hôpital public hutois, soupçonné de malversations. Il aurait suffi que Di Rupo donne une injonction ferme, et Courard aurait été soulagé. Idem pour le ministre fédéral Paul Magnette, nommé démineur en chef à Charleroi, mais aussi vite prié de ménager les susceptibilités. Dans la négociation plutôt que l’indispensable bagarre, Magnette-le-rénovateur n’a-t-il pas abandonné une petite part de son crédit ?

Aucun acte de contrition

Autre constante dans la pagaille des affaires : la manie du  » On va légiférer « . Donfut pincé, le PS (comme le CDH, son partenaire en Région wallonne) promet aussitôt des changements législatifs. Il préconise une circulaire stipulant que les ministres  » doivent exercer leur mandat de manière exclusive « . Cela ne va-t-il pas de soi ? Après la cascade d’affaires frappant le PS, chacun de ses ministres, en particulier, n’aurait-il pas dû faire son examen de conscience ? Le Parti n’aurait-il pas dû y inciter ? Didier Donfut devait savoir que ses contrats de consultance dans la sphère intercommunale allaient finir par causer un problème d’éthique. Tout comme la poignée de gestionnaires d’intercommunales, parmi lesquels quelques cumulards patentés, titillés par les médias au début de 2008 : ils se faisaient rétribuer via des sociétés privées à responsabilité limitée (SPRL), afin d’atténuer l’impôt. Et que dire de Michel et Frédéric Daerden, réviseurs d’entreprises et hommes politiques de père en fils ? Aucun acte de contrition, dans leur cas, malgré une revue de presse pointant régulièrement leur cynisme en affaires. Obligé de renoncer à l’un ou l’autre contrat dans la sphère publique, sur laquelle le père ministre règne en maître, le fils Frédéric, député wallon sortant, aurait ainsi compensé la perte en se réfugiant désormais derrière des sociétés de révisorat qu’il ne contrôlerait qu’indirectement. Le pouvoir, tout le pouvoir :  » papa  » Michel s’en délecte goulûment, lui l’homme aux multiples casquettes charriant des budgets considérables dans le triangle inquiétant du sport, du business et de la politique. Comme par mimétisme, ou tout simplement afin d’exister aux yeux des pairs ou de la direction du parti, des rivaux internes comme Jean-Claude Marcourt semblent eux aussi incités à prendre des risques inutiles, accentuant la confusion ambiante. On l’a rappelé à l’occasion de l’affaire Donfut, Marcourt, ministre wallon de l’Economie, a longtemps rechigné avant de se mettre en congé de sa vice-présidence de Meusinvest – outil de développement crucial pour Liège – et il vient enfin d’en faire de même pour sa présidence de la Socofe, société anonyme fédérant les intérêts communaux et intercommunaux dans les secteurs si prisés de l’énergie, de l’environnement, de l’eau et des technologies de la communication.

Après plus de vingt années d’exercice ininterrompu du pouvoir, en Belgique francophone, le PS semble aujourd’hui prisonnier de ses petites manies – les Daerden n’y voient aucune malice, Donfut a déclaré, lui, qu’il souhaitait se prémunir d’une conjoncture politique défavorable -, comportements qui l’amènent à contrôler tout l’appareil d’Etat. Aux élections du 7 juin, c’est ce  » bilan  » que le PS risque bien de devoir défendre, plutôt que le renouveau wallon amorcé par Di Rupo en personne. En pleine campagne, les  » affaires  » ne le lâcheront plus.

dossier: philippe engels/pierre havaux

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