L’insaisissable Dr Delajoux

Boris Thiolay Journaliste

Plaintes, condamnations : le chirurgien qui a opéré Johnny Hallyday a un lourd dossier. Pourtant, le Conseil de l’ordre des médecins se défend d’avoir été trop clément.

Docteur Delajoux ou Mister Stéphane ? Le  » chirurgien des stars « , qui a opéré Johnny Hallyday d’une hernie discale, le 26 novembre, à la Clinique internationale du parc Monceau (Paris XVIIe), reste au c£ur de la polémique. Alors que le chanteur est sorti le 14 décembre du coma artificiel dans lequel il avait été plongé, l’affaire embarrasse désormais les autorités médicales françaises. Car, bien que sanctionné à quatre reprises, entre 2004 et 2008, par le Conseil national de l’ordre des médecins – un avertissement, un blâme et deux suspensions, notamment pour avoir  » déconsidéré sa profession et l’ensemble du corps médical  » – Stéphane Delajoux est toujours en droit d’exercer.  » Nous gardons un £il sur lui, car il a fait l’objet de plusieurs plaintes. Mais d’autres médecins, moins médiatisés, ont des dossiers bien plus lourds que le sien, tempère la présidente de l’Ordre, Irène Kahn-Bensaude, interrogée par Le Vif/L’Express. Il ne mérite pas la mise à mort à laquelle nous assistons aujourd’hui. « 

Certes, en attendant les conclusions des chirurgiens de la clinique de Los Angeles, où le chanteur a été opéré le 9 décembre pour enrayer une infection qui pourrait résulter de la première intervention, il est impossible d’établir l’éventuelle responsabilité du Dr Delajoux. Ce dernier a d’ailleurs affirmé qu' » aucune erreur, aucune anomalie n’ont été décelées pendant et après l’acte opératoire « .

Il n’empêche : ce neurochirurgien de 43 ans est sévèrement mis en cause. Jean-Claude Camus, le producteur qui veille sur le business de Johnny (voir l’encadré p. 79), l’a accusé d’avoir commis un  » massacre « . Me Olivier Metzner, l’avocat du Conseil national de l’ordre des médecins, l’a décrit comme un homme  » sans scrupules  » qui  » s’intéresse beaucoup à l’argent, plus qu’à la santé des personnes qu’il soigne « .

Quelle que soit l’issue de cette affaire, le Dr Delajoux est d’ores et déjà rattrapé par un passé sulfureux, entaché de plusieurs condamnations judiciaires. La question, dès lors, est de savoir comment il a pu se tailler une réputation de chirurgien aux doigts d’or dans le milieu du show-business ? Pour y répondre, il faut dérouler à nouveau le fil de sa carrière.

Admis au concours de médecine à l’âge de 18 ans, Stéphane Delajoux était  » un étudiant vif et brillant « , selon le Pr Philippe Even, ancien doyen de la faculté de Necker-Paris V. Il décroche en 1995 son doctorat en médecine et obtient deux ans plus tard sa qualification de spécialiste en neurochirurgie. Après avoir exercé dans de grandes cliniques privées, il fait irruption sur la scène médiatique en 2003, quand la famille de l’actrice Marie Trintignant, battue à mort par son compagnon Bertrand Cantat, lui demande de tenter une  » opération de la dernière chance « .

Séduisant, sûr de lui, Stéphane Delajoux fréquente bientôt la jet-set. Entre 2005 et le printemps 2009, il partage la vie d’Isabelle Adjani. En 2007, il soigne Charlotte Gainsbourg, victime d’une hémorragie cérébrale. En 2008, il est aussi amené à opérer une première fois Johnny Hallyday, pour une hernie discale. Julien Delajoux, son frère cadet, est par ailleurs le compagnon de Laura Smet, la fille du chanteur. Tout semble donc sourire au chirurgien.  » Cette année, il a pratiqué 220 interventions dans notre établissement et nous n’avons rien à redire sur son activité « , assure Stéphane Lievain, directeur de la Clinique du parc Monceau. Du moins jusqu’à la fameuse opération du 26 novembreà

Six mois d’interdiction d’exercice en 2005

Un examen de son dossier aurait pourtant eu de quoi alerter sa clientèle. La litanie de ses démêlés avec la justice et le Conseil de l’ordre remonte à 2002. Il est alors condamné, à Paris, à trois ans de prison avec sursis et 40 000 euros d’amende pour  » faux  » et  » escroquerie  » aux assurances. L’année suivante, il écope de trois mois d’emprisonnement, toujours avec sursis, pour fraude fiscale.

Sa responsabilité dans plusieurs dossiers médicaux est également démontrée devant les tribunaux. En 2004, il est condamné à verser plus de 330 000 euros à une patiente et à la caisse d’assurance-maladie d’Ile-de-France. En 1998, cette femme, prénommée Sylvie, souffrait d’une sciatique aiguë quand elle avait consulté Stéphane Delajoux. Celui-ci lui paraissait alors  » très convaincant « . Victime d’une forte hémorragie durant l’opération, Sylvie s’était réveillée avec des douleurs insupportables.  » On m’a répondu que l’opération s’était bien passée « , raconte-t-elle au Vif/L’Express. Un médecin de ville découvrira la vérité : le Dr Delajoux avait opéré un disque vertébral sain et n’avait pas traité la hernie discale !

En janvier 2006, le praticien est de nouveau condamné à payer 36 000 euros de dommages et intérêts pour une  » faute dans [un] suivi postopératoire « . Idem en septembre 2006 : 50 000 euros de dommages et intérêts à la suite d’une  » intervention non appropriée « , réalisée en 2000. Cette fois, la patiente souffre d’une lombalgie. Stéphane Delajoux procède à la  » mise en place d’une prothèse épineuse « , mais se trompe d’endroità Une autre plainte, déposée en 2005 par une personne opérée d’une sciatique, est toujours en cours.  » A ce niveau d’erreur, c’est un véritable scandale ! s’indigne un médecin expert auprès de la Cour de cassation. Il y a longtemps que ce monsieur aurait dû être radié de la profession ! « 

Pourtant, le Conseil de l’ordre s’est penché sur son cas. En 2005, une affaire confuse de dépassements d’honoraires lui vaut un avertissement. En 2002, sa tentative d’escroquerie aux assurances est sanctionnée par six mois d’interdiction d’exercice de la médecine ; une peine qu’il purgera entre le 1er août 2005 et le 31 janvier 2006. Le problème, c’est que durant cette période de suspension, le Dr Delajoux a reçu un patient, lui a prescrit un scanner et a antidaté l’ordonnance. En octobre 2008, la sanction tombe : un mois de suspension avec sursis.

L’ordre des médecins a-t-il fait preuve de trop de mansuétude ? Irène Kahn-Bensaude, sa présidente, s’en défend :  » On ne radie pas quelqu’un parce qu’il a accumulé les sanctions. De plus, les fautes techniques ne relèvent pas de la justice ordinale, mais du pénal.  » Cependant, en cas de nouveau dérapage, Me Metzner, l’avocat de l’Ordre, avertit :  » Si sa responsabilité est démontrée dans le traitement de Johnny Hallyday, il faudra en tirer toutes les conséquences. « 

Ces menaces agacent Me David Koubbi, l’un des avocats du chirurgien.  » Ces déclarations à l’emporte-pièce sont inacceptables. Le Conseil de l’ordre peut parfaitement radier un médecin, souligne-t-il. S’il ne l’a pas fait pour le Dr Delajoux, ces dernières années, c’est qu’il ne disposait pas d’éléments suffisants. Que signifie ce règlement de comptes ?  » Agressé par des inconnus le 11 décembre, le Dr Delajoux s’est vu prescrire quatorze jours d’interruption temporaire de travail.  » Il n’opère plus actuellement, précisait-on, lundi, à la Clinique du parc Monceau, mais ses consultations en neurochirurgie ne désemplissent pas. « 

Boris Thiolay, avec éric Pelletier, Estelle Saget et Pascal Ceaux

Boris Thiolay

Le producteur Jean-Claude camus l’a accusé d’ un  » massacre « 

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